La LRU et les comités de sélection

C’est donc fait. Le projet de décret portant création des "comités de sélection" en lieu et place des actuelles "commissions de spécialistes" est paru (projet de décret.pdf).
Si vous avez manqué le début :
Acte 1 : En Août 2007 est voté la loi Pécresse dite loi "LRU" ou encore "Loi d’autonomie des universités".
Acte 2 : Dans le cadre de cette loi, un point particulier est mis sur les conditions de recrutement des personnels enseignants-chercheurs. Gérés jusqu’ici part des commissions de spécialistes disciplinaires, composées de membres élus et appartenant pour l’essentiel à l’université recrutante (hors quelques membres extérieurs). Ces commissions de spécialistes seront, à échéance de cette fin d’année universitaire, tout simplement dissoutes (beaucoup l’ont déjà été, à Bordeaux par exemple). Pschiiiit. Et remplacées par des "comités de sélection". Ce changement de syntagme nominal n’est – hélas – pas simplement cosmétique (même s’il fournit assez habilement l’occasion d’introduire un vocable sensible – la "sélection" – au coeur même du processus universitaire … mais ce n’est pas là le débat). Il remet de manière assez radicale en cause le fonctionnement actuel du recrutement à l’université (qui n’était certes pas parfait) et nous laisse entrevoir un avenir assez sombre. Mais jusqu’à présent, et mis à part le fait que les nouveaux président plénipotentiaires de la LRU disposeraient d’un droit de véto sur otut recrutement, on n’en savait guère plus ni sur la composition ni sur le fonctionnement de ces nouveaux comités de sélection. Tout le monde attendait les premiers décrets d’application. Lesquels viennent de paraître (il s’agit très exactement de "projets de décrets")
Acte 3 : voyons donc un peu de quoi il retourne …
Que va-t-il se passer avec les nouveaux comités de sélection ?
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Primo : A chaque fois qu’une université recrute, le CA (siégeant en formation restreinte) "crée" un comité de sélection (CS) comprenant "de 6 à 12 membres".
Remarque 1 : les comités de sélection sont donc à géométrie variable. Ce qui n’était pas le cas des Commissions de spécialistes. Cette fourchette de 6 à 12 membres, si elle est peut-être motivée par de bonnes intentions (rendre plus "rapides" les votes lors d’un recrutement), étant laissée à l’entière discrétion du CA, risque d’être également l’occasion d’un jeu de chaises musicales très "politique" (selon les forces en puissance, et les différentes ‘écoles’ risquant de s’affronter lors d’un recrutement, on amaigrira ou on allongera la liste des membres du comité de sélection)).
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Deuxio : Le CS est composé d’enseignants-chercheurs et de personnels assimilés (ici, rien ne change), "y compris d’universitaires et de chercheurs appartenant à des université étrangères, de rang au moins égal à celui postulé par le candidat."
Remarque 2 : des collègues étrangers … pourquoi pas … même s’il ne me semblait pas aberrant d’être recruté par de futurs collègues, ou plus exactement, il ne me semblait pas aberrant que les futurs collègues du candidat siègent dans l’organe chargé du recrutement. On va donc assister (cf les points suivants) à une externalisation très sensible du recrutement qui  s’inscrit pleinement dans le syndrome de l’audit compulsif manifesté par notre actuel gouvernement.
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Tertio : les membres des nouveaux CS "sont pour moitié au moins extérieurs à l’établissement." (externalisation donc …) "choisis en majorité parmi les spécialistes de la discipline en cause" (cf ci-dessous remarque 3), et "proposés par le président ou le directeur de l’établissement et nommés par le conseil d’administration" (cf ci-dessous remarque 4)
