Cloud et données personnelles : vers une rupture de la chaîne du froid ?

La chaîne du froid nous dit Wikipédia est :

"l'ensemble des opérations logistiques et domestiques (transport,
manutention, stockage) visant à maintenir un ou des produits
alimentaires ou pharmaceutiques à une température donnée pour assurer le
maintien de sa salubrité ou ses qualités gustatives. Selon les produits, les normes fixent les
température limites et les tolérances de dépassement (…). L'intérêt du terme chaîne est de souligner l'importance de la
continuité des étapes ; aucun maillon ne devant céder et anéantir
l'essentiel de l'effort général déployé pour aboutir en fin de chaîne à
un produit préservé de tout échauffement."

On sait également que du côté des Datacenters de nos chers mastodontes, le principal problème est celui du rafraîchissement des immenses salles où tournent à plein régime des milliers de racks de serveurs. Et que la dernière technologie du Cloud permettant ledit rafraîchissement est baptisée "cold storage". Pour faire simple et ne pas risquer de raconter de bétises, le stockage "basse température" permet de consommer moins d'énergie, de laisser les serveurs dans l'équivalent d'un mode "veille", et de multiplier la capacité de stockage offerte par les mêmes serveurs ("each rack of servers has eight times more storage, and is five times more energy efficient"). Seul inconvénient : l'utilisateur réclamant des données conservées en "cold storage" devra patienter quelques secondes à la place de l'habituelle réactivité de serveurs "hot storage" de l'ordre de  quelques millisecondes.

Amazon, leader historique du Cloud fut l'une des premières grandes sociétés à mettre en place (et à proposer à ses entreprises clientes) une offre de cold storage baptisée fort à propos "Glacier". Les avantages pour les clients d'Amazon sont les mêmes que pour Amazon elle-même : baisse des coûts et augmentation de la capacité de stockage. L'inconvénient demeure : temps de réponse augmenté.

Facebook souffle le froid et nos données s'échauffent.

C'est désormais au tour de Facebook de mettre en place une chaîne du froid concernant nos données personnelles : voir l'article d'Archimag ou ceux en anglais ( ou ). Elle portera spécifiquement (en tout cas dans un premier temps) sur les données les plus gourmandes en stockage et les plus présentes dans le biotope du site c'est à dire les photos :

"Considérant les 350 millions de photos postées chaque jour sur ses
timelines, auxquelles s’ajoutent les 240 milliards de clichés accumulés
depuis sa création, Facebook a constaté que 82 % de son trafic se
concentrait sur seulement 8 % des photos disponibles, généralement les
plus récentes. Le réseau social n’effaçant pas les vieilles photos, ces
données partagées peu consultées sont extrêmement gourmandes en capacité
de stockage des serveurs ainsi qu’en consommation d’énergie au sein des
data centers.
" (Source : Archimag)

Voilà pour les faits et les technologies. Constatant l'inexorable essor des usages centralisés dans une offre 100% cloud (et les données associées), considérant également les enjeux en terme d'infrastructure technique que représentent les technologies de stockage de conservation et de facilitation d'accès à ces données, on ne va pas rechigner pour quelques millisecondes supplémentaires d'attente et l'on ne peut que se réjouir de la congélation nouvelle des données pas ou peu accédées si cela permet de faciliter à l'inverse la remontée des données les plus demandées ou les plus utiles (pour nous et … pour eux).

On se permettra en revanche de souligner les enjeux de ce changement pour nos usages triviaux.

Un congélateur certes. Mais à tiroirs ou un bac ?

Nul doute que les solutions cold storage sont plus proche de l'organisation méthodique de ceci que de la solution "mais où j'ai mis les poissons panés ? ah oui au fond, Oh tiens un poulet congelé il y a 7 ans que j'avais oublié". Même si l'on nous dit qu'elle repose sur l'usage constaté (photos les moins demandées ou les moins accédées), n'en demeure pas moins qu'il s'agit là d'une nouvelle étape dans la délégation de la gestion de nos unités mémorielles. En même temps qu'il s'agit d'une nouvelle confirmation de la pertinence d'une approche de l'architecture de l'information reposant sur les fondements et acquis des métiers de l'archivistique.

Rupture de la chaîne du froid ?

Dans le domaine alimentaire, les vaches ainsi que leurs cousins pas si éloignés que ça (les chevaux donc) et l'ensemble des autres denrées doivent être préservées d'une rupture de la chaîne du froid pour contenir et éviter le développement de toutes sortes de bactéries plus ou moins pathogènes. Nos données, nos photos en l'occurrence, ont-elles quelque chose à craindre d'une telle rupture de la chaîne du froid ? Rien ne permet pour l'instant de le dire. On peut en revanche être plus que sceptique sur l'impact que cette nouvelle stratégie archivistique de réfrigération aura en termes de traçabilité et de visibilité des données ainsi "gelées".

Dérive des continents documentaires : période de glaciation.

Dans le cadre de ma petite théorie de la dérive des continents documentaires, il semble donc que nous entrions désormais dans une période de glaciation. Comme souvent dans ce genre de cas, les conséquences suivantes sont à prévoir :

  • "mouvements tectoniques verticaux (glacio-isostasie)" : nouveaux déplacements tectoniques donc (sur la base de la pangée documentaire constituée, on peut prévoir une réduction de la surface totale indexable au profit d'une densification des jardins fermés constituant les plaques principales).
  • "modification de la circulation océanique mondiale" : l'océan des données, ses courants chauds et froids vont être impactés au profit de l'orchestration de la remontée des données les plus "chaudes" non parce que les plus fréquemment accédées ou demandées mais parce que les plus directement monétisables (soit la transposition dans le domaine du stockage brut des logiques de "suggestion" de mots-clés et d'affichage instantanné des résultats dans le domaine du Search : il s'agit in fine de nous dicter ce qui est chaud et ce qui est froid plutôt que de l'observer de manière purement empirique).
  • "Conséquences écologiques et génétiques" :
    s'il est bien trop tôt pour avancer un scénario évident, il demeure probable au vu de la logique décrite dans le point précédent, qu'à l'instar des requêtes suggérées, les photos qui étaient tièdes deviennent chaudes et que les chaudes deviennent brûlantes. Bref, que de nouvelles logiques d'audience dans les stratégies d'accès écrasent les précédentes et que face à cette glaciation en marche, les usagers soient de plus en plus tentés (et incités) à migrer vers les zones chaudes, voire très chaudes, renforçant ainsi le potentiel de ciblage marketing et publicitaire des fournisseurs de services.

Ah tiens … il neige dans le cloud … Equipements spéciaux à prévoir.

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