Travailler plus pour enseigner mal : ce que j’aurai pu dire à Valérie Pécresse.

Aujourd'hui à partir de 15h, Valérie Pécresse répondra donc en "direct" et en "tchat" aux questions des internautes sur l'épineux dossier du "plan-carrière" des enseignants-chercheurs.
Comme on se dit tout, il ne vous a pas échappé que j'avais largement commenté ce "dossier", ainsi que les différents rapports qui lui ont servi de préambule (rapport Schwartz notamment). Et comme vous me lisez depuis longtemps, vous savez également que je suis parfois un peu rosse (mufle ?) avec notre Ministre, en refusant publiquement ses pourtant charmantes invitations à dîner. Et comme vous commencez à bien me connaître, vous savez enfin, que je suis joueur.
Et comme je suis joueur, même s'il est évident que cette séance de "tchat" est d'abord et avant tout une énième stratégie d'évitement, dont l'objectif principal et presque avoué est de permettre à notre chère ministre de rester à la fois "proche de la base" et d'attester de son "alphabétisme numérique", je vais quand même dresser la liste des questions que j'aurais pu lui poser et auxquelles nous sommes certainement quelques milliers d'enseignants-chercheurs à attendre des réponses, lesquelles réponses méritent certainement un espace-temps de débat autre que celui d'un "tchat" en "direct-live" (<Update> faux-direct en fait, puisque primo, nombre de questions sont déposées à l'avance – depuis hier – apparemment pas donc, cf ci-dessous le commentaire de Theo</Update>, et que, deuxio, il est possible de filtrer en toute impunité les questions trop gênantes ou embarassantes). Pour le dire autrement, j'avoue ne pas trop croire à ce genre d'exercice propice aux embouteillages (numériques) et à la confusion (des arguments). Je
connais plein d'universités (et d'universitaires) qui ne demanderaient
rien de mieux que d'avoir un "vrai" débat avec leur ministre. Et ils le
demandent depuis longtemps, et sur tous les tons. Allez, fi de ces préambulatoires atermoiement, tchattons.

