Appel de Christchurch. Same player shoot again.

C'était donc aujourd'hui (15 mai 2019) que Jacinda Ardern et Emmanuel Macron lançaient "l'appel de Christchurch", deux mois exactement après le massacre en "live" de 51 personnes par un fou furieux se réclamant de l'idéologie suprémaciste. 

Que pouvait-on attendre de cet "appel" ? En vérité peu de choses. Certainement pas de réponse à la question de savoir pourquoi nous regardons la vidéo d'un homme qui en massacre d'autres. Au mieux de vagues promesses sur de très timides engagements. Pour le coup, nous ne fûmes pas déçus. L'appel en lui-même est d'une insipidité pathétique. On dirait un référentiel de compétences établi par un cabinet de stagiaires à l'encéphalogramme plat. Il est divisé en deux parties

D'abord on a "nous gouvernements nous engageons à" et de l'autre "nous fournisseurs de services en ligne nous engageons à". 

Et à quoi s'engagent-ils donc ? Pour les gouvernements à :

  • Lutter contre les facteurs de terrorisme et d’extrémisme violent, en renforçant la résilience et l’inclusion de nos sociétés (…) notamment à travers l’éducation, en renforçant plus spécifiquement l’éducation aux médias.

Voilà. Voila voilà voilà. C'est vrai que personne ne fait ça depuis 20 ans. Ni ne réclame de l'argent public permettant de créer plutôt que de supprimer des postes de personnels capables d'assurer cette éducation aux médias. 

  • Veiller à l’application efficace des lois en vigueur (…)

Bah oui gros. C'est en effet un peu ton taff. Mais ça marche pour tout hein. Pas que pour la lutte contre les contenus haineux en ligne. 

  • Encourager les médias à appliquer des normes éthiques lorsqu’ils décrivent en ligne des événements terroristes (…)

Voilà. Les médias. Voilà voilà voilà. Par exemple BFM a promis que plein milieu d'une prise d'otage ils ne diffuseraient pas en direct à la télé la bande son desdits otages planqués dans la chambre froide. Et puis accrochez-vous bien parce que ça monte en puissance.

  • Soutenir la mise en place de cadres, par exemple des normes sectorielles, pour s’assurer que la communication sur les attentats terroristes n’augmente pas l’écho des contenus terroristes et extrémistes violents, sans toutefois porter préjudice à une couverture responsable du terrorisme et de l’extrémisme violent.

Alors là c'est magique. On va mettre en place des cadres mais pas trop cadrants quand même histoire de ne pas porter préjudice à une couverture responsable hors-cadre. Putain ils sont forts. 

  • Envisager des mesures adaptées afin de prévenir l’utilisation des services en ligne pour diffuser des contenus terroristes.

Ah ben oui forcément. C'est pas con ça tiens. En plus personne n'y avait pensé. Envisageons des mesures. Mieux. Créons la CCEME. La Commission Chargée d'Envisager des Mesures Adaptées. 

Et puis donc il y a "les fournisseurs de services en ligne". Et eux ils s'engagent … à …

  • Prendre des mesures particulières et transparentes permettant de prévenir le téléchargement de contenus terroristes et extrémistes violents, mais aussi leur diffusion sur les réseaux sociaux

D'accord mais justement c'est bien là ou c'est totalement foireux depuis le départ. Donc les gars, on va pas se contenter de vous croire sur parole.  

  • Faire preuve de plus de transparence dans la mise en place de normes collectives ou de conditions de services.

En gros ils vont mieux expliquer aux utilisateurs pourquoi c'est mal de partager des contenus terroristes. C'est vrai qu'on sentait bien que le tueur de Christchurch et ses copains suprémacistes qui ont dupliqué la vidéo ils étaient essentiellement en manque d'explications claires et de transparence en ce qui concerne la mise en place de normes collectives et les conditions de services.

  • Mettre en œuvre des mesures efficaces et immédiates visant à atténuer les risques particuliers de diffusion de contenus terroristes et extrémistes violents dans le cadre de flux en direct, notamment l’identification de contenus à des fins d’examen en temps réel.

Voilà. Donc précisément le truc qui n'a jamais marché depuis que les réseaux sociaux et les attentats terroristes existent. Mais nous en reparlerons un peu plus bas dans cet article. 

  • Effectuer des rapports publics, réguliers et transparents, quantitatifs et reposant sur une méthodologie précise, sur la quantité et la nature de contenus terroristes et extrémistes violents détectés et retirés.

Voilà merci donc ça ça existe déjà hein. Genre les "transparency reports" que Google (et Facebook et Twitter) publient depuis … longtemps. Mais bon. C'est vrai qu'une déclaration qui n'annoncerait pas des trucs qui existent déjà en les présentant comme des nouveautés ne serait pas une vraie déclaration. 

Et puis y'a la cerise sur le gâteau. La. Cerise. Sur. Le. Gâteau. Accrochez-vous bien. Non vraiment. Les "fournisseurs de services en ligne" s'engagent dans le cadre de l'appel de Christchurch à … tadaaaaam …

  • Examiner les formules des algorithmes et les autres processus pouvant orienter les utilisateurs vers des contenus terroristes et extrémistes violents et/ou amplifier ces contenus, afin d’avoir une meilleure connaissance des points d’intervention possibles et d’effectuer des modifications lorsque ces phénomènes sont constatés. 

