Puisqu’Elon Musk a racheté Twitter, il faut imaginer Hannibal Lecter rachetant Mc Donald.

Republication, pour partage et archivage, de la tribune parue le 26 Avril sur Libération.
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Puisqu'Elon Musk vient officiellement de racheter Twitter, alors il faut imaginer Hannibal Lecter rachetant Mc Donald. Et se poser deux questions : quelle viande sera utilisée dans le Big Mac et … comment s'y opposer ?

Depuis plusieurs semaines on parlait de l'offre publique d'achat (OPA) "hostile" d'Elon Musk à l'encontre de Twitter. A la fois en mode 1ère fortune mondiale et troll de compétition, l'entrepreneur a rivalisé des deux armes qu'il manie le mieux : la polémique et l'argent.

Sur le plan comptable, il vient de prouver ce que l'on savait déjà : il a largement les moyens de racheter le réseau de microblogging dont le modèle et la stabilité économique sont toujours chancelants. Le prix ? 44 milliards de dollars. Et la volonté de sortir le réseau social de la bourse. Pour être seul aux commandes. Probablement en constituant un conseil d'administration fantôme et acquis à sa cause. 

Sur le plan entrepreneurial, la brutalité du management d'Elon Musk est déjà largement documentée.

Sur le plan personnel, Elon Musk est une personnalité plus que sulfureuse du point de vue de sa surface et de ses hoquets médiatiques, et il a révélé (peut-être pour atténuer ou justifier le point précédent) être atteint d'un trouble du spectre autistique (il s'est dit "Asperger" même si le terme n'est plus usité aujourd'hui). Or la psychologie des grands capitaines d'industrie n'est pas que le sujet des bonnes feuilles de magazines santé, c'est aussi un point qu'il est nécessaire de prendre en compte à l'heure où les conglomérats industriels qu'ils dirigent et mènent à leur main touchent aussi bien à l'information, à l'armement, au spatial ou aux télécommunications. Toutes les plateformes numériques majeures ont aujourd'hui un problème éminent de gouvernance. Les décisions d'un seul (ou de quelques-un.e.s), qui ne sont justifiées par rien d'autre que la subjectivité de celles et ceux qui les prennent, affectent quotidiennement des millions ou des milliards de personnes sur la planète. L'arrivée de l'une de ces personnalités les plus clivantes à la tête d'un réseau social parmi les plus polémiques est incontestablement un climax inédit et pour tout dire assez angoissant.

Sur le plan politique et éthique, le projet affirmé d'Elon Musk est de "débrider" totalement Twitter, de rendre transparents ses algorithmes, de virer les bots, et d'en faire le héraut de la conception de la liberté d'expression à l'américaine, c'est à dire à la fois avec la capacité de tout dire ("Free Speech") y compris ce qui contrevient à la loi (en France et ailleurs) comme des propos racistes, sexistes, etc. mais aussi et surtout la capacité de toucher instantanément de larges audiences ("Free Reach") et de les toucher d'autant plus facilement que les propos relevant d'une conception maximaliste de la liberté d'expression seront clivants, polémiques, outranciers.

Cette idée n'est pas neuve et elle traverse et structure depuis déjà des années le débat autour de ces agoras semi-publiques et semi-privées que sont les réseaux sociaux aujourd'hui. Le consensus étant qu'il conviendrait de faire exactement l'inverse de ce qu'Elon Musk propose et envisage, c'est à dire de renforcer plutôt que d'encore affaiblir une modération humaine déjà plus qu'indigente, et l'impérieuse nécessité de casser les chaînes de contamination virales qui cèdent aux propos et comportements les plus outranciers les conditions maximales de visibilité.

Quant à l'ouverture des algorithmes annoncée après avoir rassemblé tout le pouvoir de décision dans les mains d'un seul homme, elle est, dans l'instant à peu près aussi crédible et pertinente que celle d'un Vladimir Poutine annonçant la transparence des opérations militaires en Ukraine.

Même si Twitter ne dispose "que" de quelques centaines de millions d'utilisateurs, le rôle politique et social de ce biotope numérique est tout à fait singulier, en tout cas dans nos sociétés occidentales. Et il serait plus opportun d'ambitionner de le protéger en le régulant à hauteur de la place qu'il occupe, plutôt que d'achever de le travestir en un média de radicalité pure qui n'aura plus comme unique vocation que celle d'exaspérer les colères et d'attiser les indignations et les haines.

Car ces "médias", ces "réseaux sociaux", par la place qu'ils occupent, par les codes d'expression qu'ils autorisent, et aussi par l'exutoire qu'ils constituent souvent, sont la part manquante d'espace public démocratique dans laquelle nombre de citoyens et de citoyennes vont à la fois se former et s'informer, s'exprimer et trouver la "prime" sociale que constitue la visibilité de leur expression publique ou privée. Par-delà l'ensemble de leurs dérives, dramatiques en nature mais marginales en nombre, ils jouent d'un équilibre trouble entre une fonction cathartique explicite et nécessaire à l'égard du monde, et une fonction de réassurance dans des entre-soi constants et confortables.

Puisqu'Elon Musk est désormais à la tête de Twitter, au moins deux questions restent sans réponse. La première est de savoir ce que les utilisateurs du réseau social feront des nouvelles fonctionnalités offertes si elles sont bien mises en oeuvre : absence quasi-totale de modération, possibilité d'éditer et de corriger des Tweets après leur publication, liberté d'expression totale. Il n'est pas sûr que la principale attente des usagers se décline autour de ces trois axes. Il est même assez probable qu'au regard des effets délétères que cette bascule pourrait produire, le réseau ne finisse par perdre plutôt que de gagner des utilisateurs. Ou qu'en tout cas sa sociologie se modifie radicalement, et avec elle ses usages futurs, et donc sa monétisation publicitaire. Mais de cela, Elon Musk s'en fiche car seul compte pour lui ce qu'il estime être juste à ses yeux. Et l'autre grande question est celle de la confrontation aux réglementations européennes comme le DSA (Digital Service Act) qui entend faire entrer les plateformes dans un schéma de régulation et de responsabilité qui est l'antithèse exacte de la philosophie et du projet libertarien porté par Elon Musk.

Et puisque parmi ses provocations jamais totalement gratuites, Elon Musk proposait de rebaptiser Twitter en "Titter" (jeu de mot graveleux sur "téton"), à l'instar de Pink Floyd, on voudrait lui chanter "Hey ! Elon ! Leave Twitter alone, all in all you're just, another prick in the social wall". Mais il faudra plus qu'une chanson pour sortir de l'incarnation et parvenir à ramener et à garder ces plateformes dans des espaces publics délibératifs ou a minima dans des structures privées disposant de contre-pouvoirs efficaces et constitués.

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Un commentaire pour “Puisqu’Elon Musk a racheté Twitter, il faut imaginer Hannibal Lecter rachetant Mc Donald.

  1. > Sur le plan personnel, Elon Musk est une personnalité plus que sulfureuse du point de vue de sa surface et de ses hoquets médiatiques, et il a révélé (peut-être pour atténuer ou justifier le point précédent) _être atteint_ d’un trouble du spectre autistique (il s’est dit “Asperger” même si le terme n’est plus usité aujourd’hui).
    L’autisme est une condition, pas une maladie.
    Voir une vidéo de 2min à ce sujet pour comprendre cette distinction : https://www.youtube.com/watch?v=7TGNwLT4brA

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