  • Question 1 (préalable) : Accepteriez-vous de débattre de ce sujet (crucial), non pas en répondant à des questions qui vous seront (pour la plupart) soumises à l'avance, mais sur un "vrai" temps de débat, face à un "vrai" contradicteur (par exemple un maître de conférence spécialiste de ces questions ou un représentant d'une association comme sauvons la recherche). Si oui … Où et quand ? Et si non, Pourquoi ? J'ai bien dit "de débattre" et non pas "de faire un colloque sur" … (L'ORS pourrait par exemple assurer une retransmission vidéo de ce débat) Pour compléter ma question, je ne crois VRAIMENT pas que le système "chat" soit approprié pour ces enjeux ; répondre par petites phrases à d'autres petites phrases est – me semble-t-il – parfaitement contraire à la tradition même du débat au sein de cette grande maison que vous devez pourtant un peu connaître, c'est à dire l'université.
  • Question 2 (concrète) : dans les dernières études dont on dispose – M-F Fave-Bonnet (2002) -, "si l’on se réfère aux rares statistiques sur les taux d’encadrement, la France, (…) reste un des pays où le nombre d’étudiants par enseignant est des plus élevé : selon l’OCDE ( 2002), la France se place derrière l’Italie ( 22,6) avec un taux d’encadrement de 18,3 en 2000, loin devant l’Espagne( 15,9), les États-Unis ( 13,5), l’Allemagne ( 12,1), le Canada ( 9,8) et la Suède ( 9,3).". Et ma question est donc la suivante : pourquoi, alors même que de la maternelle à l'université le taux d'encadrement est unanimement reconnu comme LE facteur clé de réussite, pourquoi, alors que le taux d'encadrement dans les universités françaises est plutôt en queue qu'en tête de peloton, pourquoi s'acharner à ne pas vouloir mettre en place un plan pluri-annuel de création d'emplois ? En d'autres termes plus "tchattants", pourquoi mettre toujours moins d'enseignants devant toujours plus d'étudiants ? Et par pitié ne me répondez pas "plan licence" : ce n'est ici pas le sujet mais je serai ravi de vous faire la démonstration de l'inanité dudit plan tant qu'une logique de moyens ne sous-tendra pas sa logique d'objectif.
  • Question 3 (super concrète) : Voici un extrait de la directive qu'Axel Kahn (Président de l'univ. Paris Descartes) a envoyé il y a quelques jours à ses "administrés" : "Les modulations internes à l'établissement assurent globalement le maintien du potentiel d'enseignement et de recherche tel que défini dans le contrat quadriennal. En fonction de ces modulations, la charge d’enseignement ou le temps de recherche peuvent dépasser la durée annuelle de référence. Il s'ensuit des principes suscités l'impossibilité de compter en tant qu'heures complémentaires des heures d'enseignement assurées à la place de tout ou partie de l'activité de recherche, dans les limites du temps officiel de travail." Ma question donc : sachant que les heures "complémentaires" (que beaucoup d'enseignants-chercheurs acceptent non par appât du gain ou pour le plaisir de "travailler plus", mais simplement parce qu'il n'y a pas d'autre choix – pas de création de postes – si l'on veut que les enseignements inscrits au programme puissent être délivrés), sachant, disais-je, que les heures complémentaires ne sont donc pas des heures supplémentaires (elles sont payées moins cher), le résultat CONCRET c'est que nous (les enseignants-chercheurs) allons donc devoir effectivement travailler enseigner plus et que vous (le ministère) profitez de ce subterfuge pour ne même plus nous payer ce supplément de travail en heures complémentaires. Moralité : si j'étais Sarkozyste il m'apparaîtrait flagrant que cette attitude est en parfaite contradiction avec le dogme présidentiel qui indique vouloir "libérer" les heures supplémentaires. N'étant pas Sarkozyste, je constate simplement que vous avez trouvé un énième moyen de faire bosser davantage les gens en les payant moins. Et j'oscille donc entre le dépit et la colère. (et merci de ne pas me répondre  "revalorisation salariale" de votre "plan-carrière", hors les quelques dizaines de chaire "poudre aux yeux" pour lesquelles une poignée de chercheurs sera effectivement payée comme une majorité devrait l'être, les seuls à bénéficier, dans votre projet de décret, de substantiels avantages, sont ceux qui en ont le moins besoin, c'est à dire les "professeurs d'université".)
  • Question 4 (hyper-concrète) : à la prochaine rentrée, les enseignants-chercheurs recevront donc directement de leur président d'université, leur "charge horaire d'enseignement et de recherche" pour l'année. Dans le cas (cas d'école bien sûr) où un président d'université en profiterait pour pénaliser un enseignant en augmentant par exemple considérablement sa charge d'enseignement, ou dans le cas (d'école toujours), ou il y aurait un conflit sur cette définition de service entre l'enseignant-chercheur et le président, quelles sont les modalités de recours prévues ? A ma connaissance il n'y en a aucune à ce jour. S'il ne devait au final n'y en avoir effectivement aucune, ce serait naturellement la voie ouverte à l'arbitraire et au caporalisme. Le fait même que le projet de décret ait été publié sans en faire mention (sauf erreur de ma part) me semble attester le peu de cas qui est fait de l'importance du "dialogue social" dans l'université …
  • Question 5 (logique) : Pourquoi la proposition du rapport Schwartz de créer une "Habilitation à diriger les enseignements" n'a-t-elle pas été retenue ? C'était de loin l'une des idées les moins mauvaises de ce rapport. De plus, elle aurait été en cohérence parfaite avec votre projet de décret et votre ambition affichée de créer une "caste" d'enseignants coupés de toute activité de recherche digne de ce nom.
  • Question 6 (de fond) : quel que soit l'angle de lecture que l'on ait sur votre projet de décret, il en ressort que la  complémentarité enseignement-recherche va se trouver réduite comme peau de chagrin. C'est dommage. A l'université, enseigner sans chercher (ou en cherchant significativement moins), ou chercher sans transmettre (c'est à dire sans enseigner ou en enseignant là encore significativement moins) équivaut à une stérilisation programmée de ce qu'aucun rapport n'est ni ne sera jamais capable de saisir, de mesurer à l'aune de critères strictement comptables : je parle du si simple mais si essentiel plaisir de transmettre le fruit de "sa" recherche à "ses" étudiants. Ah oui, j'allais oublier ma question. Comment justifiez-vous cette volonté affichée, programmatique, de dissocier l'enseignement de la recherche ? Dans un cerveau, les deux hémisphères n'ont de sens que s'ils fonctionnent "en lien",  même si chacun à son propre et inaliénable rôle. Imaginer statuer sur "un enseignement allégé en recherche" ou sur "une recherche allégée en enseignement" c'est faire le pari du bon petit soldat, mais certainement pas celui de l'excellence, pas davantage celui de la qualité. 
  • Question 7 (sarcastique) : Concernant le rôle et les méthodes de ce beau bébé sarkozyste qu'est l'AERES (agence d'évaluation de la recherche), comment expliquez vous les aberrations et les hétérogénéités méthodologiques qui ont eu pour principal mérite de faire rapidement l'unanimité sur l'inanité des "classements de revues scientifiques" produits ? 
  • Question 8 (hors-sujet mais pas tant que ça) : Au sujet des 100 000 euros de budget annuel (nos impôts donc) que le ministère de la recherche va engager dans son opération de "veille de l'opinion", ne pensez-vous pas, sincèrement, que cette somme, si minime soit-elle au regard du budget de votre ministère, pourrait être utilisée à bien meilleur escient ? (et à propos, avez-vous bien reçu ma lettre d'auto-délation ?)
  • Question 9 (perfide) : On parle beaucoup de remaniement ministériel, et on vous dit appelée vers de plus hautes fonctions, est-il possible de connaître le nom de votre successeur au ministère ?

