Cours de rue.

[Une version un peu différente de cet article a été publié sur le site de l'Obs vendredi 11 décembre sous le titre "Les facs sont fermées ? Faisons cours dans la rue."]

Je suis enseignant-chercheur à l'université de Nantes. Et à l'IUT de La Roche-sur-Yon. Je vais faire un cours de rue. Mardi prochain. Le 15 Décembre 2020. A La Roche-sur-Yon. En Vendée. 

Voici la page de l'événement Facebook (si vous voulez vous y inscrire). Voici surtout les infos essentielles pour y assister. Car tout le monde peut y assister. 

Date : Mardi 15 décembre.

Lieu : Place Napoléon, face à l'église Saint-Louis, La Roche sur Yon, Vendée (85)

Horaire : rendez-vous à 13h30. Le cours commencera à 13h45. 

Aspects logistiques : cours en plein air mais port du masque obligatoire. Pensez à prendre un parapluie au cas où. 

Faut-il se munir d'une attestation de sortie ? Non. Même si le déconfinement n'a pas eu lieu comme prévu le 15 décembre, l'attestation de déplacement n'est plus obligatoire en journée à compter de cette date comme l'a indiqué Jean Castex dans son intervention du Jeudi 10 Décembre. Vous n'en aurez donc pas besoin. 

Qui peut venir ? Tout le monde. Absolument tout le monde. Cours de rue quoi.  

Quel sera le sujet du cours ? Surprise 😉 Mais ce sera accessible à tout le monde. "Aucun pré-requis n'est nécessaire" comme on dit à l'université. Et comme je suis nul en surprises le thème du cours sera "10 anecdotes étonnantes de la culture numérique. La 3ème va vous étonner". 

Y en aura-t-il d'autres d'organisés ? Probablement. Certainement si – hélas – les universités devaient rester fermées (sauf exceptionnels TP) jusqu'en Février.

Des médias seront-ils présents ? Oui. Et j'espère qu'ils seront nombreux. Ils et elles sont en tout cas les bienvenu.e.s :-) 

Et puis il y a bien sûr la question. 

Pourquoi un cours de rue ?

Pourquoi un cours de rue ? Parce que l'image la plus partagée par les étudiant.e.s suite aux annonces de Castex de ce Jeudi, c'était celle-là.

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Pourquoi un cours de rue ? Parce que les prières de rue ont permis d'ouvrir les églises. Quoi d'autre ? Et qu'un référé de la conférence des évêques de France a suffi pour que le conseil d'état oblige le gouvernement à exploser le seuil de 30 personnes pour le ramener à un nombre de personnes au mètre carré. Mais que notre référé à nous, universitaires, n'a rien donné. Parce que le jeune président de la startup nation qui était en fait un vieux con comme les autres a décidé que 2,5 millions d'étudiant.e.s seraient les derniers de sa putain de cordée. J'ai juste besoin de comprendre pourquoi des gens démographiquement plutôt bardés de comorbidités et de fragilités diverses (sociologie de la messe hein, pas de jugement) peuvent se retrouver à plus de 6 par mètre carré pour chanter et manger des osties distribuées à la main dans des églises mal ventilées, et pourquoi des jeunes gens et jeunes filles de 18 à 25 ans ont interdiction jusqu'en Février de se retrouver dans des amphis ou dans des salles de cours avec les mêmes jauges et l'ostie en moins, et avec des conditions sanitaires déjà efficaces (la rentrée de Septembre l'a démontré). C'est en gros la réponse à cette question que je vais aller chercher (et j'espère n'être pas le seul) en faisant mon cours de rue devant l'église Saint-Louis à La Roche sur Yon. 

Juste pour vous donner une idée de mon niveau d'incompréhension au lendemain de l'annonce par Emmanuel Macron de la réouverture des universités en février, soit presque deux mois après l'ouverture des messes et autres lieux de culte, j'en suis venu au point où j'ai carrément écrit aux diocèses de Loire-Atlantique et de Vendée pour leur demander de me prêter une église pour y accueillir mes étudiant.e.s. La preuve avec la réponse (mignonne) du curé local. 

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Pourquoi un cours de rue ? Parce que seul.e.s près de 2,5 millions d'étudiantes et d'étudiants sont privés de sociabilités essentielles. Tout le monde, absolument tout le monde a repris une activité quasi-normale, les commerces – essentiels ou pas essentiels, les lycéens et collégiens, les salariés (qui sont très loin de tous télétravailler), les employés, les professions libérales, tout le monde vous dis-je. Sauf les étudiantes et les étudiants, qui sont littéralement en train d'en crever avec leurs maux à elles et à eux, qui s'appellent dépression, angoisse, isolement, perte de repère, de confiance, de sommeil, de poids, niveau de stress constant, et tant d'autres maux encore. 

