Moteurs ou marque-pages ?

Il est bien des signaux qui permettent de mesurer l'omniprésence des moteurs (et de Google) dans nos vies numériques. Il en est un assez peu souvent évoqué : les moteurs (et Google) comme marque-pages du livre-web, de ce livre en reconfiguration permanente qu'est le web.

En témoignent les "tops", "palmarès" et autres "zeitgeist" des différents moteurs faisant été des mots-clés les plus saisis. Dernier en date, celui de Google indique que "Facebook" est la requête la plus populaire ; même chose chez Yahoo, Bing (moteur de microsoft) donnant davantage dans le people. Il y aurait d'ailleurs là sujet à une belle étude pour établir le profil sociologique des utilisateurs des différents moteurs. Mas là n'est pas l'objet de ce billet. "Facebook" est donc la requête la plus populaire sur Google, mais aussi, pour la France :

  1. facebook
  2. bon coin
  3. youtube
  4. hotmail
  5. meteo

Pour l'Allemagne :

  1. facebook
  2. youtube
  3. berlin
  4. ebay
  5. google

Etc.

"Facebook". L'un des sites sur lequel chaque internaute passe pourtant le plus clair du temps de sa vie connectée. Le réseau social par excellence. Pourquoi taper Facebook ou Youtube dans un moteur plutôt que directement dans la barre d'adresse de son navigateur en y ajoutant simplement un .com ou un .fr ? Pourquoi ajouter ainsi une étape souvent inutile dans le processus cognitif de requêtage ?

Probablement parce que la plupart des internautes choisissent de paramétrer leurs navigateurs avec l'adresse d'un moteur comme page d'accueil par défaut.

Probablement aussi parce que les moteurs (et Google) ont passé des accords avec – notamment – Mozilla  / Firefox pour que – sauf réglage contraire de l'utilisateur – la page d'accueil du moteur soit aussi, et par défaut, celle de la porte sur le web de l'internaute.

Probablement parce que de la même manière que nous sommes de plus en plus incapables de retenir un numéro de téléphone à 10 chiffres, grâce ou à cause de nos mémoires externes portatives que sont nos tléphones portables, nous sommes aujourd'hui de plus en plus incapables de "mémoriser" des adresses web pourtant évidentes.

Probblement enfin parce que peu de gens utilisent encore les "signets / bookmarks / favoris" de leurs navigateurs, leur préférant des versions plus collaboratives (delicious par exemple).

Google et les moteurs comme marque-pages du réseau livre. Nos marque-pages habituels, ceux du monde non-numérique, n'ont pas de mémoire. Ces marque-pages numériques sont une partie de nos mémoires. Des mémoires pourtant fondamentalement dissemblables. Nos téléphones mémorisent les numéros de nos contacts pour nous en éviter la saisie et pour nous alléger de ces micro-charges mémorielles. Google et les moteurs nous évitent pareillement certaines saisies, nous permettent de faire cette économie du texte de la requête, mais Google et les moteurs se souviennent de ces saisies ; ils les quantifient. Et de cette quantification vient précisément leur qualification.

Moralité. Il est des mémoires (externalisées) qui sont faites pour nous permettre d'oublier certaines choses. Il en est d'autres bâties dans le dessein de permettre à leurs hôtes de se souvenir de certaines choses. La question des mémoires (biologiques, documentaires ou informatiques) appelle directement celle de leur effacement et de leur perte. Nul ne peut dire si quelque chose de nous est en train de se perdre dans ces mémoires là. Pas davantage que l'on n'est en mesure d'anticiper ou de prédire leur effacement accidentel. Des marque-pages à l'image du livre qu'ils balisent : faits pour en recalculer en permanence la marque. Le web comme livre. Un livre de sable. Dont la seule permanence réside dans l'extériorité de ceux dont la puissance calculatoire permet d'en fixer le grain. Chaque grain. Le g(r)ain ou la perte.

del *.*

3 commentaires pour “Moteurs ou marque-pages ?

  1. J’ai une autre interprétation, identifiée auprès de mes jeunes élèves, mais aussi d’adultes, et qui me semble inquiétante du point de vue de la connaissance réelle du web qu’a une partie de la jeune génération.
    Ces personnes semblent ignorer totalement l’existence de la barre d’adresses, voire même le principe des liens.
    Exemples d’échanges réels :
    Dans une classe :
    «Allez sur le site example.com.
    – Madame, on prend lequel ?»
    Entre deux ados :
    «Tu vas sur Youtube, tu tapes “machin truc”, et tu cliques sur le deuxième.»

  2. Bonjour
    “Pourquoi taper Facebook ou Youtube dans un moteur plutôt que directement dans la barre d’adresse de son navigateur en y ajoutant simplement un .com ou un .fr ?”
    Mais non, pour Youtube, je l’utilise ainsi sur Goo gle : Youtube + “nom d’une chanson”, ou + “nom d’un interprète”.
    Idem pour bon coin ou pour tout autre site de vente en ligne.
    Et d’autres, tels que Facebook sont aussi facile à utiliser de cette manière quand on recherche quelqu’un.
    Ceci pourrait expliquer le pourquoi de scores aussi élévés.
    Bien cordialement
    B. Majour

  3. A la lumière partielle des sondages que je fais au cours de mes formations et des pratiques que j’y observe:
    – je confirme la remarque d’Arnaud ci-dessus: la fonction de la fenêtre d’adresse tend à être de moins en moins comprise et son utilisation délaissée. Google semble avoir intégré cette évolution et l’accélère en ne proposant plus, dans Chrome, qu’une zone de saisie unique. Laquelle d’ailleurs, si j’y tape, “facebook” me propose l’url en même temps qu’une recherche Google.
    – j’ai bien peur que tu sois optimiste lorsque tu supposes que les signets du navigateur sont abandonnés au profit d’outils en ligne comme delicious. Alors que je constate une lente appropriations des lecteurs rss, j’ai très peu de stagiaires qui utilisent delicious ou un outil de mémorisation analogue. Ce qu’il semble, c’est que les internautes, plutôt que de mémoriser eux-mêmes confient ce soin au moteur de recherche (ce qui répond au titre de ton billet).

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