(Questions déposées – telles quelles – ce jour à 10h45 sur le site dédié)

Merci madame la Ministre. Soyez assurée de mes sentiments les plus respectueux quoique les plus navrés devant la reculade historique et durable que vous nous promettez avec cette réforme. Je ne pense pas jouer l'inflation du nombre en écrivant ici que nous sommes plusieurs milliers à avoir envie de discuter avec vous de tout cela. Mais nous avons envie de le faire "sur le fond" et dans un espace-temps de débat qui "laisse penser", plutôt que de "tchatter" avec vous en pure perte forme et dans un espace-temps médiatique qui pourrait prêter à sourire s'il n'annonçait pas déjà tant d'amertumes à venir.

Un dernier conseil si vous le permettez, c'est un conseil de lecture. Je vous recommande très chaudement (ainsi qu'aux lecteurs de ce billet) de lire et de méditer le billet suivant : "La science doit-elle être rentable ?"

Pour les lecteurs de ce blog j'ajoute :

<Update du lendemain>
Dommage

Valérie Pécresse et l'ORS auraient-ils été également victimes de la malédiction d'Europeana .? (cf le commentaire de Théo et ma réponse)
</Update>

(Temps de rédaction de ce billet : 2 heures)

7 commentaires pour “Travailler plus pour enseigner mal : ce que j’aurai pu dire à Valérie Pécresse.

  1. Cher Olivier,
    merci d’avoir déposé vos questions ce matin.Est-ce donc que vous croyez quand même un peu au chat? En tout cas nous les avons prises au sérieux et prévoyons d’en poser à la ministre (pas celle sur votre “auto dénonciation”, elle est drôle mais un peu “auto centrée” et très à côté du débat).
    Je vais essayer de réagir à ce billet de façon brève et constructive:
    -organiser un débat: pourquoi pas? Mais le fait de mettre sur pied un chat sur des questions aussi concrètes que les carrières, est déjà une étape majeure dans le supérieur et la recherche. Je regrette que vous ne le souligniez pas.
    -est-ce une simple opération de com’? évidemment la ministre communique. Mais elle le fait avec la seule rédaction spécialisée sur l’enseignement supérieur et la recherche. Notre intérêt et que cela apporte des réponses les plus concrètes possibles aux dizaines de personnes qui ont posté des questions. Vous dénoncer un “espace médiatique qui prête à sourire”. Mais laissez moi vous demander quel média s’est déjà vraiment intéressé à ce questions? (Ce chat vient prolonger un dossier de l’ORS très complet sur les carrières, dont vous pouvez consulter le sommaire ici: http://www.lors.fr/magazine.php)
    -Les questions des internautes: nos en avons reçu des dizaines. Dérangeantes, pointues, inquiètes…excellentes pour leur grande majorité. Cela sans verser dans l’excessif ou le grandiloquent! Il y a clairement un besoin énorme d’information, tant chez les enseignants chercheurs que chez les Biatoss. Là encore, l’enjeu de cet chat est grand car ce sont des personnes qui ont rarement l’occasion de s’exprimer. Espérons que la ministre sera à la hauteur.
    -Pour info: les questions n’ont pas été soumises au préalable à Valérie Pécresse. L’ORS est seul à les sélectionner.
    Comme ce chat est une première, nous en tirerons les leçons et nous ne prétendons par avoir la formule idéale pour “bien” générer le débat dans le supérieur et de la recherche. Mais, à en juger par la nature des questions reçues, nous avons tiré un fil intéressant.
    Bravo pour ce blog que nous suivons avec intérêt,
    Cordialement,
    Théo Haberbusch
    responsable éditorial de l’ORS

