Mes étudiant(e)s et le(ur) numérique.

J'ai demandé à mes étudiant(e)s (qui ne sont toujours pas des délinquant(e)s) en première année de DUT information-communication de l'IUT de La Roche sur Yon un travail sur leur rapport au numérique et à l'information pendant ce temps inédit de confinement. Cela faisait suite au cours que j'ai (mal) fait en podcast sur la "culture numérique".

L'idée était qu'ils prennent le temps, de manière la plus libre possible dans la forme, de (me) raconter ce que cette période inédite avait modifié, changé, confirmé ou ancré à la fois dans leur rapport "au numérique" en général (outils, services) et à l'information. Il s'agit de 60 étudiant(e)s de première année de DUT, donc entre 18 et 19 ans pour la plupart, et d'un public très majoritairement féminin (10 garçons et 50 filles). 

J'ai beaucoup souri en les lisant. Et j'ai aussi été assez souvent ému par ce qu'ils et elles racontaient. Sans entrer dans les détails, plusieurs choses m'ont frappé.

D'abord la présence écrasante de la télévision dans ces cohabitations familiales (souvent) subies. Et le ressenti de mes étudiant(e)s d'une forme de "monomanie" télévisuelle consistant à décliner perpétuellement la même information anxiogène (nombre de morts notamment). Et en effet : 75% du temps d'antenne sur un seul sujet pendant 8 semaines : c'est inédit. Une monomanie face à laquelle "les réseaux sociaux" et "le" numérique étaient vus comme une respiration par beaucoup d'entre eux, respiration humoristique et distanciée, avec un réel plébiscite pour Twitter, Youtube et Tik-Tok. Tik-Tok que beaucoup disaient regarder avec condescendance avant le confinement mais pour lequel beaucoup confessent avoir "craqué" à l'occasion dudit confinement. Pour la quasi-totalité des étudiant(e)s qui l'ont évoquée, la scène du repas de famille devant le journal télévisé fut une véritable purge. Reproduite parfois deux fois par jour. Deux fois de trop. Comme un enfermement dans l'enfermement. Effet de saturation et même de suffocation au regard de l'angle presqu'unique des médias télévisuels sur le Coronavirus. Et devant un média (la télé) que beaucoup disent également ne plus jamais regarder dès lors qu'ils sortent du foyer familial.

Si Blanquer (ministre de l'éducation nationale et de l'injonction paradoxale) invoquait "Phèdre plutôt que Netflix" à propos du maintien de l'oral du bac français, je vous confirme que pour celles et ceux dotés d'une connexion digne de ce nom ou ayant eu la chance de pouvoir rentrer dans leur famille, Netflix semble avoir littéralement sauvé des vies ou à tout le moins évité nombre de dépressions. L'absence de lien social a comme imposé une pulsion de narration que la plateforme est opportunément venue combler. "Oui, prince, je languis, je brûle pour Netflix".

Si l'on pointe souvent le fait que les jeunes sont exposés aux Fake News, beaucoup de mes étudiant(e)s relatent une réalité différente : ce sont elles et eux qui ont souvent dû expliquer à leurs parents ou grands-parents que "non le Covid ne se transmettait pas par le contact avec les animaux", ou que "non il n'avait pas été mis au point par les russes dans un laboratoire chinois". Les étudiant(e)s, les "jeunes" ont bien souvent été le remède plutôt que le poison dans la métabolisation des fausses nouvelles en circuit fermé médiatique. 

En termes de génération, beaucoup expliquent que leurs parents (mères souvent) ont fini par "craquer" et s'ouvrir un compte Facebook, ou en réactiver un ancien qu'ils avaient déserté ou n'avaient jamais vraiment utilisé et alimenté. Et générationnellement toujours, beaucoup indiquent également s'être "rapprochés" des publications numériques de leurs parents ou des membres de leur famille, pour "voir" ce que ces parents pouvaient écrire ou partager. Parfois avec étonnement, souvent avec un peu de honte en mode "oh mon dieu mais comment peuvent-ils partager ça !!"

