L’algorithme ce héros (publicitaire)

Très courte réflexion suite à un (léger) traumatisme visuel et cognitif au sujet d'algorithmes et de publicité. 

Voilà longtemps que les algorithmes sont utilisés pour l'affichage de la publicité. Dans la régie publicitaire de Google par exemple (mais ça marche pareil chez les autres) c'est un algorithme (linguistique) qui vous conseille tel ou tel mot-clé associé en fonction du texte de votre annonce et du ciblage géographique. Et c'est un autre algorithme (mathématico-statistique) qui va gérer le taux de rotation (affichage) de votre campagne en fonction du budget alloué pendant qu'un troisième algorithme calculera combien vous rapportera (de clics) et combien vous coûtera (d'argent) ladite campagne. 

Voilà également longtemps que la publicité est au coeur du fonctionnement algorithmique "de base" des moteurs de recherche. En effet, suite à une requête, l'algorithme de base (disons le Pagerank pour faire simple même si le Pagerank n'existe plus en tant que tel mais bon bref c'est pour faire simple on a dit), suite à une requête donc, l'algorithme de base va se débrouiller pour organiser la page de résultats entre résultats organiques et résultats sponsorisés (publicitaires).

Et puis bien sûr il y a le fait que des publicités nous suivent en permanence au travers de nos navigations grâce à la chienlit des algorithmes de retargeting. 

Et comme on n'arrête pas le progrès, on utilise même des algorithmes génétiques pour alimenter une "intelligence artificielle" chargée de créer des publicités toute seule, ou plus exactement d'apporter sa touche créative à n'importe quelle publicité. J'vous jure

Donc les liens entre publicité et algorithmes, c'est tout sauf une nouveauté. 

Et soudain surgit face au vent le vrai héros de tous les temps.

Bob Morane ? Non. L'algorithme.  

ALGO-PUB Voilà le traumatisme visuel et cognitif dont je vous parlais plus haut 🙂

Donc Randstad se sert d'un algorithme pour associer des profils et des offres d'emploi. Bon là encore rien de très nouveau. Le "matching", c'est à dire la correspondance entre deux éléments est au coeur des moteurs de requête (matching entre un mot de la requête et un mot de la page cible), des sites de rencontre (matching entre "profils") et de tout un tas d'autres choses. Le "matching" c'est un peu ce pourquoi on a inventé les algorithmes, c'est donc ce qu'un algorithme sait faire le mieux, le plus rapidement et le plus efficacement (à condition naturellement qu'il soit bien programmé). Donc rien d'étonnant à ce que le secteur de l'emploi se mette au matching algorithmique. Ce qui est étonnant … c'est qu'il le dise.

Le fait de le dire publiquement et de littéralement le publiciser me semble indiquer que nous avons franchi un pallier dans l'acceptation et la légitimation de la marche algorithmique de notre monde.

Pour le dire plus simplement, c'est la première fois que le mot "algorithme" est utilisé explicitement et de manière positive sur, pour et dans une campagne publicitaire. 

Jusqu'ici, tous les sites, services et produits qui pourtant utilisent principalement des algorithmes avaient pris grand soin de dissimuler sous le tapis le rôle déterminant (et déterministe) joué par lesdits algorithmes.

Les sites de rencontre par exemple : tout le monde sait (ou se doute bien) que c'est un algorithme qui choisit de vous afficher les profils de vos futur(e)s conquêtes / râteaux. Pourtant, vous pouvez vérifier, aucun site de rencontre ne met en avant le "matching algorithmique". Ils préfèrent vous vendre de "l'humain" plutôt que de la machine. A tel point qu'il est même devenu nécessaire, pour se différencier, de survendre le retour de l'humain en remplacement de l'algorithme (libre à chacun d'y croire 😉

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<Just for fun> Inversement,il faut remonter aux années 80 et à ce chef d'oeuvre du 7ème art pour trouver la trace d'une valorisation du Love Computer. </Just for fun>

Plus globalement, à chaque fois qu'il y a de la "personnalisation" c'est qu'il y a derrière de "l'algorithmisation" ; plus c'est "personnalisé" et plus c'est un algorithme qui est à la manoeuvre ; et pourtant on continue de nous vendre de la "personnalisation", pas du ciblage statistique. Parce que l'humain c'est comme les chatons, c'est mignon. Alors que la statistique c'est impersonnel et froid ; pas très vendeur.

Passé le traumatisme de l'affichage de la publicité Randstad, ma curiosité a été piquée et j'ai voulu vérifier si d'autres campagnes publicitaires avaient auparavant déjà "valorisé" ainsi les algorithmes en les nommant de manière explicite.

Résultat des courses (et merci à la force de travail collective de Twitter) : non. 

Non. Ou presque.

En France, on trouve la société MétéoJob (un JobBoard) dont la publicité nous dit qu'elle utilise "de puissants algorithmes de matching pour trouver les emplois qui vous correspondent".

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Mais à la différence de la pub Randstad, "l'algorithme" est typographiquement et sémiotiquement relégué à la portion congrue de l'affichage, et donc du message. Et c'est encore MétéoJob comme service qui est au coeur de la promesse publicitaire ("Trouvez votre futur emploi"), l'algorithme n'étant que le biais technique fonctionnant comme une garantie de sérieux (ou de mystification mais c'est un autre sujet 😉

Alors qu'avec la campagne de Randstad on n'est plus dans le futur mais dans le présent ("jai trouvé"), et l'algorithme n'est plus simplement "utilisé" mais on lui rend carrément "grâce". 