  2. merci, olivier, d’élargir l’audience de ces débats (et de ce tchat !!! 😉 qui concernent à la fois des questions de filières professionnelles précises mais évidemment de manière plus large les orientations actuelles des politiques publiques
    je t’encourage car je ne crois pas que l’on puisse dissocier ce que l’on dit de là où on le dit : particulièrement sur le web ; position que tu affirmes courageusement

  3. Theo> si vous suivez attentivement ce blog (je n’en doute pas) vous savez que j’adore avoir mauvais esprit, ne prenez donc pas “à charge” mon argumentaire. L’ORS est en la matière tout à fait légitime dans cette démarche. Par ailleurs j’ai modifié dans mon billet le passage sur la préparation des questions 🙂
    Ceci étant dit, et sur le fond, je maintiens que la ministre est impatiemment attendue dans d’autres espaces-temps de débat, IRL (in real life) 🙂

  4. A moins que ça ne soit venu de moi… mais finalement le tchat n’a pas eu lieu.
    Problèmes techniques apparemment, dommage.

  5. Le chat a bien eu lieu…mais tout le monde, loin de là, n’y a pas eu accès!
    Pardon pour ce bug.
    Un mail d’excuses est partit chez tout ceux qui s’étaient inscrits au chat (plusieurs centaines de questions) et chez tous nos abonnés. Ils recevront très vite la retranscription du chat. En “bonus” d’excuses nous leur avons adressé un document normalement réservé aux abonnés: le vademecum des primes 2009 (Biatoss et enseignants-chercheurs).
    Pour ceux qui veulent des détails, sachez que cette première a été perturbée par les faiblesses de notre serveur.
    L’ORS dans sa version actuelle date de l’époque du web “-2.o” et n’a pas été capable d’assumer le nombre de connexions record pour ce chat.
    En fait, je profite de l’occasion pour vous annoncer que nous travaillons à une refonte pour mars 2008.
    Mais l’occasion fournie par le chantier carrières nous a convaincu mettre sur pied le chat sans attendre. Enthousiasme un peu coupable! Nous nous consolons en nous disant que nous avons pu poser une bonne batterie de questions à la ministre.
    A vous de juger dès leur réception dans votre mail!

  6. Théo> le syndrome Europeana ? 😉
    J’espère que vous en avez profité pour demander une rallonge budgétaire d’équipement à la ministre … Plus sérieusement, et au-delà de l’incident technique en lui-même, cette mésaventure (comme celle d’europeana à une plus grande échelle) pose tout de même sérieusement la question d’une réelle politique d’infrastructures de diffusion pour les acteurs/organismes/institutions publiques. Il faut arrêter de croire que le problème de l’accès EST un problème : la demande énorme devant des événement nationaux (tchat avec Valérie) ou internationaux (lancement d’Europeana) montre que l’accès est au rendez-vous côté utilisateurs … ce qui n’est pas au rendez-vous c’est la capacité d’absorbtion de ces demandes d’accès …
    Pour résumer : plutôt que de se focaliser sur le “taux d’équipement des ménages” notre ministre ferait bien de donner aux universités les moyens de réussir le pari des infrastructures de consultation. Bref, un vrai web de service public capable de ne pas poser comme nécéssité non-négociable le recours à des prestataires privés dès que l’on vise plus de 3000 connexions simultanées.
    Bon, et ceci étant dit, j’attends donc impatiemment la réponse à quelques-unes de mes questions 🙂

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