Cher Bilal Hassani.

C'est donc vous qui représenterez la France au concours le plus kitch de la galaxie connue. Depuis déjà trop longtemps mais particulièrement depuis que vous avez été choisi parmi d'autres candidats vous êtes la cible d'insultes homophobes (et racistes) avec une fréquence et un systématisme ahurissant. Ils ne sont qu'une goutte dans l'océan de louange qui vous enveloppe, mais cette goutte est un poison dont on ne peut qu'imaginer à quel point il est violent. Pour vous protéger tant bien que mal vous avez recours à un service qui permet de supprimer, d'invisibiliser les commentaires haineux (service intitulé Bodyguard). Et vous avez décidé de porter plainte. Et vous avez bien fait. Que peut-on faire d'autre d'ailleurs ? 

Votre cas bien sûr attire l'attention des médias qui pour la plupart d'entre eux s'étonnent et s'alarment et compatissent. Que peuvent-ils faire d'autre d'ailleurs ? Et puis voilà le retour des tribunes pleine page d'experts autoproclamés en lutte contre les discours de haine qui écument papiers et plateaux en mode "bé c'est la faute à l'anonymat", et concluent le plus souvent navrés par un "Rhooo mais aussi c'est compliqué d'agir".

Alors non. Non ce n'est pas la faute de l'anonymat. Et non ce n'est pas, pour les grandes plateformes, compliqué d'agir. C'est même très simple. Je vais donc me permettre de me servir de votre nom pour republier ce que j'écrivais dans un article du 6 Janvier de cette même année sur ce même blog. Parce que le monde est ainsi fait que je sais que la conjugaison de votre nom placé en titre de ce billet et le pic d'actualité qu'il suscite suffiront probablement à donner à ce texte une autre audience. Et sinon tant pis, j'aurai essayé deux fois 🙂

C'était une lettre adressé à Jack Dorsey, le PDG de Twitter, plateforme dont la modération est particulièrement déficiente. Mais toutes les plateformes sont concernées. Toutes. 

Ce que je proposais était assez simple. Il était question de simplement appliquer les règles – CGU – que nous signons pour utiliser ces services. 

"Ce qui n'est pas compliqué c'est de fermer, simplement et définitivement les comptes de celles et ceux qui participent à des "raids numériques" appelant au viol de telle ou telle journaliste ou déniant à une ancienne actrice porno le droit d'avoir un enfant. Ce qui n'est pas compliqué c'est de fermer définitivement les comptes de celles et ceux qui utilisent le mot "crouille" ou "bougnoule" ou "PD" ou "sale fiotte" à longueur de tweets. Ces mots là sont la caractérisation en droit d'insultes à caractère raciste ou homophobe. Et en France, le racisme et l'homophobie ne sont pas des opinions mais des délits. 

Et inutile de crier au risque d'une censure arbitraire et laissée aux mains des plateformes : je ne parle pas ici de comptes qui pourraient occasionnellement évoquer une imagerie nazi comme ce fut le cas de nombreux d'entre nous ces derniers jours suite à la Une polémique du Magazine du Monde, comptes et contenus qui sont d'ailleurs tout à fait improprement et aléatoirement bloqués dès qu'ils osent évoquer le mot nazi.

Je parle des comptes d'authentiques sexistes, homophobes, racistes, antisémites et autres admirateurs assumés du 3ème Reich ou des pires dérives et appel à la haine de l'extrême droite. Les grandes plateformes disposent de l'historique complet de publication de ces comptes là. Elles disposent de technologies d'analyse linguistique qui leur permettent d'identifier et de recouper ces occurrences de la haine ou de l'incitation à la haine assumée. Elles pourraient, si elles disposaient d'un minimum d'éthique, faire travailler des modérateurs humains disposant des codes culturels permettant de contextualiser correctement ces dérives plutôt que de continuer d'exploiter des travailleurs pauvres aux Philippines pour ce travail de modération.   

Cette lutte contre l'écume des discours de haine ne doit en aucun cas faire oublier d'agir également et prioritairement sur l'architecture technique toxique qui les amplifie et le modèle économique qu'ils permettent de nourrir mais elle est un point de départ aujourd'hui absolument nécessaire." 