Pourquoi un cours de rue ? Parce qu'en tant qu'enseignant c'est absolument insupportable de n'avoir rien d'autre à leur offrir que de longues heures de cours en visio, des partiels de fin d'année et un peu de commisération. Et que leur détresse est uniforme : elle les touche tous et toutes, les très bons et les plus fragiles, les plus motivés et les plus démotivés, les mieux confinés et les plus isolés, de la 1ère année de licence à la dernière année de master. Tous et toutes. 

Pourquoi un cours de rue ? Parce qu'il va finir par y avoir un drame et que ce jour là il faudra être capable de continuer de se regarder en face dans une glace. Parce que nous, leurs parents, leurs enseignants,  leurs aînés, nous nous devons de faire autre chose que de les regarder crever à petit feu. Et si vous pensez que j'exagère vous êtes très loin du compte. Y compris dans des lieux d'études plutôt protégés comme Sciences Po, près de la moitié des étudiants présentent aujourd'hui des symptômes dépressifs graves au regard de l'échelle HAD (la méthodologie et les résultats complets de l'étude sont disponibles en ligne) Tous les enseignants chercheurs travaillant sur le sujet sont unanimes, la santé mentale des étudiant.e.s est en danger grave et imminent. Et ils et elles le disent, l'écrivent, le hurlent partout et tout le temps. Ils et elles n'ont pas besoin de psychologues mais ils et elles ont besoin de se voir et de se retrouver.

"Le problème, c’est que notre vie quotidienne est devenue insupportable et que tout le monde prétend ne rien voir parce que c’est plus simple." (Texte de Maina C, "Du malaise en milieu étudiant", à lire sur Mediapart)

Les cours en ligne n'ont pour la plupart des étudiant.e.s absolument plus aucun sens sinon de permettre à celles et ceux qui ont encore de quoi bouffer de faire leur vaisselle. Nos étudiant.e.s nous allons les retrouver en miettes, si nous les retrouvons un jour. Un vrai Burn-Out étudiant qui les affecte tous et toutes à des niveaux souvent divers mais toujours trop graves pour ne pas sonner l'alarme pendant que nous le pouvons encore. 

Pourquoi des cours de rue ? Parce que face à tout cela, et dans un contexte sanitaire grave dont il ne s'agit à aucun moment de nier la réalité, les réponses du gouvernement apportées à la question étudiante sont pathétiques, indignes, méprisantes. Toutes les universités (par ailleurs "soi-disant" autonomes …) sont en capacité d'accueillir tou.te.s les étudiants dans des conditions sanitaires parfaitement adaptées. Elles étaient prêtes dès Septembre, elles n'ont jamais cessé de l'être. Pas la peine d'attendre le 20 Janvier, le 5 février ou les calendes grecques.

L'annonce de Castex selon laquelle des plans étaient à l'étude pour dès Janvier accueillir "des étudiant.e.s ciblé.e.s" n'a aucun sens, absolument aucun sens. Irréalisable, irréalisable, infaisable. Ciblés sur quel critère ? Les plus pauvres ? Les plus dépressifs ? Les plus jeunes ? Les étudiants étrangers ? Celles et ceux-là même dont le même gouvernement multipliait par 16 les frais d'inscription à l'université ? Et quel mépris supplémentaire pour celles et ceux qui ne seront pas dans le coeur de "cible" de cette bande de communicants d'opérette. Et surtout quelle putain de méconnaissance de la réalité du malaise en milieu étudiant. Tou.te.s les étudiant.e.s ont un besoin vital, vital, de retrouver immédiatement le chemin de leurs sociabilités universitaires. Oser prétendre le contraire une fois de plus, oser insinuer qu'il en serait de prioritaires à "cibler" est un non-sens absolu, ce n'est pas une simple erreur d'appréciation mais c'est une faute politique qui ne se résoudra pas par le lancement d'un énième putain de numéro vert. 

Pourquoi un cours de rue ? Parce qu'il faut aussi parler de l'organisation des examens. Et pour en dire quoi ??? Que penser de l'idée même d'obliger des étudiant.e.s contraint.e.s à des confinements mortifères à revenir s'entasser dans des amphis ou dans des gymnases pour passer … des examens le temps d'une ou deux journées ???

Le point ultime du mépris et de ce doigt d'honneur adressé à la jeunesse étant atteint du côté de la fac de médecine de Saint-Etienne où il faudra choisir entre mentir sur son état de santé (si l'on a le Covid ou que l'on est cas contact), créer un cluster, ou redoubler. Même chose à Brest, et toutes les facs de médecine vont être concernées. Toutes parce que c'est le ministère lui-même via une note de service du 1ere Décembre de la DGESIP qui a créé cette situation ubuesque et d'une violence symbolique absolument inouïe. C'est le ministère de l'enseignement supérieur lui-même qui organise et décrète ainsi une rupture d'égalité dans l'accès à un concours. C'est totalement dingue. Ces gens sont totalement dingues et totalement dépassés. Mais les étudiant.e.s, nos étudiant.e.s n'ont pas à subir cette incurie, ce mépris et cette violence. 