Remarque 3 : "choisis en majorité parmi les spécialistes de la discipline en cause" : là c’est dommage. Un des points les plus critiquables des anciennes commissions de spécialiste étaient leur côté pluri-disciplinaire. Je siège moi-même actuellement (mais plus pour longtemps …) dans une commission dite mixte, c’est à dire composée de chercheurs en sciences de l’éducation (70ème section du CNU) et de chercheurs en 71ème section (sciences de l’information et de la communication). Autant vous dire que je ne fais pas le malin quand il s’agit d’auditionner des candidats en 70ème section, étant donné que je ne connais pas grand chose aux problématique de ce champ. En encore l’écart entre ces deux sections (70 et 71) n’est pas trop abyssal. Mais que dire de commissions mixtes réunissant des juristes et des géographes ? Que dire encore quand la mixité confine à l’échangisme et que 3 ou 4 disciplines n’ayant que très peu en commun se côtoient au sein d’un même organe pour auditionner "sur critères scientifiques" des candidats dont elle ne peuvent donc (pour une grande part des membres siégeant) juger de la pertinence des recherches. Bref … sur ce coup, la loi LRU avait l’occasion d’améliorer les choses en imposant par exemple des comités de sélection mono-disciplinaires (procédre qui aurait pu être facilitée par la place désormais très grande faite aux membres extérieurs). Mais non. Ce dysfonctionnement persistera donc encore.
Remarque 4 : "proposés par le président ou le directeur de l’établissement et nommés par le conseil d’administration". Et voila. Il va donc définitivement falloir oublier purement et simplement la notion "d’élections" pour les anciennes commissions de spécialistes. L’avantage des élections c’est qu’elles offrent une garantie de démocratie et surtout, de roulement, en permettant parfois à de jeunes enseignants-chercheurs qui le désirent (ce fut mon cas) de pouvoir s’impliquer dans la vie de leur établissement et dans la procédure de recrutement et d’expertise, sans pour cela être obligé de faire jouer un réseau relationnel très dense, sans devoir être dans les petits papiers de tel ou tel ponte siégeant dans ladite commission, ou sans devoir coucher avec untel ou untel. Fini les élections. Retour à la méthode dite du management par la tête. : le chef président donne les noms de ses copains (ou les noms que ses copains lui ont dit de donner) et le Conseil d’administration valide le tout. Hop. So Yes Sir. Je ne veux voir qu’une seule tête. Circulez y’a rien à voir.
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Quarto :  "Le conseil d’administration désigne parmi les membres du comité de sélection celui qui exercera les fonctions de président. (…) En cas de partage des votes, le président du comité a voix prépondérante."
Remarque 5 : suite et fin de la remarque 4. Le chef président de l’université nomme, via le CA, un sous-chef président du comité de sélection, président plénipotentiaire puisqu’en cas d’égalité des votes lors d’un recrutement, sa voix est "prépondérante". Avant, dans les commissions de spécialistes, les membres élus se réunissaient pour, de manière toujours démocratique, élire leur président, leur vice-président.  C’était vraiment trop compliqué … alors un bon coup de karcher procédural et tout redevient plus simple. Des copains nomment leurs copains, des chefs sont désignés, et les plein-pouvoirs leurs sont accordés ("voix prépondérante" : c’était trop risqué de dire que la voix du président comptait – par exemple – double, son autorité de chef aurait risqué
d’en pâtir …) Soit l’invention d’une sorte de néo-stalinisme libéral.
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Cinquièmement : le reste de la procédure de recrutement ne semble pas changer. Les candidats continueront de faire des dossiers. Et les dossiers seront examinés par les comités de sélection, puis les candidats retenus seront convoqués pour être auditionnés. Ce qui change c’est que pour que le comité de sélection puisse siéger (et donc auditionner et ensuite valider les recrutements) il faudra que "la moitié des membres soient présents à l’ouverture de la séance, parmi lesquels une moitié au moins de membres extérieurs à l’établissement." (cf remarque 6) "Les membres du comité de sélection peuvent participer aux réunions par tous moyens de télécommunication permettant leur identification (sic) et garantissant leur participation effective (re-sic)." (cf remarque 7) "Les candidats peuvent être auditionnés dans les mêmes formes." (cf remarque 8)
