Neutralités de l’internet

Retour et compléments sur mon intervention du jour à l'ISCC (diaporama inclus à la fin de ce billet).

SUR LA NEUTRALITE DU NET EN GENERAL ET LA NEUTRALISATION DU WEB EN PARTICULIER.

Du point de vue des grandes firmes de l’accès, la question de la neutralité est d’abord celle de la possibilité  – que nous leur laissons ou qu’elles s’accordent – de neutraliser tout ou partie des contenus du  web. Elles en avaient la capacité elles en ont désormais la nécessité et le besoin ( "capitalisme linguistique").
Ces stratégies de "neutralisation" sont d’autant plus fortes que les firment en question sont fermées (ou phagocytent des externalités), et propriétaires du service ou ont une "délégation" totale sur les contenus (YouTube)
Cette neutralisation implique de maintenir chez les internautes une opacité maximale sur les stratégies de guidance des requêtes (adressage) et de collecte des données (publicité) ainsi qu’un contrôle optimal sur les interactions en ligne.

SUR LE POURQUOI CETTE QUESTION SE POSE EN CES TERMES (neutralité / neutralisation)

<HDR> Je pense important de distinguer 6 stades différents dans l'évolution des enjeux et des paradigmes de "neutralité du net".

  1. Neutralité initiale des tuyaux et des protocoles (TCP-IP)
  2. Neutralité suivante des contenus (indexation et accès)
  3. Neutralité croisée des tuyaux/protocoles ET DES contenus ET DES accès (paradigme Google / YouTube)
  4. Collision (conflits d’intérêt de bande passante et de référencement)
  5. Collusion (régies publicitaires dans les tuyaux sur les contenus)
  6. Neutralisation nécessaire et réciproque des tuyaux vers les contenus (free AdGate), des tuyaux vers les accès (free / youtube), des contenus vers les tuyaux (priorisation partenariale ou actionnariale : Orange / Deezer, FranceTélécom / Dailymotion, Google / YouTube, etc.) </HDR>

SUR LE PULSIONNEL COMME REGIME D'ATTENTION

La publicité contextuelle ("ads are content"), associée au marketing comportemental, lui-même désormais associé aux "Big data" ont – entre autres – permis l'émergence de "l'Opinion mining" et de "l'analyse du sentiment" (cf ce remarquable ouvrage sur le sujet). Ils ont également cristallisé le passage d'une "web neutralité" à une "web réalité" (au sens de "télé réalité"), dans laquelle le pulsionnel devient le régime d'attention quasi-unique et où le sentiment et l’opinion sont les grilles de lecture privilégiées.

SUR UNE NOUVELLE DEFINITION DES F.A.I. ET SUR LA BASCULE DES REGIMES ATTENTIONNELS

La question des FAI est à la fois simple et compliquée. Simple parce que littéralement, les FAI sont ceux qui nous donnent accès à l'Inter-net (c'est à dire à la totalité de l'ensemble des réseaux interconnectés via le protocole TCP-IP). Et compliquée parce que la question de cet accès à Internet ne peut plus être réduite au seul accès au "net" mais doit être étendue à l'accès au "web" (en raison des neutralisations nécessaires et réciproques évoquées plus haut)
Or comme il est facile de démontrer que désormais, pour les moteurs de recherche, seules sont légitimes et méritent réponses ou attention, les FAQ (frequently asked questions), qui font partie des premières représentation collectives du réseau, mais qui sont aujourd'hui essentiellement orchestrées algorithmiquement et "on the fly" (à la volée, grâce aux fonctions d'auto-complétion notamment), et comme les moteurs de recherche, les hébergeurs de contenus, et les FAI, en plus d'être parfois les mêmes, sont aussi en situation de concurrence libre mais nécessairement faussée sur des stratégies de peering, on peut alors, sinon proposer une nouvelle définition de ce qu'est un FAI, mais en tout cas observer une inversion des rapports de force : c'est désormais la nature des FAI "frequently accessed Informations" qui détermine et pondère le rôle des FAI "fournisseurs accès internet".
C'est autour de ce point nodal de l'accès que se cristallise la bascule des régimes attentionnels, depuis des usages qui ont initialement conçu et façonné le web pour lui permettre "d'isoler" les questions les plus fréquemment posées (les FAQ's) afin de laisser justement davantage de place et littéralement plus "d'adressages" (URL) aux questions non encore posées ou résolues, vers un web de nature solutionniste que les opérateurs de l'accès ont à la fois tendance et intérêt à orienter du côté des réponses les plus fréquemment répandues (Frequently answered responses), car ce web là représente pour eux une économie d'échelle considérable dans l'adressage et le traitement des requêtes, ainsi que dans les possibilités de monétisation associées.
En poussant – à peine – un peu l'analogie, on pourrait craindre que ce qui demain définisse le rôle, la place et la force d'un fournisseur d'accès (FAI) ne devienne sa capacité à déployer et/ou à supporter une espèce de super chaîne de CRM (customer relationship management), au service d'une priorisation entièrement régulée par des intérêts économiques, c'est à dire une gestion "(uni)directionnelle" d'internet (au double sens de "diriger" et de "direction"), une CRM devenue DRM (Directional Relationship Management). Ah tiens, des DRM au coeur des internets …

