Bienvenue dans le World Wide Wear

              (republication pour archivage personnel d'un article initialement paru sur le magazine Ecrans de Libération.fr, le 4 Novembre 2013 à l'adresse : http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2013/11/04/bienvenue-dans-le-world-wide-wear_944431.

Les fans pourront aussi relire un billet de novembre 2007 dans lequel je titrais : "Bienvenue dans le World LIFE web." Le billet ci-dessous en est la suite logique 🙂

  • 1990 : World Wide Web (web des documents)
  • 2005 World LIVE Web (web du temps réel)
  • 2007 World LIFE Web (web des profils)
  • 2013 : World Wide WEAR (web des objets et du corps-interface)

Après avoir relevé ses «like» sur des pages de produits alimentaires, son réfrigérateur tweeta au super-marché la liste de ses courses préalablement validée par l’algorithme diététique calé dans le capteur de sa montre connectée analysant en temps réel le nombre de calories consommées dans la semaine écoulée et dans celle à venir en fonction de la synchronisation des événements et activités figurant à son Google agenda : pas de jogging prévu ou effectué depuis 15 jours, ce seront autant de plats à basses calories qui débarqueront dans son frigo ; sa Google Car (voiture sans conducteur) après l’avoir déposé à sa réunion, ira faire ses courses toute seule, et passera au passage prendre ses enfants à l’école ; sur le chemin du retour ils visionneront sur leurs lunettes connectées (Google Glass) un programme télé coupé par une publicité dans laquelle sera reproduite et insérée l’image de leur mère vantant les mérites d’un site web éducatif sur l’époque romaine parce qu’ils ont justement dans quelques jours une interrogation d’histoire dans leur collège. Et que comme pour tout le reste, l’algorithme est déjà au courant.

World Wild Wear

A force d’être omniprésents, les écrans auront disparu : ils seront intégrés aux murs de nos maisons, aux parebrises de nos voitures, aux verres de nos lunettes, aux cadrans de nos montres, aux surfaces de nos tables, à celle même de notre peau. Google Glass, montres connectées, vêtements intelligents, etc. : bienvenue dans le world Wide Wear. De la même manière que les profils ont remplacé les pages web dans le fonctionnement de la planète web, ce ne sont désormais plus les écrans mais nos corps qui servent d’interface. Bardés de capteurs, cernés de miroirs publicitaires déformants, mesurés (quantified self), affichés, scrutés, optimisés. Et le transhumanisme de Kurtzweil qui débarque au sein de l’entité Google X, laboratoire «secret» de Google. Le choix d’une intelligence augmentée plutôt que le projet de l’intelligence collective.

Et l’algorithmie partout, ambiante, diffuse, à chaque choix, chaque requête déposée sur un moteur, chaque demande d’ami sur un réseau social, chaque décision, dans l’intervalle d’une micro-seconde, sur le modèle du trading haute fréquence. La calculabilité du monde rendue possible par le projet, habilement marketé, de nous convaincre d’être à la fois le produit, l’interface et la monnaie d’échange. Et un crash non plus boursier mais sociétal qui devient probable.

Primates du numérique

A ces échelles de la milliseconde, avec la puissance de calcul des industries du Cloud, avec plus de 30 milliards d’objets connectés à l’horizon 2020, avec la base de donnée actuelle d’un milliard de profils et du milliard de données que chacun d'eux laisse derrière lui, avec l’arrivée du «next big thing» qui sera le «next billion» (le prochain milliard d’internautes), nous sommes aujourd’hui semblables aux primates découvrant la station debout et observant qu’ils perdent l’usage de leur mains comme organes de portage mais qui n’ont pas encore découvert qu’ils y gagneront un organe de préhension, un organe à tout faire, une interface universelle.

Outerweb et Infranet

Le cyberespace n’est plus. Il est l’espace. L’outerweb c’est le web «retourné comme un gant», c’est l’autre côté du miroir-écran : les contenus qui font corps avec le monde, que nous portons «sur», «dans» notre corps. L’infranet c’est celui des objets connectés, extérieurs à nous-mêmes ou arborés comme autant de nouveaux oripeaux. Dans l’outerweb et dans l’infranet, l’essentiel des interactions s’effectue en-deçà de notre seuil de perception, «à l’insu de notre plein gré». Les algorithmes en pilotage automatique. L’internet de l’hypertexte s’était construit sur de l’écrit réagissant au clic d’une souris. Un texte et son périphérique. L’outerweb et l’infranet se bâtissent dès aujourd’hui sur des gestuelles mobiles adaptées aux terminaux les supportant désormais (tablettes) et correspondant au taux d’équipement du prochain milliard d’internautes connectés (mobiles), ainsi que sur des interfaces vocales qui verront la disparition complète des claviers et peut-être même de l’écrit, des objets connectés rendus autonomes par la volumétrie des données que nous acceptons de leur confier, des interfaces «à même la peau» qui nous permettent de le faire à un coût cognitif nul. L’ensemble représentant pour l’historien des techniques du siècle prochain un passage certainement comparable à celui du volumen au codex, de la lecture à voix haute à la lecture silencieuse. Mais dont nul ne peut dire si nous en tirerons autant de bénéfices.

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