Sergei Brin souffre de la maladie de Parkinson.

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Billet d’humeur où il est question de Sergei Brin, du financement de la recherche médicale, des maladies orphelines, de l’appel de Sauvons la Recherche et de quelques autres choses encore.

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Donc Serguei Brin souffre de la maladie d’Alzheimer.

Bon ben en fait non. Derrière cette intox se cachent en fait trois infos.
1 : Sergei Brin a ouvert son blog***. (il a naturellement choisi la plateforme Blogger)
2. Sur son nouveau blog, Sergei Brin nous annonce être client dans fait de la pub pour la société de sa femme (société 23andMe dont Google est largement actionnaire). Et comme tous les clients il a fait faire son séquençage de génôme en bavant sur un morceau de papier buvard (ou un coton-tige, je sais plus) et en l’envoyant par la poste à 23andMe pour 200 euros 399 $ (enfin on peut supposer qu’ils lui ont fait un prix).
3. Et donc résultat des courses : Sergei Brin sur son blog nous annonce qu’il risquerait d’être atteint de la maladie de Parkinson parce qu’il est porteur d’un gêne LRRK2 (vous et moi aussi) et d’une mutation particulière de ce gêne (G2019S) qui est liée à la symptomatologie parkinsonnienne, même si – ça c’est moi qui le précise – il est par ailleurs établi que l’étiologie exacte de la maladie de Parkinson est inconnue (.pdf). Bref, Sergei a le gêne et la mutation du gêne, sa mère avait le gêne et la mutation du gène et la maladie de Parkinson, donc Serguei serait plus que d’autres exposé à cette même maladie. Et là, comme le dit Sergei, merci Anne (sa femme), merci la société de sa femme (23andMe) parce que grâce à elle(s), il a les 20 prochaines années pour se "préparer" à l’arrivée (supposée …) de ladite maladie de Parkinson. Il va pouvoir faire du sport pour retarder l’arrivée (supposée) de la maladie, filer plein d’argent à des fondations pour la recherche médicale sur la maladie de Parkinson (dommage que 23andMe ne lui ait pas également détecté le gêne du cancer, de la mucoviscidose, de l’amyotrophie spinale, de la leucémie, et de toutes les maladies orphelines existantes … il paraît que dans ces domaines aussi, la recherche a besoin de pognon), et vivre chacun des jours restant avec l’idée qu’il est plus que d’autres exposé à la maladie de Parkinson. C’est la fête. Youpi.
D’un strict point de vue scientifique (si des généticiens me lisent, qu’ils n’hésitent pas à me corriger), les arguments avancés par Sergei dans son billet, et la manière dont ils le sont, peuvent effectivement l’amener à penser qu’il a peut-être plus de chances que quelqu’un d’autre d’être un jour atteint de la maladie de Parkinson, mais les mêmes arguments pourraient également l’amener à penser qu’il a plus de chances que quelqu’un d’autre de développer un ulcère du foie, un kyste à l’orteil gauche, un annuaire de recherche francophone ou une appendicite <Update>(effectivement, ça se confirme …).</Update>
Car voilà bien tout le danger que représentent des sociétés comme 23andMe pour des clients lambda. Elles sont l’exact pendant technologique des voyantes et mediums du moyen-âge. En travaillant sur la peur, en instrumentalisant l’ignorance, en habillant "l’a peu près" des atours de la vérité scientifique, en présentant comme des faits scientifiques avérés des suppositions dont aucune n’est à ce jour prouvée, on crée, au pire, les conditions d’émergence de ladite pathologie, et au mieux, une jolie psychose maniaco-dépressive. Il faut ici rappeler que des sociétés comme 23andMe n’ont que faire de la recherche médicale. Seul compte le dogme génétique : une maladie = un gêène ; Vous voulez savoir si vous allez être malade ? Demandez-nous si vous avez le gêène. Seule les intéresse le potentiel marchand de la génomique personnalisée. Leur pouvoir de nuisance n’est (pour l’instant) que "psychologique" ou "psycho-somatique". Mais leur discours, leur fonds de commerce est le même que celui d’un monde dans lequel l’état ou les cigarettiers vous expliqueraient qu’en achetant votre paquet de cigarette, vous aidez la recherche contre le cancer en permettant d’augmenter le nombre de cas existants, donc le nombre de cas cliniques, donc les possibilités de disposer d’un plus grand spectre d’analyse, donc au final les possibilités de trouver un remède.

Le billet de Sergei Brin, sa position à la tête de l’une des plus grandes holdings de l’information et de la conaissance que le monde ait jamais connu, les relations maritales et financières unissant le même Sergei Brin aux sociétés actuellement leader sur le (super)marché du séquençage génomique personnalisé (Google détient des parts substantielles dans 23andMe mais également dans son concurrent direct, Navigenics), tout cela pose par ailleurs une question lancinante : voulons-nous d’un monde dans lequel les progrès et les principaux financements de la médecine devront parier sur le niveau d’hypocondrie de leurs grands dirigeants ou financiers ? Voulons-nous d’un monde dans lequel il nous faudra guetter le cancer de Bill Gates, la maladie de Parkinson de Mickael J. Fox ou Sergei Brin, l’Alzheimer de Ruppert Murdoch pour espérer voir la recherche sur ces maladies bénéficier d’un effort de recherche suffisamment financé ?

