La changement climatique n’existe pas. Seul compte le taux de change du mot climat.

Un jour un homme a acheté aux enchères le mot climat. Il a remporté l'enchère. Et à chaque fois que l'on cherche à se renseigner sur le climat on ne voit plus que des informations sur ce que cet homme pense du climat. 

Ceci n'est pas un mauvais scénario de roman de science-fiction mais la réalité.

Cet homme s'appelle Mike Bloomberg. Magnat des médias c'est la 11ème fortune mondiale avec une fortune personnelle estimée à plus de 58 milliards de dollars. Mike Bloomberg a décidé de se présenter à l'élection présidentielle américaine pour le camp démocrate (contre Trump), mais sans passer par le parcours d'investiture. En franc-tireur. Et en s'appuyant donc uniquement sur sa fortune personnelle. La 11ème mondiale. 58 milliards de dollars.

Et il vient d'acheter le mot climat sur Google, ainsi que plus de 840 expressions liées. 

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Résultat de recherche sur la requête "crise climatique"


Bloomberg

Résultat de recherche sur la requête "effondrement climatique"
 

Le capitaliste et le linguiste.

(Si vous connaissez les travaux de Frédéric Kaplan et/ou que vous êtes un lecteur régulier d'Affordance, vous pouvez sauter tout ce paragraphe)

Le concept de capitalisme linguistique a été développé par Frédéric Kaplan au début des années 2010, et il est parfaitement résumé dans un article fondateur paru sur le Monde Diplomatique et dont l'incipit est le suivant : 

"Le succès de Google tient en deux algorithmes : l’un, qui permet de trouver des pages répondant à certains mots, l’a rendu populaire ; l’autre, qui affecte à ces mots une valeur marchande, l’a rendu riche."

Lorsque j'explique le capitalisme linguistique à mes étudiants, j'utilise la métaphore pétrolière, je leur explique que Google a accumulé une ressource naturelle : le vocabulaire, la langue. Qu'il en a aussi organisé l'extraction (indexation) et qu'il opère sur elle des logiques de raffinerie pour ses différents services. Et qu'étant en situation de quasi-monopole sur l'extraction et la raffinerie de cette ressource, il en a profité pour créer un marché (celui de sa régie publicitaire Google Adwords qui s'appelle aujourd'hui Google Ads) et qu'il est libre d'organiser la spéculation sur ce marché. Libre de décider qu'en fonction de l'abondance ou de la rareté attentionnelle, médiatique et sociétale, tels mots ou groupes de mots, vaudront, à tel moment et auprès de tel public dans tel ou tel pays, plus ou moins cher. 

J'explique aussi à mes étudiants comment marche la régie publicitaire de Google. Comment les enchères sont en fait des enchère inversées permettant que le prix d'un mot soit d'autant moins cher qu'un grand nombre de personnes souhaitent l'acheter, à la fois pour éviter que seuls les plus grosses entreprises ne puissent s'accaparer l'usage publicitaire exclusif d'un mot ou d'une expression, mais aussi (et surtout) pour garantir à Google une infinité de petits clients réguliers lui garantissant des sources de revenus plus intéressantes que s'il ne travaillait qu'avec quelques "grands comptes".

Et dès que je les ai "rassurés" sur cette forme de garantie de pluralité, je leur explique aussi qu'elle est illusoire dans la mesure ou, indépendamment de l'enchère la plus basse du mot acheté (qui est donc la même que vous soyez puissant ou misérable, richissime ou désargenté), il reste possible d'investir des budgets publicitaires considérables qui permettront de garantir de toucher des publics plus larges géographiquement ou de s'assurer que le taux de rotation de sa campagne sera optimal (que votre lien sponsorisé s'affiche presque à chaque requête alors que celui d'un concurrent ne s'affichera qu'une fois sur 100, 1000 ou 10 000 ou 1 000 000 de requêtes). Il n'y a donc pas de garantie de pluralité autre que celle du marché que contrôle entièrement Google et dont il demeure par ailleurs libre de changer les règles comme il le souhaite. 

