Universités : le temps de désobéir est venu.

Nos étudiant.e.s n'en peuvent plus. Celles et ceux qui n'ont pas encore abandonné, celles et ceux qui n'ont pas encore sombré dans la dépression ou dans des comportements compulsifs nous le disent chaque jour : ils et elles ne s'attendent plus à rien. Et c'est peut-être ce qu'ils nous disent de plus terrible. Ils et elles ne s'attendent plus à … rien. Ils se refusent même à espérer vu que chacun de leurs (minces) espoirs est douché, rincé, lessivé, soit par l'absolu et souverain mépris du gouvernement qui n'a jamais un mot pour eux, soit par l'incurie des directives ministérielles qui prétendent ordonner un impossible, soit par la parole même des équipes administratives et pédagogiques qui ne peuvent qu'annoncer une consigne la veille et l'annuler le lendemain. Nous ne fabriquons plus rien d'autre que du renoncement et de la résignation. C'est encore plus qu'insupportable, c'est au-delà de l'anormal, et ce sera désormais sans moi. 

Le régime d'examen mis en place en cette période de partiels est lui aussi un pur scandale à la fois sanitaire (des étudiants en médecine se sont vus signifier qu'ils redoubleraient leur année s'ils ne se présentaient pas à l'examen, même s'ils étaient positifs au Covid, se trouvant donc avec le choix entre redoubler ou contaminer une promotion entière), mais aussi logistique et humain (on les confine chez eux pendant des mois et on les oblige à revenir souvent de loin pour 2 ou 3 jours d'examens parfois étalés sur plusieurs semaines). 

[Edit du 11 Janvier 2021] De manière tout à fait ahurissante, Anne-Sophie Barthez (Directrice Générale de l'enseignement supérieur) et Frédérique Vidal (ministre, enfin il paraît) affichent une incompétence tout à fait inédite et qui vaudrait à toute personne censée de se vêtir de honte, de s'excuser et de démissionner. Songez que dans beaucoup d'universités, les étudiant.e.s cas contact Covid ou même malades ont eu à faire le choix d'aller passer leurs partiels en risquant donc de contaminer des promotions entières, ou de … rater leur année en n'allant pas passer leurs partiels. Face à la colère légitime des étudiant.e.s, Anne-Sophie Barthez et Frédérique Vidal ont dans un premier temps affirmé – le 7 Janvier – que le fait d'être malade ou cas contact Covid donnait droit à l'organisation de sessions "de substitution" (pas de rattrapage, c'est une nuance mais elle est importante). Et là on se dit : "bon ok, c'est quand même le minimum et c'est bien". Sauf que le 8 Janvier, Anne-Sophie Barthez et Frédérique Vidal, ces deux ectoplasmes administratifs dénuées de toute forme d'empathie, de sens moral ou de simple exigence professionnelle se sont aperçues que ce droit à des sessions de compensation n'en était pas un, que cette "obligation" n'en était pas une mais simplement une "recommandation" faite aux universités, recommandation que beaucoup d'entre elles n'appliquent … pas.

Et nous revoilà à la situation de départ : tu es étudiant.e, malade ou cas contact Covid et tu passes des partiels ? Et ben vas-y, contamine des promos entières ou renonce à ton année. Et l'on s'étonne que des gymnases réquisitionnés pour lesdits partiels soient incendiés ? Mais putain qui fout le feu ? Celles qui foutent le feu, celles qui produisent, valident et signent ces circulaires imbéciles ou inapplicables, celles qui ne sont même pas foutues de savoir ce que contiennent réellement les circulaires qu'elles signent et produisent, s'appellent Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l'enseignement supérieur, et Frédérique Vidal, ministre (enfin il paraît) de l'enseignement supérieur. 

