Le cynisme est un métier. Et le grand n’importe quoi un projet politique.

<Mise à jour du 6 septembre au soir> Interview dans le journal de 22h de France Culture. Réécoutable ici à partir de 3'40. Et parution Mercredi 7 Septembre dans la version papier de Libération.

<Mise à jour du 6 septembre> Le site Reflets.info reprend également cette tribune et interroge (en vain) le ministère. Le site Handicap.fr s'en fait également l'écho et rappelle que le fait de ponctionner le FIPHFP pour tout autre chose que ce à quoi il est supposé servir est hélas une vieille habitude, démarrée sous l'ère Sarkozy :

"déjà 29 millions prélevés en 2014 et autant sur celles de son homologue du privé, l'Agefiph (article en lien ci-dessous), afin de financer les contrats aidés qui ne sont pourtant pas seulement destinés aux travailleurs handicapés. Une pratique déjà en cours sous l'ère Sarkozy puisque, en 2008, son gouvernement avait lui aussi opéré une saisie de 50 millions d'euros sur les réserves de l'Agefiph." (Handicap.fr)

Voir aussi cet article de Marianne. Enfin je vous fais grâce des nombreux témoignages de soutien pour me concentrer sur les quelques critiques (constructives) reçues.

Première d'entre elles : la question du handicap à l'université et dans la fonction publique est compliquée. Les universités font ce qu'elles peuvent, et de gros efforts sont en place notamment à destination des étudiants handicapés. Oui, oui, oui. Je n'ai jamais dit ni écrit que les universités ne faisaient pas leur part. Ni critiqué le travail d'insertion mis en place dans la plupart des établissements, travail notoirement insuffisant, mais la faute n'en incombe pas, loin s'en faut, qu'aux universités. J'ai "juste" réagi à un tour de passe passe budgétaire qui me semblait et me semble toujours profondément malhonnête ou hypocrite, ainsi qu'au "soulagement" du président de la CPU qui me semble toujours parfaitement inapproprié (doux euphémisme).

Deuxième d'entre elles : la situation compliquée en termes de sécurité exige qu'on trouve des financements pour sécuriser les campus, donc faut bien les prendre quelque part. Oui. Mais pas là. Pas dans ce fonds du FIPHFP. Le problème est d'abord celui du désengagement de l'état dans le financement des universités depuis la funeste loi LRU de 2008. Depuis cette loi, on ne compte plus à chaque rentrée les "mises sous tutelle" de différentes universités et les économies de bout de chandelle réalisées dans l'urgence absolue et sans aucune vision stratégique globale. Je suis souvent revenu sur le sujet dans des billets par ailleurs assez énervés publiés sur ce blog et que vous pourrez retrouver sans trop de peine. Que l'état paie déjà aux universités les sommes qu'il leur DOIT et une large partie du problème sera réglée. Donc à la question : "On fait comment pour trouver les financements pour sécuriser les campus ?" je réponds, ben déjà on commence par rendre les 40 millions d'euros au FIPHFP et ensuite l'état verse ce qu'il doit aux universités depuis déjà plus de 8 ans. Des sous, il y en a. Plein. Notamment du côté de l'absolue escroquerie que constitue le CIR (Crédit Impôt Recherche) depuis quelques années. </Mise à jour>

<Mise à jour du 5 septembre> Cette tribune, légèrement réécrite, a été reprise sur le site de Libération. Libération qui publie aussi la réponse du Ministère, qui s'étonne de cette polémique (en mode "oh mais ça ne porte pas atteinte à l'insertion des personnes handicapées, y'a encore 400 millions d'euros dans les caisses du FIHPFP" … donc on peut bien en piquer 10% ??) et multiplie les éléments de langage et la langue de poutre en chêne. Je vous en laisse juge. Toujours le silence radio du côté de la CPU … Le SGEN-CFDT de son côté, publie un communiqué de presse. </Mise à jour>

 

Je n'en ai pas cru mes yeux. Je n'ai pas trop suivi les polémiques concernant les jeux olympiques à Rio mais j'ai, peut-être comme vous, entendu parler du déficit qui allait être en partie comblé en allant taper dans la caisse des jeux paralympiques. Coubertin doit avoir le fondement légèrement douloureux mais depuis le temps, il a l'habitude. "L'important c'est de participer, et d'avoir un bon stock de vaseline" comme il se plaisait à dire.

Et là j'apprends que l'état va débloquer 30 millions d'euros dans le cadre de la sécurité, les attentats, tout ça, 30 millions qui seront versés au crédit du budget des universités afin de payer des vigiles. Déjà c'est la fête. 30 millions d'euros pour payer des vigiles qui, tout le monde le sait, ne serviront de toute façon à rien en cas d'attentat, alors même que la plupart des universités en sont depuis des années à mendier des postes d'enseignants et de personnels administratifs et techniques. Mais bon, en cas de coup dur on pourra toujours compter sur les vigiles pour venir assurer des TP d'informatique ou venir faire des emplois du temps.

Et puis j'ai découvert que ces 30 millions d'euros allaient être prélevés sur le budget du FIHFP. Le FIHFP c'est le "Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique". Oui oui. Voilà. Donc pour payer des vigiles à la fac on va taper dans la caisse qui devrait servir à financer l'insertion des handicapés à la fac.

Mais il y a mieux. Si si. Je vous jure. Ladite caisse du FIPHP est notamment abondée par – vous allez voir c'est magnifique – les … les … les … universités !! Lesquelles universités, si elles ne remplissent pas l'obligation d'emploi de personnes handicapées, doivent payer une amende, versée au fameux FIHFP. Elle est pas belle la vie ?