Un jour un homme a acheté aux enchères le mot climat.

Un jour un homme a acheté aux enchères le mot climat. Mais soyons plus précis. Un jour le 11ème homme le plus riche de la planète, candidat à la présidentielle américaine, a acheté aux enchères le mot climat sur Google. Ainsi que plus de 840 expressions liées. Pour que l'on ne voit que lui. Que sa campagne électorale. A chaque fois que l'on tapera le mot "climat" sur Google. Ou l'une des 840 expressions liées. Il n'a acheté le mot "climat" que pour les requêtes émanant de certains états susceptibles de faire basculer le vote. Selon certains analystes, cela ne lui coûterait qu'aux alentours de 700 000 euros par mois. Une paille sur les 100 millions qu'il a par ailleurs indiqué vouloir investir rien qu'en publicité pour battre Trump. Une paille pour l'homme dont la fortune personnelle s'élève à 58 milliards de dollars. 

C'est assez vertigineux. Assez inessentiel aussi puisque bien sûr Mike Bloomberg se désintéresse totalement de la question climatique ou qu'en tout cas elle ne l'intéresse qu'à proportion de ce qu'elle ne remet pas en cause son business, ses intérêts personnels, et sa campagne présidentielle. 

Mais tout de même. A l'heure où la question des publicité politiques chez les géants du web est une clé de voûte essentielle du fonctionnement démocratique, à l'heure où tous les signaux sont au rouge tant lesdits géants du web font absolument n'importe quoi dans la gestion de ses publicités politiques et où chacun d'entre eux, de Facebook à Twitter, se vautre dans une opacité totale sur les critères réels de ciblage publicitaire qu'ils autorisent et dans un arbitraire absolu sur la gestion globale des publicités politiques et de la part de désinformation ou de "fake news" autorisées ; au moment où nombre d'analystes, d'observateurs et d'universitaires s'accordent pour considérer le poids et le risque majeur qu'une absence de régulation et de transparence sur les publicités politiques peut avoir sur les prochaines échéances électorales ; au moment où il est parfaitement documenté que cette absence de régulation et de transparence a déjà favorisé les plus extrémistes, les plus autoritaires, et les plus climato-sceptiques des régimes et des personnalités politiques, de Bolsonaro à Trump pour ne citer que les plus saillants ; c'est donc à ce moment là précisément que la 11ème fortune mondiale candidate à l'élection présidentielle américaine en dehors de toute procédure d'investiture s'accapare le mot "climat" et plus de 840 expressions liées pour que l'on ne voit plus que lui et que sa campagne électorale. A chaque fois que l'on tapera le mot climat sur Google. Ou l'une de des 840 expressions liées. 

Le changement climatique ne vaut rien face au taux de change du mot "climat".

Il était écrit que nous deviendrions fous. Qu'à partir du moment où les mots n'auraient plus qu'une valeur marchande il perdraient alors leur sens. Que les mots ne pouvaient avoir et un prix et un sens. De l'UMP profitant des émeutes en banlieue de 2005 pour acheter les mots clés "racaille" et "banlieue" et renvoyer vers le site de campagne du candidat Sarkozy jusqu'à la possibilité de "cibler" les "Jews Haters" comme des audiences légitimes dans la régie publicitaire de Facebook en 2017, tant qu'il y aura de la haine, il y aura des gens pour n'y voir qu'un marché. Et tant que le champ lexical de la haine sera à vendre aux enchères, il y aura des fonds spéculatifs pour le faire prospérer. Car à la dimension spéculative propre au capitalisme linguistique, se surajoute la dimension spéculative intrinsèque des discours de haine. 