STÉRÉOTYPIE COMME IDÉALISATION ALGORITHMIQUE DU « PATTERN », DU « MOTIF ».

<HDR> A la question, mais pourquoi donc l'auto-complétion de Google nous propose-t-elle un tel nombre de solutions si terriblement stéréotypiques (cf Diapo 32), il faut, avant de répondre, ne jamais oublier que la seule voie possible pour traiter l'immensité des corpus à disposition est d'en faire émerger des motifs (cf Diapo 18), des "patterns", motifs exploitables ensuite pour alléger la charge des serveurs (en se contentant de reproposer des réponses déjà affichées sur des requêtes similaires plutôt que d'aller à chaque fois interroger l'index "matriciel"), et pour prioriser la pertinence des résultats proposés (sur tels types de mots clés, "les gens" attendent prioritairement des résultats vidéos, ou des résultats d'actualité, etc.).
Ceci étant rappelé, la stéréotypie se présente (pour les moteurs) comme un idéal du "pattern", du "motif" : d'abord parce qu'elle  "(…) a pour but de ne présenter qu'une seule réponse, une seule voix, sans aucune solution de rechange. (…) Voilà pourquoi les stéréotypes sont les éléments qui incitent à l'action. Ils donnent la solution ultime. On ne discute pas, on agit." (cf Source) Et ensuite parce que ce faisant elle permet (la stéréotypie toujours) de maintenir l'internaute au coeur de l'écosystème hôte, et surtout (s-u-r-t-o-u-t), de permettre à l’écosystème hôte de garantir le couplage structurel entre l'intentionalité supposée qui préside au requêtage, et une action de consultation qui vient doper le "taux de transformation." </HDR>

SUR LES DEUX ÉLÉMENTS DU PACTE FAUSTIEN DE LA PRÉDICTION.

  • Son coût cognitif doublement nul

J’accepte la prédiction/suggestion car elle m’économise le coût de la formalisation d’une recherche. Et
j’accepte aussi, par "commodité cognitive", de remplacer des externalités de navigation par des internalités de consultation (tout est fait pour être visionné, accédé, consulté, répondu à l’intérieur du biotope ou de l’écosystème, grâce, notamment, au paradigme de l’identifiant unique)
C'est d'ailleurs une manière drastique de régler le "lost in hyperspace problem" de Conklin**  : annuler la possibilité de désorientation et surcharge cognitive par une re-territorialisation contrainte, dont la géolocalisation n’est que l’instance la plus faible.

**Conklin, E. Jeffery. "Hypertext: An Introduction and Survey." IEEE Computer 20 (September 1987): 17-41.

  • La boucle de rétroaction des représentations et des données associées

Dans un premier temps de la construction des grands biotopes du web, les machines se servent de nos représentations (discours, pages web) pour produire des modèles (algorithmes) et les alimenter à l’aide de données (statistiques, marketing, etc.)
Dans un second temps, la boucle s'inverse et les machines se servent de données (statistiques, marketing, etc.) pour modéliser des comportements (algorithmes) et y associer des représentations (discours, pages web).

Et voilà. 🙂

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