Voilà. C'est simple non ?

Et concernant l'anonymat et toutes celles et ceux, dont le président Emmanuel Macron, qui basculent opportunément en mode croisade pour bouter hors du web ces légions d'anonymes rageux, j'avais ailleurs écrit ceci : 

N'oublions pas que pour s’exprimer sur la plupart de ces plateformes (Twitter et Facebook notamment) le compte doit être créé sous son vrai nom ou associé à un numéro de téléphone portable "actif". N'oublions pas que les rageux les plus immondes et les plus violents, sont parfois de simples citoyens mais aussi souvent des personnalités publiques (Soral, Dieudonné) et politiques (leaders de groupuscules identitaires), et que la plupart d'entre eux s’expriment précisément sous leur vrai nom parce que la haine est la seule garantie d’une notoriété qu’ils recherchent désespérément.

La question, la seule, à poser en toute priorité aux plateformes lorsque vous les rencontrerez, car vous verrez Bilal, elles voudront bientôt j'en suis convaincu vous rencontrer, la seule question à leur poser est celle-ci : 

Etes-vous prêt à réellement lutter contre les discours de haine, contre l'homophobie, en ajoutant dans vos CGU que chaque insulte raciste ou homophobe occasionnera la fermeture définitive du compte qui les a proférées ? Etes-vous prêt à perdre ces "clients" là qui ne sont pas, pour vous, anonymes, et qui ne l'ont jamais été ?

Posez leur cette question là Bilal. Et dites-leur aussi ceci :  

Si vous étiez les gérants d'un magasin et que certains de vos clients revenaient tous les jours et traitaient de "sale PD" ou de "sale fiotte" d'autres de vos clients, quelle serait votre réaction ? Les accepteriez-vous dans votre magasin ? Ce que vous tolérez est ce que vous êtes vraiment. Dites-leur simplement cela Bilal. "Ce que vous tolérez est ce que vous êtes vraiment". 

Et si ni Jack Dorsey, ni Mark Zuckerberg, ni Larry Page, ni Serguei Brin ni aucun autre ne regarde le concours de l'Eurovision ni ne vous invite pour parler avec vous de ce que vous traversez, alors j'espère qu'un(e) de nos représentant(e)s politiques, un jour prochain, leur posera très exactement cette simple et seule question là. Etes-vous prêts à perdre ces clients-là ou ne sont-ils pour vous que des clients comme les autres ? 

Ce que nous tolérons est ce que vous nous sommes vraiment. Bon courage pour l'Eurovision cher Bilal. 

 

 

6 commentaires pour “Cher Bilal Hassani.

  1. Bonjour,
    Quelques remarques.
    Facebook, en tentant de contraindre les utilisateurs d’employer leur vrai nom, contrevient au droit à l’utilisation à un pseudonyme (Loi en la confiance dans l’économie numérique). On sait bien que les normes mais aussi les CGU des plateformes contreviennent aux droits des Etats.
    Si nous reprenons les utopies du début du Web (notamment J.P. Barlow), il devait constituer un espace de liberté (surtout en marge des Etat, pas tellement celle d’insulter son voisin, quoique). En suggérant aux plateformes la possibilité de supprimer unilatéralement des comptes on est loin, très loin de cet esprit de liberté originel… Non ?

  2. Diogène : vous avez raison sur le fond. Le problème est sur la forme : il ne s’agit plus de réguler (ou non) “le” cyberespace comme chez Barlow mais les espaces semi-privés semi-publics de ces plateformes, à l’échelle de ces plateformes.

  3. Olivier. Dommage. Publié sur mon blog, pour info (voir votre rétro lien). Je ne peux pas le reposter ici puisque sur format image… Il prolongeait votre propos.

  4. @ Olivier
    On retombe sur le vieux problème de la régulation es espaces semi-privés chers à danah boyd (sans maj. donc) mais aussi sur celui de normes et des lois qui encadrent aux US la liberté d’expression bien plus laxistes (ou clémentes selon d’où on parle) que nos lois françaises. Cette tension permanente entre droits du pays originel et droits locaux est récurrente depuis le début de ces plateformes et toujours pas réglée comme vous le soulignez souvent.

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