Zinedine Zidane, Robert Badinter et Miss France.

Mise en garde : aucune consigne de vote ne sera donnée dans ce billet. Ça vous changera un peu ;-) 

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Toutes. Toutes les autorités morales ont donc donné leur avis. Zinedine Zidane, Robert Badinter et Miss France. Il faut voter Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine le Pen. Ceci n'est pas une phrase, ceci est une messe. Et la messe est dite. Tout le monde l'a dit. A la télé, sur la grande (plateforme) bleue, à la radio, partout. Ceux qui ne l'ont pas dit se sont entendus dire par ceux qui l'avaient dit que de ne pas le dire équivalait à dire qu'on voulait dire l'inverse et que toutes choses égales par ailleurs et naufrages politiques et institutionnels compris, il y avait quand même des choses qui ne se disaient pas alors que d'autres devaient obligatoirement être dites. Tout le monde a eu l'impression que ça irait mieux en le disant et donc tout le monde l'a dit. Voilà comment tout à commencé dès le lendemain du premier tour d'une élection présidentielle en 2017 en France.  

En quelques semaines des millions de personnes ont passé un double doctorat de Sciences Politique et de Macro-économie. D'autres qui disposaient, eux, réellement d'un doctorat, ont sensiblement régressé au stade anal de l'argumentation. Et alors que le printemps avait à peine éclos se tenaient déjà les universités d'été de la mauvaise foi.  

Toute théorie sondagière se transforma en anathème à retardement. Après Trump et après le Brexit, la notion la plus proche de l'opinion que l'on avait des sondeurs était celle de la coloscopie. Toute opinion devint bien-pensance, toute source incontestable fut contestée et toute source contestable fut une nouvelle vérité. Les opinions devinrent des certitudes et les certitudes des dogmes. Non plus "je pense" mais "j'affirme" donc je suis. 

J'affirme donc je suis.

Depuis les résultats du premier tour, ouvrir Facebook c'est entrer dans un monde peuplé de millions de clones de Christophe Barbier. Le point "2nd tour" a remplacé le point "Godwin" : toute discussion quelle qu'en soit le sujet finit invariablement par ramener au choix du second tour et aux injonctions ou invectives qui l'accompagnent. 

Chacun a trouvé le silence de l'autre souvent suspect, toujours coupable. Chacun a trouvé en retour la confession de l'autre toujours suspecte, toujours coupable.

Toutes les ressources de l'infographie ont été mobilisées, toutes les archives au potentiel de simple casserole ou d'authentique nuisance ont été ressorties des tréfonds documentaire du web qui n'oublie rien, toutes les parodies, tous les détournements ont été produits.

Peut-être est-elle là l'indignation que l'on ne sent plus dans la rue comme on pouvait la sentir au second tour d'un 21 avril 2002, il y a 15 ans de cela. Car bien sûr, et quelle que soit l'origine de notre colère, de notre peur ou de notre frustration, nous sommes allés au plus court pour l'exprimer. Il y a 15 ans ce plus court c'était la rue. Quinze ans plus tard la rue est une grande plateforme bleue. Quinze ans en arrière le collectif ne pouvait faire sens qu'en faisant corps, corps en mouvement. Une manif quoi. Quinze ans plus tard chacun croit pouvoir faire sens sans avoir besoin de faire corps. Ce qui, politiquement d'ailleurs, arrange tout le monde. En tout cas les deux qui sont présents au second tour, cela au moins est incontestable. Il y a quinze ans de cela, Facebook tout simplement n'existait pas. Mesurer cela c'est aussi un peu mieux comprendre ce qu'il s'y dit aujourd'hui, et pourquoi ce qui se dit là-bas ne se dit plus ailleurs. 

Autorités morales virales.

Que tu sois vieux bobo de centre gauche, jeune insoumis braillard, jeune diplômé d'HEC livré avec ses chaussures à bascule de la crédibilité, rombière droitière, banquier d'affaire, cadre sup dans le digital, chômeur longue durée, CSP++ ou CSP double moins, tu auras eu droit à ton autorité morale rien que pour toi. Zidane, Badinter, Miss France, le dernier résistant de 39-45, d'anciens déportés, ton voisin du dessus, Goldorak, ton pote d'enfance, ton prof, ton acteur préféré, ton directeur d'université, ta mère, des philosophes, ton cousin, un prix Nobel, une médaille Field sans oublier ton tonton péteur dans les mariages, tout le monde, absolument tout le monde t'a dit quoi faire et t'a expliqué en quoi il serait criminel et irresponsable de ne pas le dire et de ne pas le faire.