Remarque 6 : Ne tremblez pas candidats, la moitié de 6 c’est 3. Vous serez donc auditionnés par au moins 3 personnes dont la moitié au moins sera extérieure à l’établissement (externalisation toujours …)
Remarque 7 :  Sur ces trois personnes,  peut être qu’une seule sera présente dans la salle, les deux autres seront au téléphone. Et comme le "moyen de télécommunication" en question permettra de s’assurer qu’elle participe "de manière effective", vous aurez l’assurance que les deux autres ne sont pas en train de dormir derrière son téléphone.
Remarque 8 : la loi LRU invente le recrutement par téléphone (bientôt sponsorisé par Orange avec un IPhone à gagner si vous êtes sélectionnés ?). Comme disait l’autre, "le recrutement sur critères scientifiques, c’est simple comme un coup de fil."
Remarques 6, 7 et 8 (mais sérieusement cette fois) : j’ai suffisamment pesté contre un système qui obligeait des candidats à sacrifier un mois de salaire en billets de train SNCF pour se présenter à des auditions parfois arrangées à l’avance, pour ne pas me réjouir que l’on puisse leur éviter ce déplacement. Pourtant, le recrutement par téléphone (côté recruteur ou côté récruté), moi j’y crois pas, mais alors pas du tout. C’est personnel, subjectif et pas rationnel du tout comme analyse, mais j’y crois pas. (en revanche un entretien téléphonique avec les candidats avant leur audition potentielle eut été une bonne idée, de même que la prise en charge systématique des frais de transport des candidats convoqués pour audition, afin d’éviter les convocations "bidon"). Pour le reste, et côté moyens de communication, la visio-conférence me semble être le minimum vital. (minimum déjà systématiquement en vigueur pour les postes dans les DOM-TOM par exemple, ce n’est donc pas une nouveauté LRU …)
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Sixièmement : Une fois le candidat choisi ou le classement établi, le comité de sélection fait remonter l’info dans les tuyaux habituels (conseil d’administration puis présidence, lesquels tuyaux, valident). "Le président (de l’université) ne peut en aucun cas modifier l’ordre de la liste de classement".
Remarque 9 : Encore heureux … mais là encore cette apparent "crédit" scientifique apporté au fonctionnement des comités de sélection n’est qu’au mieux du vent, au pire du flan. Si le classement ne lui convient vraiment pas, il ne nommera plus les mêmes membres lors du prochain comité de sélection (et ben oui, vu qu’il n’y a plus d’élections des membres, le président peut reconfigurer totalement lesdits comités de sélection à chaque fois que son université recrutera quelqu’un. Et puis le président ne peut  certes "pas modifier l’ordre de la liste",
mais il dispose d’un droit de véto sur le recrutement. Droit de véto
dont il n’aura d’ailleurs pas à faire souvent usage, tant les membres
désignés des comités de sélection auront probablement à coeur de
satisfaire au moindre de ses désirs.
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Septièmement :
la circulaire (circulaire.pdf) qui accompagne la publication du projet de décret, précise "qu’il n’est pas possible de mettre en place des comités pérenne."
Remarque 10 : le fonctionnement des comités de sélection est totalement "précarisé",
sans aucun moyen terme : des pions pour l’essentiel extérieurs à l’établissement, ponctuellement convoqués pour statuer (par téléphone …) sur un recrutement dont ils ne mesureront aucune des implications locales … ce qui ne me semble pas le meilleur moyen d’obtenir de
la cohérence au niveau d’une politique d’établissement, surtout
concernant la question essentielle du recrutement …