C'est tellement ahurissant, consternant, navrant, et révélateur d'un mépris total et d'une incompétence manifeste … Je vous ai fait une copie d'écran de l'échange car il risque d'être effacé

Capture d’écran 2021-01-11 à 11.17.21

[/Edit du 11 Janvier 2021]

Les happenings des cours de rue ont rempli leur effet : permettre de parler de la souffrance étudiante, permettre d'inscrire, au moins un temps dans l'agenda social, médiatique et politique la situation et la parole de ces 2,5 millions de jeunes gens et de jeunes filles. Il faut continuer. Continuer d'en parler et de (les) rassurer. Mais cela ne suffit pas, cela ne suffit plus. Il faut agir. Et agir vite. 

Sur certains campus les CROUS se contentent de distribuer des repas froids mais ils refusent d'ouvrir des salles de restauration, obligeant les étudiants à manger dans leur voiture ou à l'extérieur en plein gel, les espaces universitaires étant eux-mêmes soit saturés, soit interdits. C'est de la folie douce. C'est de la folie pure. 

Rentrée chaotique et avis d'épuisement général titrait le journal Le Monde. Alors il est temps. Il est temps de désobéir. 

Il est temps de désobéir.

Car voici l'état réel des universités. 

Nous avons des masques en quantité suffisante dans toutes les universités.
Nous avons du gel en quantité suffisante dans toutes les universités.
Nous avons des plaques de plexiglas en quantité suffisante dans (presque) toutes les universités.
Nous avons des protocoles d'occupation alternatifs (1 semaine sur 2, un groupe sur 2, un en présentiel l'autre en distanciel) dans toutes les universités.
Nous avons des consignes à la con du ministère dans toutes les universités.
Nous avons des milliers d'étudiant.e.s au bord du gouffre dans toutes les universités.
Nous avons des campus, salles, amphis gigantesques absolument déserts dans toutes les universités. 
La France, 6ème puissance économique mondiale, dispose de toute une batterie de tests (PCR, antigéniques, salivaires …). 
La France, 6ème puissance économique mondiale, dispose de vaccins. 
Nous avons des milliers d'étudiant.e.s au bord du gouffre dans toutes les universités.
Il ne nous manque que du courage. 

Car quoi d'autre ? Même avec tout cela nous ne pourrions accueillir des étudiant.e.s que s'ils sont en première année ? Que par groupe de 10 ? Que sur convocation ? Qu'encadrés par des tuteurs étudiants eux-mêmes pas encore recrutés ? Et il faudrait attendre encore 15 jours ou 3 semaines pour "laisser le temps" de mettre en place cet accueil indigne et aberrant en place ? Et il faudrait encore continuer d'envoyer des "listes de cours en TP" pour autant de demandes de dérogation à faire valider par le rectorat (!) pour leur mise en place ? On ne pourrait pas accueillir des groupes de 30 ou de 60 étudiants alors même que des amphis de 120, de 200 ou de 400 places sont totalement vides et déserts sur les campus ?? Les présidents d'universités eux-mêmes ont indiqué qu'ils ne pouvaient pas appliquer les circulaires de la ministre car elles étaient trop connes et trop hors-sol. Mais comme ils sont présidents d'universités ils l'ont dit avec des mots différents : les circulaires sont arrivées "trop tard", et elles sont "difficiles à mettre en place". 

Sans moi. Sans moi. C'est épuisant, c'est injuste, c'est frustrant, c'est incompréhensible. Ce sera donc sans moi. Je désobéis. Je viens d'en informer mes étudiant.e.s et mes collègues, que je vais continuer d'essayer de convaincre de faire de même. 

Je ferai cours dès la semaine prochaine en présentiel. Je serai donc dans une forme "d'illégalité" dont j'assumerai entièrement les conséquences. D'illégalité mais pas d'irresponsabilité. Parce que je ferai cours en présentiel mais que ce présentiel se fera sur la base du volontariat et des possibilités de chacun.e. Parce que celles et ceux qui ne pourront pas revenir ou être là "juste pour mon cours", pourront aussi le suivre à distance à un autre moment et sous une autre forme, qu'aucun.e ne sera donc lésé. Je serai dans l'illégalité mais pas dans l'irresponsabilité parce qu'en plus de n'accueillir que des étudiant.e.s volontaires, je le ferai en respectant scrupuleusement les seules règles cohérentes et adaptées à la situation sanitaire :