Putain. Oui vous avez bien lu. Les plateformes (enfin les 5 qui ont timidement signé cet accord pathétique) s'engagent à examiner leurs propres algorithmes. Question : est-on en train de nous prendre pour des jambons ? Réponse : Oui. 

Et puis le dernier point c'est : 

  • Agir ensemble pour faire en sorte que les efforts intersectoriels soient coordonnées et solides

En "partageant nos connaissances et notre expertise" ajoutent-ils. Un manuel de bonnes pratiques. C'est vous dire à quel point ça va changer rapidement les choses. Je crois que la dernière fois que j'ai lu quelque chose d'aussi définitif que disruptif c'était dans "Oui-Oui à la plage". 

Donc ça c'était "l'appel de Christchurch".

Et puis donc pendant que tout ce petit monde s'occupe donc à produire des appels aussi creux que l'humanité de Laurent Wauquiez est superfétatoire, il y a Facebook qui, de son côté, pépouze, nous balance un petit communiqué de presse … comment dire … pas piqué des hannetons. En fait je crois qu'ils se foutent carrément de notre gueule. Je vous explique.

"Same Player Shoot Again".

Facebook a donc publié un communiqué de presse qui est un scandale et une honte absolue. Concernant les "restrictions" que la plateforme dit vouloir mettre en place pour éviter qu'un prochain fou furieux ne puisse filmer en "Live" le massacre d'innocents, voilà ce à quoi s'engage Facebook : 

"Aujourd’hui, nous durcissons les règles spécifiques à Facebook Live, en appliquant une politique dite de « première infraction ». Ainsi, toute personne qui enfreindra nos politiques les plus sensibles se verra interdire l’utilisation de Facebook Live pour une période déterminée – par exemple 30 jours – à compter de sa première infraction. Par exemple, quelqu’un qui partage un lien vers un communiqué d’un groupe terroriste sans élément de contexte se verra immédiatement interdire l’utilisation de Facebook Live pour une période déterminée."

Je le répète : ce communiqué est un scandale et une honte absolue. Pourquoi ? Parce qu'avec ces "restrictions" le tueur de Christchurch aurait parfaitement pu faire son "live". C'est proprement ahurissant de négligence sur les questions des contenus haineux, et c'est surtout ahurissant d'indécence pour les familles des victimes.

Mais il y a encore mieux. Si si. Juste après la terrible menace de ne plus pouvoir faire de Live pendant 30 jours, on trouve écrit ceci : 

"Nous prévoyons d’étendre ces restrictions à d’autres domaines au cours des prochaines semaines, en commençant par le fait d’empêcher ces personnes de créer des publicités sur Facebook."

Des génies. Des putains de génies. C'est vrai que par exemple le tueur de Christchurch après avoir buté 51 personnes en Live, faudrait pas qu'il puisse créer des publicités sur Facebook. Bah oui. Ou même avant hein. Les gars ont vraiment tout prévu. 

A titre d'exemple, et juste pour mieux mesure l'immensité galactique du foutage de gueule je rappelle une histoire parmi tant d'autres d''étudiants en école de commerce qui s'entraînent à faire des exercices avec des comptes Google Ads (régie publicitaire de Google) et qui, ce faisant, enfreignent une des règles de la régie publicitaire : ils sont définitivement bannis de la régie publicitaire. A vie. Définitivement. A vie. Idem évidemment s'ils essaient de se créer un nouveau compte depuis une autre adresse mail. A vie.

"Nous vous remercions de votre patience. Il a été confirmé que votre compte ne respectait pas les règles AdWords. Cette décision étant irrévocable, il ne sera pas réactivé. Évitez de créer d'autres comptes AdWords, car ils seront également suspendus."

Irrévocable. Bannissement à vie. Pour un exercice mal maîtrisé sur Google Ads dans le cadre d'une formation universitaire. Mais là, ben non. T'as liké les règles politiques les plus sensibles ? T'as liké un communiqué d'un groupe terroriste ? Vilain. Puni de "Live" pendant 30 jours. Juste pendant 30 jours. Et c'est tout ? Bah oui. C'est tout. Ah oui et tu ne pourras pas créer des publicités. Aaaaaaah. On est bien soulagés du coup. 

Voilà très exactement ce qui se passe lorsque l'on convoque des pyromanes pour éteindre l'incendie qu'ils ont allumé. Merci à La Quadrature du Net de le rappeler sans détour

La morale de tout ça c'est que deux mois après qu'un fou furieux se soit filmé en Live sur Facebook en train de tuer 51 innocents dont des enfants, le jour de la publication d'un appel qui ne servira absolument à rien, la réponse de Facebook, la vraie, est en revanche une glaçante confession de cynisme et d'avidité.

Pour Facebook, rien, rien jamais ne passera au-dessus des opportunités d'audience d'une fonctionnalité technique. Rien. Pas même le massacre de 51 innocents. La réponse de la plateforme c'est "attendez 30 jours", et puis  "Same Player Shoot Again". 

Dans cette affaire il semble bien que la dignité ne soit rien d'autre qu'un mauvais signal à envoyer aux actionnaires et aux investisseurs. Une nouvelle fois, l'architecture technique de la plateforme se démarque par son efficacité : qu'il s'agisse d'identifier des survivants comme dans le Safety Check ou de relayer les images d'un massacre, chacun verra la toute puissance du panoptique. Et l'aveuglement total de son concepteur. 

Same player shoot again.

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