Huitièmement : la même circulaire précise encore que "le rôle du comité de sélection est de donner un avis sur le recrutement des candidats. Il ne constitue pas une formation du jury. Ce rôle est exercé par le conseil d’administration siégeant en formation restreinte."
Remarque 11 : alors là c’est le ponpon. Mais c’est une nouvelle fois très logique dans l’esprit de la loi. On dissocie complètement le processus (auditions, examen des dossiers) de sa finalité (sélection par le jury). Les comités de sélection cumulent donc les handicaps : précaires (renouvelables à chaque nouveau recrutement), instables (idem), désincarnés (sans mention d’aucun quota, d’aucune parité entre les différents corps et grades), entièrement soumis au fait du prince (disparition du système électif), dépouillés de tout pouvoir (ne sont pas des "jurys", siègent "sur ordre", sont soumis au droit de véto présidentiel). Difficile de faire pire :-((

Conclusion ? Cela ne vous étonnera guère, mais je ne suis pas enthousiaste. D’autant que même s’il ne s’agit là que d’un projet de décret, nombre de mes inquiétudes se confirment.

Et les autres ils en pensent quoi de ce projet de décret ? Peu de voix se font encore entendre (de manière médiatiquement ou politiquement audible).

  • Le collectif SLR (qui a déjà fait un très gros travail d’explication sur ces questions) ne peut que se désoler de voir ses craintes confirmées. Il en profite d’ailleurs pour pointer vers un texte signé par des membres de la 71ème section de l’université de Nantes siégeant dans l’actuelle commission de spécialistes et exprimant leurs inquiétudes à ce sujet, inquiétudes hélas ce soir toutes confirmées. NOTA-BENE : comme je fais partie des signataires de ce texte j’en profite pour vous informer que suite à cette première alerte, c’est demain soir l’ensemble des membres de la commission de spécialistes 70-71ème section de l’université de Nantes, qui enverra au président de cette même université, un courier exprimant ces mêmes inquiétudes et demandant "à être associé à la réflexion sur la mise en place de comités de sélection". Courier qui n’en doutons pas, restera lettre morte, ou bénéficiera au mieux d’une réponse polie indiquant que "non ne soyez pas inquiets", "oui bien sûr vous serez informés", "et que d’ailleurs il existe des instances – conseil scientifique, conseil d’administration – dont c’est le boulot dans le cadre de la nouvelle loi, et que si vous vouliez y être associés, vous n’aviez qu’à vous y présenter." Je vous tiens au courant de l’envoi de la lettre et de la réponse de notre chef président Yves Lecointe.
  • le syndicat SNESUP-FSU publie un communiqué navré (mais pas plus) …
  • et toujours personne n’appelle à une démission massive des membres des commissions encore en exercice, ce qui je vous l’accorde ne servirait pas à grand-chose, mais aurait à mon sens plus de "gueule" que l’actuel faux-culisme qui consiste à continuer à faire comme si on n’allait pas se dissoudre dans quelques mois, en espérant peut-être que l’actuel silence nous laissera dans les bonnes grâces du président qui nous nommera alors parmi les membres des nouveaux comités de sélection.

Et la bonne nouvelle dans tout ça ??? Et bien la bonne nouvelle – car il y en a une –  c’est que finalement, "commissions de spécialistes", "comités de sélection" ou bien encore "comités managériaux de salut public" … on s’en fout. Vu que de toute façon, "pour la première fois depuis 15 ans, le CNESER, réuni le 17 décembre
2007, n’examine aucune répartition d’emplois dans les universités.
" Reductio ab absurdum : Pas de postes, pas de candidats. Pas de candidats, pas de sélection.

Et qu’aurait-il fallu faire mÔsieur-je sais-tout-qui-n’est-jamais-content -de-rien ?

  • Réfléchir et statuer sur la question de l’évaluation des enseignants-chercheurs tout au long de leur carrière (oui je sais, c’est en cours … mais ce n’est pas vraiment à une évaluation "au mérite" que je songeais …) 
  • Parler un peu moins de la procédure administrative du recrutement (le projet de décret ne parle que de cela), et parler un peu plus des moyens d’optimiser la prise en compte des critères scientifiques d’enseignement et de recherche qui sont le coeur du recrutement (questions que le projet de décret ignore … totalement)
  • S’inspirer de ce qui se fait ailleurs (juste un exemple : ailleurs, les candidats auditionnés doivent faire un cours devant de vrais étudiants ET devant leurs collègues)

 

7 commentaires pour “La LRU et les comités de sélection

  1. Je prépare un petit billet sur la question… La question des mutations est intéressante (examen devant le CS…) et les objectifs chiffrés en terme de recrutement extérieur sont aussi une nouveauté.

  2. Recruter des universitaires

    Le recrutement des universitaires est une procédure complexe et en plusieurs étapes. Dans le cadre des réformes en cours, un nouveau décret va modifier ce qui se faisait.
    Jusquà maintenant, des commissions de spécialistes ét…

  3. Je suis un peu gêné par la contradiction entre deux objectifs (tous deux défendables séparément) tout à fait clairement affichés : l’un, explicitement affirmé par ce décret, est d’augmenter la part des personnes extérieures à l’Université dans les jurys ; l’autre est d’aiguillonner la concurrence entre établissements.
    Mais, à supposer que la culture de concurrence se mette doucement en place, quelles incitations les membres extérieurs auront-ils à ne pas voter pour le candidat le plus toquard, ou du moins le plus toquard de ceux pour qui ils peuvent décemment voter ?

  4. Sachant qu’il n’y a pas de système parfait, l’analyse du Comité de sélection me paraît montrer les difficultés majeures:
    – absence de pérennité et donc d’apprentissage
    – recrutement électronique
    – trop petit nombre de conseillers
    Il s’agit quand même de recruter un collègue pour quarante années, cela ne doit pas se faire en catimini.

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