Le World Wide WEAR ? C’est pas la mort !

Le web est marqué de grandes périodes. De grandes transitions. J'avais tenté de synthétiser les précédentes dans une formule, presque un slogan : le passage du World Wide Web au World Live Web (temps réel) puis au World Life Web (web de la collection des profils humains). C'était en 2007, ici.

Toutes les bonnes choses ayant une fin, tous les modèles économiques atteignant un jour ou l'autre leur optimum de rentabilité, le web, en tout cas les écosystèmes informationnels et les acteurs économiques qui en occupent l'espace, se cherche actuellement une quatrième voie.

Prenons l'exemple de Google. La machine à cash tourne à plein régime. Le modèle de régie publicitaire (pour faire simple) atteint son optimum : de la plus petite association à la plus grosse entreprise, tout le monde ou presque dispose d'un compte adwords. Pour augmenter ses marges, Google a déjà fait jouer tous les leviers dont il disposait, y compris à la marge, par exemple récemment, en autorisant (en 2010) ce qui était jusqu'ici interdit : acheter le nom d'un concurrent.

Google n'est pas sot et dispose souvent, comme tout bon joueur d'échec qui se respecte, de plusieurs coups d'avance. Il a conscience que ses leviers de croissance sont exploités au maximum et qu'il lui faut en trouver de nouveaux.

World Wide WEAR

Voilà le coeur de l'entité "secrète" baptisée Google X, et qui au sein de la firme de Mountain View développe différents projets disons … assez étonnants. La stratégie associée à ces projets se décline du court au (très) long terme.

A court terme, Google développe et lance ses Google Glasses. C'est l'avènement du World Wide WEAR. Celui du corps comme interface, des vêtements connectés. La suite logique du changement d'axe de rotation du web : des documents aux profils. L'individu, indexable, catalogable, monétisable est au centre des interactions et de l'écosystème, il investit les médias numériques pour parler de son corps, le scruter, l'exhiber, le mesurer (quantified self), le comparer, le mettre en scène. L'équiper de capteurs au plus près de cette corporéité omniprésente – les Google Glasses ne sont qu'une amorce, Apple et d'autres bossent sur des montres "connectées" – devient une opportunité en même temps qu'un nouveau moyen d'agir tel un marionettiste pour comprendre toujours plus finement chacun de nos besoins, pour les devancer, pour créer ceux qui seront le plus rentables pour ceux qui tirent les ficelles.

A moyen terme (10-20 ans), Google développe les voitures sans chauffeur. Le marché est clair, évident, gigantesque.  

Ils ont dressé leur estrade et tendu des calicots.

Et à long terme, on vient d'apprendre que Google avait décidé de repousser les limites … de la mort. C'est le projet Calico, dont le nom pourrait au choix être associé à la raison sociale "California Life Company", ou plus probablement aux Calicots venants eux-même du nom de la déesse Kali, déesse du temps, de la délivrance et de la … mort 🙂 Le projet est confié à Art Levinson, ancien PDG de Genentech, et dont la page Wiipédia est suffisamment éloquente

Les motivations de ce projet "fou" sont de plusieurs ordres.

Steve Jobs et d'autres patrons d'industrie considérés – à tort ou à raison – comme des génies, sont partis fauchés par la maladie au faîte de leur gloire et de leur empire. Brin et Page semblent eux-même avoir un rapport assez angoissé à la maladie, angoisse proportionnelle aux moyens colossaux dont ils disposent "cash" pour faire avancer la recherche sur le traitement de telle ou telle pathologie dont ils estimeraient pouvoir un jour souffrir.

Les liens de la firme Google avec le domaine de la génomique personnelle sont anciens et ancillaires : l'ex-femme de Serguei Brin est responsable de la société 23andMe. L'échec de Google Health ne doit pas laisser penser que les deux patrons ont renoncé à se forger une place de leader dans le champ médical.

Tous les empereurs, tyrans, despotes ou grand démocrates, tous les hommes de pouvoir disposant à fortiori d'une montagne de cash à l'appui de leurs moindres désirs ont depuis la plus haute antiquité jusqu'à nos jours toujours toujours cherché à repousser les limites de la mort. Les liens particuliers de Google avec la génomique personnelle, l'embauche de chantres du transhumanisme et d'autres indices rendent rétrospectivement presque évidente l'annonce de ce plan de bataille du géant californien pour "résoudre le problème de la mort". 

Stratégiquement, économiquement, Google fait le pari que ses lunettes seront la pierre angulaire du World Wide Wear. Il fait le pari que dans 10 à 20 ans les voitures électriques sans chauffeur consitueront la même pierre angulaire d'un marché automobile en plein renouvellement. Et il fait également le pari, non pas de renvoyer la mort à une simple erreur 404, mais que dans un demi-siècle ou plus tard, des pathologies semblant aujourd'hui incurables comme certains cancers pourront, grâce aux progrès de la génomique personnelle être enfin curables ou prolonger significativement l'espérance de vie de l'ensemble de la population. Et que ce sera le plus grand marché du monde.

Comme le rappelait Martin Lessard dans son billet, "L’idée que quelqu’un puisse me contacter 2 jours avant que je n’aie une crise cardiaque me parait séduisante …"

Dingue ? Utopique ? Mégalomane ? Certainement les trois.

En 1998, Google faisait le pari qu'il parviendrait à indexer et à organiser l'ensemble des informations circulant sur la planète, et ce sans avoir besoin de regarder le contenu des pages, simplement en comptant les liens pointant vers elles. Dingue.

En 2004, un autre projet fou faisait couler beaucoup d'encre : le projet Océan, devenu ensuite Google Print puis Google Books visait à numériser gratuitement l'ensemble des ouvrages du domaine public. Une bibliothèque universelle. Utopique.

Dès son lancement en 2008, ses deux fondateurs annonçaient du fond de leur garage de startuper l'ambition "d'organiser et de rendre accessible l'ensemble des connaissances à l'échelle de la planète." Mégalomanes.  

L'avenir reste ouvert. Pas plus que vous ou moi, Serguei Brin ou Larry Page n'ont les moyens de le deviner. Mais ils disposent à l'évidence de moyens au service de leur imagination.

Et de leurs névroses. 

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