L’algorithme du plein emploi ?

Connaissez-vous la différence entre quelqu'un qui essaie d'arrêter de fumer et quelqu'un qui essaie de trouver un emploi ? Aucune, dans les deux cas il existe une application pour vous y aider. Fin de la blague.

Une application ou plus exactement un algorithme. C'est ce Mercredi qu'a été lancé le site "Bob emploi". Aux manettes, Paul Duan, dont le storytelling médiatique nous dit qu'il a grandi à Trappes comme Djamel Debouze avec lequel il est devenu copain et qui lui aurait ouvert quelques portes et oreilles politico-ministérielles.

Bref Paul Duan est informaticien et il semble plutôt (très) doué. En plus il a cette particularité notable d'avoir envie d'améliorer la planète et de contribuer au bien commun de l'humanité avant d'être devenu milliardaire. Il a commencé dans la Silicon Valley, embauché comme Data Scientist chez Event Brite et a mis au point un algo de détection de transactions frauduleuses qui a permis à sa boîte d'économiser des millions (nous dit-il dans cette vidéo), le tout après être passé par Sciences-Po, la dépression, avoir eu des parents dissidents chinois qui l'ont bercé avec le traumatisme de Tien An Men, puis être parti étudier les maths à Berkeley et paf la Silicon Valley, du "non-profit" et donc maintenant Pôle Emploi.

Voilà donc plusieurs mois que l'on parle de Paul Duan et de son projet comme, je cite, "de l'algorithme qui va permettre de faire baisser le chômage de 10%". Pari osé. Mais pas irréaliste, nous y reviendrons plus tard.

Les lecteurs fidèles le savent, j'ai plusieurs fois traité sur ce blog la question de savoir si un algorithme était capable de réduire le chômage en permettant – par exemple – de mieux affecter, en temps-réel, des offres d'emploi et des profils, de mieux faire "matcher" tout ça. Et j'ai répondu oui à cette question. Oui je suis convaincu que le traitement des offres et des demandes d'emploi sera d'ici à 10 ans entièrement délégué à des algorithmes. Pour plein de raisons, ou plus précisément parce qu'il n'y a pas de raison que les algorithmes qui sont déjà capables de réguler – entre autres – la finance à l'échelle mondiale et de produire toutes sortes de "recommandations" et de "prescriptions" ne soient pas un jour en capacité de traiter avec la même efficacité – et les mêmes risques de dérive – la question de l'adéquation entre des demandes et des offres d'emploi. Et aussi parce qu'il y a des signes qui ne trompent pas (comme le rachat de LinkedIn par Microsoft).

Pour autant je ne suis pas sûr que ce soit une bonne nouvelle, mais je suis à peu près certain que ce sera efficace à court terme, dans certains secteurs. Si cela ne paraît pas être nécessairement une bonne nouvelle c'est notamment pour les raisons expliquées dans le billet complémentaire à ma (courte) intervention sur France Culture : "Des Datas, des Gafas et (peut-être) de l'emploi".

Re-bref, je suis donc allé voir à quoi ressemblait le site "Bob emploi". Et j'ai été assez surpris. Je m'imaginais un site sur lequel les chômeurs créeraient un compte avec plein de renseignements et de liens vers leurs différents CVs sur différents autres sites, le tout couplé à différentes bases de données / sites proposant des offres d'emploi (dont celui de pôle emploi auquel a eu accès Paul Duan), et à ce que l'algorithme fasse le reste, et si possible des miracles. Et c'est sur tout autre chose que je suis tombé.

Après inscription, on commence par m'avertir et me rassurer en m'indiquant qu'on va me poser quelques questions sur mes envies et mes, je cite, "mes aspirations et mes frustrations (sic)" et que  "toutes vos réponses resteront entièrement privées : elles ne seront pas partagées derrière votre dos, que ce soit avec les entreprises ou avec Pôle Emploi." Bon ben d'accord. On ne peut que les croire sur parole, mais disons que cette parole vaut en tout cas mieux que les CGU habituelles. 

Je coche donc mes envies et mes frustrations.

Frustrations

Notons ici qu'une partie du code source de Bob Emploi est ainsi distribué sous licence ouverte et disponible sur GitHub. Et c'est bien. Très bien.

On me demande ensuite de saisir différents champs dont celui de mon métier actuel (c'est donc aussi un site pour les actifs, pas uniquement pour les chômeurs) ou du métier que j'ai quitté ou pour lequel j'ai été licencié. Pour tester la bestiole j'indique que je suis sans emploi et que j'étais bibliothécaire. En cours de saisie, un petit logo m'indique que la techno de recherche d'auto-complétion qui m'accompagne dans la saisie du champ "métier" est fournie par l'entreprise Algolia, sur la page de laquelle on voit qu'elle bosse notamment pour / avec Viadéo. Passerelle intéressante, à supposer que la base Viadéo soit ainsi "attaquée" par Bob Emploi. Nous verrons cela plus tard.

Vient ensuite un écran qui va nous amener sur les frustrations que je serai prêt à accepter :

Criteres

Au final, dans les divers scénarios explorés on finit toujours par retomber sur les sites d'emploi "classiques" mais également sur le JobBoard Monster.

 

Ahbencadremploi

Ahbenpoleemploi
  Ahbenmonster

On peut ici regretter de se voir redirigé vers des sites externes avec tous les risques que cela comporte en terme de cohérence de parcours de navigation et d'ergonomie. Il aurait été me semble-t-il plus efficace et cohérent d'intégrer les offres au sein de l'interface de Bob Emploi plutôt que d'avoir cet effet "portail" qui vous rebascule vers l'extérieur et rompt l'expérience de navigation. Mais peut-être cela est-il prévu dans une V2 (au moins avec Pôle emploi parce que pour Monster, ça va être plus compliqué).

 

Moralité ?

J'ignore au final si Bayes Impact et Paul Duan permettront de faire baisser significativement le chômage. Mais une chose me semble certaine : même s'il ne permet pas de faire baisser le chômage, Bob Emploi pourrait être le précurseur d'un changement assez radical dans notre rapport à l'emploi, une nouvelle forme de compagnonnage, d'assistan(a)t (vaguement) intelligent, fondé sur un  régime de notifications en mode "coaching" (vaguement) personnalisé, nourri de statistiques incitatives calculées en temps réel et s'appuyant sur un classique régime de notifications.

NotificationsPar ailleurs, et comme tous les "outils" à la fois remède et poison (le fameux Pharmakon cher à Stiegler), l'avenir de Bob Emploi dépendra à la fois d'un cadre déontologique clair (la transparence du code joue pour l'instant en sa faveur) et d'une politique sociale tendant à prendre soin plutôt qu'à stigmatiser.

A ce titre la capacité de prendre en compte des critères "extra" professionnels comme celui des solutions de garde d'enfant est une excellente chose.

Garde-enfant

A l'inverse, l'utilisation d'une statistique incitative (cf ci-dessous) nécessitera un contrôle et une transparence de chaque instant.

Precarisation

On imagine aisément de quelle manière un décideur politique qui aurait la main sur ce dispositif, ou des agences privées en charge d'une mission emploi, pourraient s'ils le décidaient, facilement "orienter" des choix en faveur d'une libéralisation accrue (par exemple).

C'est d'ailleurs peut-être là le vrai pari et le réel intérêt de Bob Emploi, modifier notre rapport à l'emploi et au marché du travail en espérant que ce changement de nature permettra une baisse statistiquement fonctionnelle des chiffres du chômage.

 

 

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