Mes étudiant(e)s m'ont également raconté la claire conscience de fractures générationnelles, qu'elles soient "professionnelles" (les profs qui découvraient discord et les salons vocaux) ou familiales comme évoqué ci-dessus. Mais aussi des changements d'habitudes en quête de socialisation (les parents qui devenaient fans des apéros virtuels alors qu'avant "ils ne faisaient jamais d'apéro"). 

Quelques-un(e)s se sont interrogé(e)s sur les processus d'idéalisation et la pression d'un confinement "positif quoi qu'il en coûte" véhiculé par tous types d'influenceurs (faire du sport, bien se faire à bouffer, bien faire le ménage, etc.)

Beaucoup d'étudiantes et d'étudiants pointent également la modification de leur rythme de vie, les couchers tardifs, le conditionnement d'une dépendance aux écrans, ou plus exactement la quête désespérée de socialisation qui ne pouvait pas se faire en dehors des écrans. 

Beaucoup ont aussi mentionné, parfois sans les nommer ainsi, de nouvelles formes de synchronicités ou d'a-synchonicités : observant souvent le commentaire d'une information relayée sur leur média numérique avant que d'entendre l'information elle-même. Cette approche de l'information par le commentaire est un symptôme passionnant à observer et à questionner. Comme une sorte de Jeopardy de la compréhension du monde.  

La temporalité contrainte de l'écran a aussi poussé beaucoup d'entre elles et beaucoup d'entre eux à consulter régulièrement les fonctionnalités de leurs smartphones dédiées à la mesure du "temps d'écran", comme un miroir tendu à leur propre assignation à consultation.

Certains évoquent le fait que leurs activités de publication (leurs posts) ont plutôt stagné ou été légèrement en baisse, car ne pouvant plus être nourris par des activités extérieures à documenter ensuite. Là aussi c'est passionnant. Le temps numérique est un temps retard. Retard qui est celui du temps de sa documentation. A l'inverse de leurs "publications", leurs activités de "partage" (share, likes, retweets) semblent avoir systématiquement augmenté. 

Ils et elles m'ont ravi parce que beaucoup ont pu mettre des mots et des concepts sur des réalités et des expériences de leur quotidien : les bulles de filtres bien sûr, mais aussi et surtout l'illusion de la majorité et la tyrannie des agissants, ou bien encore la kakonomie : autant de concepts évoqués dans le cours et qu'ils ont "retrouvé" et été capables d'appréhender et de mobiliser dans ces quotidiens étranges d'un confinement prolongé. L'impression donc, que même loin et même mal, ce cours a pu servir à quelque chose. Leur servir. C'était (forcément) le but recherché. 

Enfin et même si naturellement 60 étudiant(e)s de première année d'un DUT infocom à La Roche sur Yon n'ont pas valeur de panel généralisable, les expériences les plus difficiles ont concerné celles et ceux dont la connexion était limitée ou défaillante, et qui vivaient souvent une double peine en étant aussi les plus éloignés de leurs proches ou de leur famille. 

Chacun a vécu "son" rapport au numérique et à l'information comme chacun vit au quotidien "son" rapport au corps. C'est à dire une métabolisation de ses craintes, de ses espoirs, de ses obsessions, de ses désirs et de ses projections. Et je crois que pour beaucoup, s'est installée la certitude qu'il y avait, entre elles et eux et ce "milieu", toujours quelque chose à observer, à mesure, à décrire et à négocier. 

<Mise à jour du soir espoir> Pour retrouver et partager plein d'autres moments "confinés" vécus, racontés, transgressés, imagés, filmés, par les étudiant(e)s de 1ère année du meilleur DUT Infocom de la galaxie connue, c'est sur l'incontournable média pure player Hashtags-infos. Enjoy. 

Un commentaire pour “Mes étudiant(e)s et le(ur) numérique.

  1. Un très bel article ! Le numérique a en effet été d’une grande importance durant le confinement. Visionner des films et des séries sur Netflix ou garder le contact avec ses collègues et ses proches par le biais des réseaux sociaux : elles étaient nombreuses ces raisons qui nous ont permis de surmonter l’affaiblissement du lien social en ces temps récemment compliqués.

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