Pourquoi un cours de rue ? Probablement aussi parce que la misère galope : en France, dans la 6ème puissance économique mondiale, il n'y aura bientôt plus une seule université, plus un seul campus sans son épicerie solidaire ou sa distribution alimentaire aux étudiants nécessiteux. Rennes, Nantes, Bordeaux, Paris, Marseille, et tant d'autres. Et les "petits" sites délocalisés n'y font pas exception : nous sommes en train d'en ouvrir une à l'échelle du campus de La Roche sur Yon. Les étudiant.e.s qui restent sont dans des situations financières et sanitaires de plus en plus précaires, les autres ont renoncé et vont, comme ils peuvent, se jeter sur des emplois de la gig-économie et autres précariats. D'autres enfin cumulent précariat économique et précarité étudiante pour espérer que ce qu'ils gagnent mal dans un monde leur permettre d'à peine survivre dans l'autre. Jusqu'à quand considérerons-nous que la mise en place d'épiceries solidaires est une fin en soi et qu'il n'est d'autre moyen de gérer la misère ? La création annoncée en fanfare de 60 (!) postes d'assistantes sociales dans les universités pour un public de 2,5 millions d'étudiants dont 20% vivaient déjà en dessous du seuil de pauvreté avant le premier confinement, cette annonce est parfaitement indigne et relève non pas d'une politique d'accompagnement mais d'une opération de communication de cache-misère. La médecine universitaire en France est digne de celle d'un pays du tiers-monde, quand à l'accompagnement psychologique qui en est une des composantes, il est en dessous de tout : la France dispose d'un psychologue pour 30 000 étudiant.e.s soit 20 fois moins que le taux recommandé par l'IACS (Accréditation internationale des services de santé mentale universitaires). Ce n'est pas simplement consternant, dans la période actuelle c'est criminel. Alors oui, voilà pourquoi, aussi, des cours de rue. Parce que si même le droit d'assister à des cours est ôté à ces étudiantes et à ces étudiants, comment voulez-vous que nous, enseignants et personnels universitaires, puissions encore nous regarder dans une glace sans l'envie de nous gifler et sans éprouver un immense sentiment de honte et de gâchis ? 

Pourquoi un cours de rue ? Parce que tout le monde voit bien que Macron ne changera pas d'avis. Les étudiant.e.s reprendront en dernier, s'ils reprennent un jour. Il ne se dédira pas. Il prétextera l'évolution de la condition sanitaire dont tout le monde sait qu'elle sera probablement pire après les fêtes pour s'en tenir à ce qu'il avait indiqué initialement, c'est à dire que que les universités ouvriront … 15 jours après tout le monde, y compris les restaurants. Nous serons alors en février, les vacances arriveront aussi, pour 15 jours, viendra ensuite le mois de Mars qui marque la fin de beaucoup de cycles et d'années universitaires (avec le départ en stage des étudiant.e.s). Et alors pour la deuxième année consécutive, une génération verra l'espoir d'une vie sociale s'étouffer une nouvelle fois. They Can't Breathe

Alors je vais faire un cours de rue. Un premier. Puis probablement un deuxième, et un troisième. Vous vous souvenez peut-être d'un magnifique film sorti il y a quelques années : "Être et avoir". Et bien voilà. Nous étudiant.e.s n'ont pas besoin "d'avoir" des cours, ils et elles ont un besoin vital d'être en cours. D'être en cours. Et puis j'espère que nous serons nombreuses et nombreux à en faire. Des cours de rue. Partout. Sur les places. Sur les marchés. Dans les rues. Nous en profiterons pour faire un clin d'oeil à Sahar Varèse, personnage du roman "Les furtifs" d'Alain Damasio, une "proferrante" (concaténation de "professeur" et "errante"). Et surtout, nous en profiterons pour offrir à nos étudiant.e.s ce dont ils ont le plus besoin et ce sans quoi nous-mêmes ne sommes rien sans eux pour le vivre ensemble : un gai savoir.

 

9 commentaires pour “Cours de rue.

  1. Merci et dites leur aussi qu’en BU, ils peuvent se retrouver, avoir de l’espace pour travailler… que nous n’attendons qu’eux

  2. Bravo pour cette initiative!!
    J’espère que ça fera réfléchir ceux qui ont pris la décision de laisser les universités fermées!

  3. Merci! Je suis émue de trouver enfin quelqu’un qui se préoccupe des étudiants ! Cet abandon de nos jeunes, de nos enfants, ce désintérêt du gouvernement, des médias est tellement difficile à vivre !

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