Et désormais donc le climat. Et le changement climatique qui semble n'avoir plus d'autre valeur que le taux de change du mot "climat". Et demain quoi ? Quel sera le prochain mot, le prochain enjeu, la prochaine question fondamentale, à se dissoudre dans la publicitarisation totale du monde et de la langue qui n'est dès lors, plus rien d'autre qu'une gangue ? S'agira-t-il simplement du futur ? Du mot "futur" ? Du mot "avenir" même ? 

"Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu'à en trouver la formule. Tout est prêt : les capitaux, la publicité, la clientèle. Qui donc inventera le désespoir ?"

Voilà ce qu'écrivait Léo Ferré en 1956. Depuis Octobre 2000 le mot désespoir se vend aux enchères sur le grand marché linguistique. Depuis Novembre 2019 le mot "climat" a été racheté par la 11ème fortune mondiale. Il y a là, en effet, une forme de dés-espérance. 

Quand nous cédons sur les mots, nous cédons sur le monde.

Quand nous renonçons à notre emprise sur la langue, nous renonçons à notre emprise sur le monde. Le jour où la langue, le jour où le vocabulaire est sorti de la sphère non-marchande, le jour où il est devenu possible d'acheter des mots aux enchères, le jour où le capitalisme linguistique est advenu, nous avons renoncé au dernier espace authentique de liberté individuelle et collective qui était notre inaliénable commun. Notre inaliénable commun. Et le dernier de nos inaliénables communs : car après l'énergie, après les transports, après l'eau, après les (télé)communications, voici donc désormais même les mots mis en marché, un marché tout sauf commun. La langue est une bataille. Elle l'a toujours été. On se vole des mots, on les habille d'idéologie. On essaie de la ramener dans son camp. Des mots on en voit apparaître et disparaître de la langue. De cet espace public inaliénable qu'est la langue. Qu'était la langue. Car désormais il suffit de les acheter. Quand nous cédons sur les mots nous cédons sur le monde.

Lorsque les mots cèdent au plus offrant, le monde est cédé aux plus puissants. Et son avenir. Et son climat. Et son futur. 

Le changement linguistique.

C'est le changement linguistique. C'est l'effondrement linguistique. Celui où la valeur symbolique universelle de la langue chute sans cesse à proportion de ce que flambe le prix des mots qui la composent. C'est la crise linguistique. Celle où l'on achète des mots pour ne plus rien leur faire dire d'autre que soi. C'est le réchauffement linguistique. Celui où s'embrasent les mots sur des marchés de l'attention qui nous empêchent de prêter attention et au monde et aux autres. 

"Pour que le désespoir même se vende …" On ne sait pas qui a inventé le désespoir. Mais on sait qui a acheté le mot climat. Pour 700 000 dollars par mois. Il s'appelle Mike Bloomberg. Il veut être président des Etats-Unis.

Pour le que le désespoir même se vende, il n'y avait qu'à acheter le mot "désespoir". C'était finalement si simple. 

<Mise à jour du 19 Décembre> Cet article a été débunké par le service Checknews de Libération (merci à eux). Et c'est bon, je ne vous ai pas raconté de bêtises 🙂

2 commentaires pour “La changement climatique n’existe pas. Seul compte le taux de change du mot climat.

  1. Merci pour ce texte!
    Coquilles: la question des publicité politiques -> publicités;
    Il perdraient leur valeur -> ils

  2. Merci pour ce très bon texte.
    C’est un détail dans ce contexte, mais il n’est pas certain que Bloomberg se désintéresse réellement du climat. Dans une logique propre aux Etats-Unis, il a endossé le rôle du magnat bienveillant, paternaliste mais aussi sincèrement engagé sur nombre de questions sociales (contrôle des armes à feu, mode d’alimentation, etc.) et prêt à investir des sommes considérables sans bénéfice direct.
    On pourrait ainsi arguer que ces achats rendent visibles une question qui a pour l’instant joué un rôle très mineur dans la campagne des primaires démocrates, et qu’en ce sens, ils peuvent avoir une utilité sociale.
    Cela n’enlève rien au raisonnement que vous menez avec une grande clarté.

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