Toi-même d'ailleurs, soyons honnête, tu t'es parfois surpris à faire la leçon …

A l'injonction médiatique s'est ajoutée l'injonction du réseau, de ton réseau, de ta bulle. Les deux auraient pu être paradoxales. Mais c'est presque paradoxalement qu'elles ont résonné à l'unisson, et qu'elle ont fabriqué l'injonction paradoxale, la double contrainte parfaite : "sois grand mon petit", "ne lisez pas ce panneau", "s'abstenir c'est faire le jeu de …", "voter blanc c'est faire le jeu de …", mais "voter Macron c'est faire le jeu de …" alors "ne pas voter Le Pen c'est faire le jeu de …". 

Les autorités morales, bien sûr, sont rapidement devenues avant tout virales. Créant instantanément le plus grand des désordres argumentatifs. 

Et dans la confusion qui s'ensuivit, chacun se vit, tout à la fois, comptablement totalement serein, psychologiquement inquiet, cognitivement bousculé, et humainement angoissé. 

A moins de 7 jours d'un second tour, pourquoi, finalement, vote-t-on ? En deux mots. Pour <–plus loin–> quoi ?  Et pour qui  ? Mais pas "pour qui = pour quel candidat" non. Plutôt "pour qui = pour qui autour de nous ?" 

La tuile du vote utile.

On ne vote pas pour une politique, on ne vote pas pour un homme ou une femme providentielle, on ne vote pas pour des idées, on ne vote pas pour un programme, on ne vote pas pour un projet. On vote pour celles et ceux à qui l'on tient. Ce qui se décide dans le secret de l'isoloir est moins l'avenir du monde que les lendemains de ceux qui comptent pour nous, et qui eux seuls sont l'avenir qui compte. On vote pour ses enfants, on vote pour sa compagne, on vote pour ses parents (contre eux, parfois aussi), on vote pour ses amis, on vote pour son chien. Mais on ne devrait jamais voter pour soi. Parce que c'est lorsque le vote cesse d'être altruiste, lorsqu'il devient égocentrique, que l'on recommence à regarder l'homme ou la femme providentielle, son projet, son programme, ses idées, c'est à ce moment qu'on vote "utile" et que l'on se fait irrémédiablement berner. 

Que l'on ne se trompe pas, dans toute cette fatrasie foutraque, dans cet océan de verbe et ces tempêtes d'injonction il y eut aussi de l'intelligence, de l'analyse, du sentiment, à chaque fois très loin du rance et de la rancoeur, il y eut des mots, des dessins, pour réparer, pour consoler, pour encourager, pour expliquer, pour désamorcer, pour panser, pour penser. Peut-être furent-ils quantitativement moindres, peut-être furent-ils algorithmiquement moins saillants, mais ils furent là au milieu des autres, en lutte. C'est cela, aussi, qui se joue dans une élection : le genre de parole qu'elle permet de libérer. 

Bonheur et résistance. 

Mouloud Achour demandait récemment à Edgar Morin "comment résister aujourd'hui". Le philosophe lui répondait en souriant qu'au pire heures de la guerre et de la barbarie, lorsqu'il était encore très jeune, que certains de ses amis étaient emprisonnés et torturés, il était simplement heureux, parce qu'il sentait qu'il faisait quelque chose de juste et de bien. 

"J'étais heureux dans un pays malheureux. Pourquoi ? Parce que je faisais quelque chose qui me semblait juste et bien. Résister c'est ça."

Alors dimanche 7 mai, soyez heureux et faites ce qui vous semble juste et bien, pour ceux qui vous sont chers. Et le reste suivra peut-être. Résistez à ce que vous voulez : aux injonctions, à l'abstention, aux fascismes, aux banquiers. Faites ce qui vous semblera juste et bien. 

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2 commentaires pour “Zinedine Zidane, Robert Badinter et Miss France.

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