Bon et là vous vous dites "ah oui quand même …" Mais il y a – encore – mieux. Ah ben oui sinon ce ne serait pas rigolo. Donc pour filer aux université de quoi payer des vigiles, on tape dans la caisse qui devrait leur permettre d'employer des personnes handicapées, caisse qu'elles alimentent elles-mêmes à force de payer des amendes vu qu'elles ne remplissent pas leur obligation d'employer des personnes handicapées. Et donc la cerise de l'absolu foutage de gueule sur le gâteau du cynisme comme profession de foi, c'est que ces amendes que paient les universités, sont minorées. Parce que les universités bénéficiaient jusqu'à présent d'un taux dérogatoire qui fait qu'elles ne payaient qu'environ un tiers du montant de l'amende qu'elles auraient vraiment dû payer. Et que cette dérogation aurait dû prendre fin cette année. Ce qui fait qu'au lieu de verser 15 millions d'euros au FIHFP, les universités allaient cette année devoir en payer 45 millions.

Reste à faire une soustraction : 45 millions – 15 millions = 30 millions d'euros.

Je résume donc une dernière fois pour nos amis mal-comprenants : pour donner aux universités des sous leur permettant de payer des vigiles (alors qu'elles auraient plutôt besoin de profs et de personnels techniques et administratifs), on va taper dans la caisse du fonds censé permettre de faciliter l'insertion des travailleurs handicapés, caisse qui est elle-même alimentée par les amendes – minorées – que paient les universités qui ne respectent pas leur obligation d'emploi de personnes handicapées. Pour payer des vigiles. Il ne reste plus qu'à espérer que la cohérence de cette sublimissime mesure gouvernementale ira jusqu'au bout et qu'on emploiera des vigiles … handicapés.

Même Jean-Loup Salzmann, le chef de la CPU (la Conférence des Présidents d'Universités) s'écrie, je cite, que :

"C'est un vrai soulagement. Ces 30 millions sont dans nos caisses et serviront à payer les vigiles."

Le gouvernement vient donc de lui annoncer qu'en plus de ne pas remplir ses obligations en termes d'emploi de personnes handicapées, en plus de payer des amendes minorées, la différence sur le montant de l'amende réelle qu'il devrait payer allait pouvoir être affecté au recrutement de vigiles, et le Jean-Loup nous gratifie d'un "c'est un vrai soulagement". Je … comment dire … non en fait je ne vais pas le dire parce que bon ben vraiment là le risque d'employer un vocabulaire de vigile est tout de même assez élevé. Enfin merde quoi. "Un entubage de première" je veux bien, "une fumisterie d'un absolu cynisme" on est d'accord, mais "un vrai soulagement", non décidément il y a quelque chose qui m'échappe … Soulagé de quoi ? De taper dans la caisse d'insertion pour les handicapés ? De pas avoir à payer d'amende au montant fixé par la loi ? D'embaucher des vigiles ? De ne pas remplir ses obligations en matière d'insertion de personnes en situation de handicap ? What Else ?

Comme tout cela paraît incroyable je garde ici précieusement une copie d'écran de l'article d'Educpros dans lequel vous pourrez vérifier la véracité de ce que je viens de vous raconter, et ensuite aller comme bon vous semble, ou vomir ou pleurer.

Soit tout le monde est devenu dingue, soit tout le monde s'en cogne. Dans les deux cas c'est d'un niveau de cynisme hallucinant. Aussi bien du côté du gouvernement que de la CPU.

"Si tu veux ma place, prends on handicap", et si tu veux de la thune pour payer des vigiles, sers-toi dans la caisse qui devrait permettre aux personnes handicapées de trouver du taff à l'université.

 

Connards

9 commentaires pour “Le cynisme est un métier. Et le grand n’importe quoi un projet politique.

  1. Le FIPHP sert également à financer des aides techniques, des équipements nécessaires aux fonctionnaires handicapés déjà en poste, toute sorte matériel nécessaire à l’exercice de leur fonction. Déjà, avant qu’on prenne dans la caisse pour autre chose, il n’y avait jamais des sous. C’est un vrai scandale mais révélateur en même temps de la considération que ce gouvernement a réservé aux personnes handicapées

  2. Je sens que je vais poser une question idiote mais, à quoi servent ces 400 millions d’euros si on ne les dépense pas pour le public qui est prévu ?
    C’est une réserve de marge de manœuvre pour quand on doit dépenser de l’argent pour autre chose et qu’on n’en a plus ?
    Quant au fait que ces fonds ne seraient que provisoirement affectés à un autre usage, c’est le provisoire qui est de trop dans la phrase :-(.
    Ça doit être ça le libéral-socialisme décomplexé.

  3. Une petite précision. Les 30 millions ne sont pas directement prélevés dans la caisse du FIPHFP, car ça n’aurait pas été éligible (selon les règles d’utilisation de ces fonds). C’est la ristourne de 70% qui est prolongée d’un an (pour l’instant). Du coup c’est juridiquement inattaquable.
    Mais ce type de procédé n’est pas nouveau. Quand on cherche à faire des économies, les budgets pour les personnes handicapées sont souvent les premiers touchés (voir en ce moment par exemple les grosses réductions de budgets de certains établissements : foyers de vie, institutions spécialisées etc).

  4. Bonjour,
    Je vous trouve bien négatif. Je vois plein d’idées à partir de cela, puisque les postes de vigiles semblent l’avenir des Universités, en BU par exemple.
    Des vigiles et des moniteurs étudiants personnes handicapées règleraient bien les questions d’ouverture des BU le soir, le samedi, le dimanche puis la nuit bientôt, non ?
    Comme ça tout le monde est content… Enfin tout le monde pas vraiment, mais ce n’est pas grave, les pas contents ce sont des fonctionnaires syndicalistes rétrogrades bêtement attachés à leurs missions de service public…
    Encore merci de vos articles et de vos coups de gueule

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