  • des cours avec des jauges de salles divisées au moins par 2 et le plus souvent par 4
  • aération régulière (même on se pèle, globalement on se pèle de toute façon déjà dans la plupart des salles en temps normal ;-) 
  • le port du masque et la mise à disposition de gel

Et si on vient m'expliquer que c'est irresponsable, alors je prendrai mes étudiant.e.s et mes étudiants et je ferai ce que racontait l'année dernière le président : je traverserai la rue. Simplement ça. Car de l'autre côté de la rue de l'IUT où j'enseigne à des jeunes gens et jeunes filles entre 18 et 20 ans qui sont 60 par promo mais dans des amphis de 120 places, de l'autre côté de la rue de l'IUT où j'enseigne, il y a un lycée disposant de BTS et de classes prépa ou d'autres enseignants donnent depuis septembre sans jamais aucune interruption des cours en présentiel à des jeunes gens et des jeunes filles entre 18 et 20 ans dans des classes de 35 places peuplées de parfois plus de 35 élèves. 

Diapositive1

Alors voilà. Je désobéis. Et je vous assure que je le fais autant pour moi que pour elles et eux. 

Et comme le chantait Boris Vian, "Si vous me poursuivez, dites à vos gendarmes Frédérique Vidal que je serai sans armes, et qu'ils pourront tirer qu'elle pourra me virer."

En tout cas essayer. Mais je ne peux pas promettre que je n'opposerai pas de résistance 😉

7 commentaires pour “Universités : le temps de désobéir est venu.

  1. Billet nécessaire par le message qu’il véhicule, fort et digne.
    Une remarque cependant : les universitaires peuvent en toutes légalité et liberté (avant 20h, début du couvre-feu) se rendre dans les campus pour y dispenser leurs cours, quitte à se filmer in situ pour les besoins de leur diffusion “en distanciel” ; en revanche, l’article 34 du décret du 29 octobre 2020 (reproduit ci-après) interdit aux étudiantEs d’accéder aux salles de TDs et amphithéâtres.
    Article 34
    L’accueil des usagers dans les établissements d’enseignement supérieur mentionnés au livre VII de la troisième partie du code de l’éducation est autorisé aux seules fins de permettre l’accès :
    1° Aux formations lorsqu’elles ne peuvent être effectuées à distance compte tenu de leur caractère pratique dont la liste est arrêtée par le recteur de région académique ;
    2° Aux laboratoires et unités de recherche pour les doctorants ;
    3° Aux bibliothèques et centres de documentation, sur rendez-vous ;
    4° Aux services administratifs, uniquement sur rendez-vous ou sur convocation de l’établissement ;
    5° Aux services de médecine préventive et de promotion de la santé, aux services sociaux et aux activités sociales organisées par les associations étudiantes ;
    6° Aux locaux donnant accès à des équipements informatiques, uniquement sur rendez-vous ou sur convocation de l’établissement ;
    7° Aux exploitations agricoles mentionnées à l’article L. 812-1 du code rural et de la pêche maritime.

  2. Merci pour les précisions, c’est précisément ce point de l’article 34 concernant les étudiant.e.s que j’entends contester et auquel je vais, à mon échelle et avec les précautions énoncées dans le billet, désobéir.

  3. Je comprends tout à fait l’argument du billet et le ministère nous laisse dans le flou alors qu’on est plutôt parti pour faire encore entre 2 et 5 fois en distianciel, malgré les messages nous laissant penser que dans 3 semaines, puis re-dans 3 semaines…
    mais la proposition tombe peut-être dans la qualification de mise en danger de la vie d’autrui par une personne détenant une sorte d’autorité ?

  4. Robert> non puisque je demande aux étudiants de venir en présentiel sur la base du volontariat. Et que je continue de compenser en ligne pour celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas.

  5. Se rappeler lors de la votation 2022
    De l ignorance de ce gouvernement Macron à votre egard génération oublié mais rendez lui une réponse demain

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