Dix ans plus tôt, aux USA.

Pour retrouver une campagne mettant réellement à l'honneur le mot algorithme il faut aller aux Etats-Unis et remonter jusqu'en 2007. A l'époque c'est le moteur Ask (précédemment AskJeeves) qui décide de "repositionner Ask.com comme un moteur de recherche fiable et cohérent et surtout capable de rivaliser avec Google". Le résultat donnera une campagne autour des slogans suivants : 

  • The algorithm killed Jeeves.
  • The Algorithm is from New Jersey.
  • The Algorithm Constantly Finds Jesus.
  • The algorithm is banned in China.
  • The Unabomber** hates the Algorithm.

(** "Unabomber" était le surnom d'un serial killer psychopathe, accessoirement mathématicien de son état, et ne ciblant que des universitaires et des scientifiques)

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Moralité.

Nous savions déjà qu'une dizaine d'algorithmes dominaient le monde. Et que le prochain président des Etats-Unis serait peut-être celui du premier algorithme de mise en relation de la planète. J'avais déjà à plusieurs reprises indiqué que l'emploi et le chômage seraient des "terrains" d'expérimentation algorithmique prometteurs et possiblement féconds mais aussi potentiellement inquiétants, ou qu'à tout le moins les algorithmes finiraient par modifier notre rapport à l'emploi

Mais "l'algorithme" en tant que tel ne semblait pas intéresser le discours publicitaire, lui qui n'hésite pourtant pas dès qu'il s'agit de transgresser des tabous ou de légitimer différentes formes de violence. C'est désormais chose faite. L'algorithme est vendeur. Finie la honte.

On témoigne à visage découvert :

"J'ai trouvé un CDI grâce à un algorithme".

Et demain peut-être la prochaine pub Meetic proclamera :

"J'ai trouvé l'amour grâce à un algorithme".

Et Facebook achètera des espaces publicitaires pour placarder partout le message :

"J'ai trouvé des amis grâce à un algorithme".

Et après demain une société d'ingénierie génétique nous affichera des pubs sur lesquelles on verra un bébé tout mignon avec écrit ceci :

"J'ai les yeux bleus et un QI supérieur grâce à un algorithme"

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Pendant qu'une autre campagne financée par un fabriquant de voitures autonomes et un assureur nous expliquera :

"J'ai évité cet accident grâce à un algorithme".

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Et puis tout simplement on achètera des T-shirts sur lesquels on lira "Je suis en vie grâce à un algorithme". 

L'algorithme deviendra "bancable", ce sera le héros de films. "L'algorithme qui tua Liberty Valance" de John Ford, "L'algorithme qui en savait trop" de Hitchcock, "L'algorithme de Rio" de De Broca, mais aussi "Des algorithmes et des Dieux", "Les algorithmes préfèrent les blondes", "12 algorithmes en colère", "Trois algorithmes et un couffin" et j'en passe.  

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L'algorithme ce gourou.

Je crains que la campagne Randstad ne soit que le commencement d'un grand défilé de campagnes publicitaires à la gloire de l'algorithme, qui s'efforceront de légitimer toujours davantage les discours et théories du solutionnisme. Et que l'on oublie de réfléchir un peu à ce qu'il y a dans ces foutus algorithmes, à la manière dont ils fonctionnent, dont ils véhiculent des valeurs et donc des biais. Si vous avez un problème, vous trouverez toujours un algorithme pour le résoudre. Pour vous prêter assistance

Finalement c'est peut-être ce slogan de la campagne d'Ask.com qui résume le mieux l'ensemble : "The algorithm constantly finds Jesus". Un algorithme trouvera toujours ce que vous lui demanderez de chercher. Toujours.

Surtout si c'est vous le programmeur.  

____________________

P.S.P.E.V.P.

(Post-Scriptum Pour Être Vraiment Complet)

De manière beaucoup plus éphémère et anecdotique (et peut-être apocryphe) on trouve également trace de cette campagne qui aurait été mise en place par la Start-Up "Actimeety". Mais ne retrouvant pas d'autre trace de cette "pub" ailleurs que dans ce billet de blog, et la start-up ayant fermé ses portes, je ne sais pas s'il s'agit d'une "vraie" campagne (je n'ose y croire, même moi je fais mieux) ou juste d'un visuel réalisé pour les besoins du billet. Bref, je pose ça là.

Actimeety_megane_amico_love_algorithme

Un commentaire pour “L’algorithme ce héros (publicitaire)

  1. Dans le même temps on peut voir des pubs MacDo qui ne disent pas leur nom… Ils ont a tel point conscience de nous avoir pollué le cerveau depuis des années qu’ils ne se donnent même plus la peine de nous dire pour quoi ils font de la pub…
    Le pire, et c’est bien là un constat accablant que j’ai eu à faire ce jour-là, c’est que ça fonctionne… Qu’on sait immédiatement à quoi fait référence cette image. Qu’on ne peut pas s’en empêcher. Lavage de cerveau réussi.
    Il fallait une sacrée dose d’ambition et de cynisme pour tenter une telle chose. Car c’est aussi prendre le risque de révéler le pouvoir du (neuro)marketing… (On peut toujours rêver, non ?).

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