Voilà pourquoi les notions si peu sexy et souvent galvaudées d’un "pilotage de la science" et d’une "politique scientifique" sont si importantes, si nécessaires. Voilà pourquoi la question du financement et des orientations de la recherche publique sont si cruciales, si vitales. Voilà pourquoi le politique, les chercheurs et les citoyens doivent s’emparer de ce débat, sans qu’aucun ne vienne déposséder l’autre de ses prérogatives. Voilà pourquoi les chercheurs et les citoyens ne peuvent pas laisser le politique faire n’importe quoi. Voilà aussi pourquoi certains engagements pour la recherche et l’enseignement supérieur m’apparaissent, bien au-delà des intérêts corporatistes qui les meuvent, plus que d’autres légitimes.

***au moment où je publie ce billet, rien n’indique que le blog de Sergei Brin ne soit pas un faux. Mais rien n’indique non plus le contraire :-).

8 commentaires pour “Sergei Brin souffre de la maladie de Parkinson.

  1. Whaou ! Merci, et merci encore pour cette brillante lecture, pour la vigilance et pour la conclusion que vous en proposez.
    Il fallait être en alerte (on a tous vu l’annonce du post de S. Brin), disponible (pour la recherche et le recoupement des infos, plus rare) et savoir lire entre les lignes (c’est à dire avoir déjà bien réfléchi) et pas seulement réagir.
    Ce cas d’école mérite plus qu’un instant lumineux dans la blogosphère.
    Merci.

  2. Heu…
    maladie= un gène
    mais aussi maladie=une gêne
    dans ce cas, c’est aussi tout à fait adéquat… 🙂
    Enfin une faute d’accent qui a des effets amusants…

  3. “Voilà pourquoi les chercheurs et les citoyens ne peuvent pas laisser le politique faire n’importe quoi.”
    Certes, mais de plus en plus, ça n’empêche pas les politiques de faire effectivement n’importe quoi.
    Une tendance qui ne fait que s’accroître. Je pense sérieusement à un billet que j’intitulerai “la fin de la démocratie”.
    En Italie, on y est déjà. En France, si ça continue au même rythme que le pas pressé de Sarko, ça va pas tarder non plus…
    Jean-Marie

  4. Bon, voilà qui va m’inciter à écrire ce billet entre la société de veille face à une société de surveillance basée sur la pré-voyance médicale ou sécuritaire.
    Veut-on vraiment se retrouver dans Minority Report ?

  5. Brillant!
    Je crois que 23andMe et Google sont plus semblables que cela peut paraître:
    Google a fait sa fortune en offrant le “knowledge just in time” ET une offre d’information approximative et passable (entre googler une réponse et chercher dans une encyclopédie, il y a des réponses que Google offre un bon rapport qualité/prix).
    23andMe aussi offre une réponse so-so, mais un bon rapport/qualité prix.
    Deux sociétés d’approximation, en quelque sorte…

  6. “Seul compte le dogme génétique : une maladie = un gène ; Vous voulez savoir si vous allez être malade ? Demandez-nous si vous avez le gène.”
    Il est vrai que certaines mutations sont connues depuis plusieurs années pour provoquer inévitablement des maladies (trisomie, diabète insulino-dépendant pour citer deux exemples connus et pas nécessairement monogéniques).
    Les généticiens savent bien que les maladies ne sont pas nécessairement dues à la mutation d’un seul et unique gène. Ils savent aussi qu’il faut distinguer les mutations prédisposant à quelque chose de celles dont les effets sont simples à décrire.
    En tout cas ce n’est pas parce que des entreprises utilisent la crédulité générale pour s’enrichir qu’il faut mettre tous les scientifiques dans le bain avec et notamment les médecins du monde hospitalier qui travaillent au quotidien avec les familles dont un ou plusieurs membres sont porteurs de mutation ayant des effets parfois désastreux.

  7. Jean-Marie & Olivier> J’attends avec impatience votre prose 🙂
    Martin & Michel> Merci 🙂 J’aime bien cette notion d’approximation. Comme dans un beau paradoxe antique, la capacité d’approximation semble effectivement être devenue un paramètre “standard” de la “pertinence”.
    Miston> J-A-M-A-I-S je n’ai mis les médecins dans le bain 🙁 Bien au contraire. Ils seront les premières victimes de ce genre de système (remise en cause ou déplacement de l’espace de diagnostic) mais ils sont SURTOUT la première solution au problème. Je sais qu’ils ont d’autres choses à faire, mais il faut souhaiter qu’ils puissent avoir le temps de s’emparer de ces problématiques et de ces outils pour en souligner les intérêts et surtout les lacunes. Dans l’intervalle, vous pouvez compter pour quelques praticiens de l’IST pour brandir la sonnette d’alarme 🙂

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