Les « nouveaux » catalogues ou le catalogue en (r)évolutions

Le dernier numéro d’Arabesques vient de sortir (.pdf). Avec à l’intérieur un papier de votre serviteur à propos de l’avenir du catalogue, et un "scoop" :

  • "L’ABES est pareillement convaincue des limites du catalogue traditionnel, conçu comme un système autoréférentiel et fermé, correspondant au modèle de bibliothèque qui a fonctionné pendant des siècles. Comme la bibliothèque, le catalogue n’est plus isolé du monde. C’est cette voie sur laquelle l’ABES propose de s’engager, après avoir réalisé un prototype début 2006. Cette ouverture du catalogue constituera un des axes de son projet pour les années 2008-2011, issu de plusieurs mois de réflexions internes et qui sera soumis en octobre à la communauté universitaire via l’AURA."

Vous voyez le truc ? Le SUDOC, cette vieilla dame si respectable, tagguée, ouverte aux lecteurs, folksonomisée, rézosocialisée !!! Quand je pense qu’il y a pas plus tard qu’une semaine, c’est sur le ton de l’ironie que je demandais à mes étudiants d’IUT d’imaginer le SUDOC avec l’interface de LibraryThing ! Attendons donc Octobre avec impatience.
Le numéro d’Arabesques est disponible en téléchargement sur le site de l’ABES (comme ça vous pourrez aussi prendre connaissance de l’interview d’une célèbre biblioblogueuse).
Pour archivage, je reproduis l’intégralité du papier sur ArchiveSIC et dans la suite de cette note. Commentaires bienvenus 🙂

                Les « nouveaux » catalogues ou le catalogue en (r)évolutions

« ce qu’on a de plus intéressant ce ne sont pas nécessairement des interfaces,
mais des données;  et il faut aller mettre nos données là où sont les usagers,
en leur permettant de se les approprier.
» Nicolas Morin

Faire catalogue. Aussi loin que remontent les utopies documentaires, le catalogue servit à la fois de pierre angulaire et de ligne d’horizon à tout l’édifice de la pensée documentaire. Aujourd’hui encore, après le coup de semonce lié au lancement du projet Google Books et jusqu’aux plus récents avatars du web dit « 2.0 », la catalogue est partout.
Les industries culturelles du net se bâtissent d’abord sur leur catalogue (Amazon.com), ou plus exactement sur leur capacité à valoriser leur fond de catalogue. Les réseaux sociaux actuellement tant en vogue auprès d’un public de moins en moins adolescent ne sont à leur tour que d’immenses édifices catalographiques, autant de catalogues des individualités humaines. Produits, ouvrages, services, individus, tout « est », tout « fait » aujourd’hui catalogue, avec les potentialités – et les dangers – que représente le formidable passage à l’échelle autorisé par Internet.
Le « catalogage », cette compétence documentaire propre, ce particularisme du métier s’est plus que transformé. Il s’est comme dissout dans la masse des utilisateurs qui à l’image d’un Monsieur Jourdain, font du catalogage sans le savoir.
Loin donc d’être passé de mode, le catalogue porte en lui un ensemble de problématiques déterminantes pour esquisser le contour de ce que sera, demain, notre accès aux connaissances.
Depuis 2004 environ (1) , notamment via la très active liste de diffusion NGC4lib (2) , les professionnels des bibliothèques – majoritairement anglo-saxons – s’interrogent sur l’avenir du catalogage en tant que spécificité métier, sur sa nécessaire intégration avec d’autres outils d’exploration et de recherche, et sur la tout autant nécessaire transversalité de la palette des unités documentaires le composant (3). Le catalogage dispose aujourd’hui de ses propres agrégateurs (4), de ses gourous (5), de son méta-catalogue (6), de ses collaboratoires (7) … et de ses « prédateurs », soit l’ensemble des moteurs ou autres outils dits de « recherche bibliographique » (8) . Deux univers jadis distincts – les bibliothèques et leurs données structurées d’une part et les moteurs de recherche et leurs données non-structurées d’autre part – convergent aujourd’hui clairement pour et autour du catalogue. Les bibliothèques universitaires sont aujourd’hui vingt-sept (9) – et des plus prestigieuses – à adhérer pour tout ou partie de leurs fonds au projet de numérisation de Google Books : Harvard, Stanford, Oxford, Cornell, Princeton, New York Public Library, etc … Et le domaine d’influence de ce catalogue planétaire s’étend progressivement hors du monde anglophone (Complutense – Madrid – mais aussi tout récemment l’Allemagne, la Belgique, la Suisse et bientôt peut-être la France (10) ). Sans l’incontournable visibilité que leur confèrent aujourd’hui les moteurs de recherche, les catalogues de chaque bibliothèque si achevés et si fournis soient-ils sont condamnés à rester hors de portée de clic de ceux pour qui ils sont bâtis : leurs usagers. On ne pourra donc que se féliciter que le Sudoc ait récemment franchi ce pas vers le visible. Mais au-delà des adhésions individuelles, il faut penser et agir collectivement (les consortiums ont prouvé leur efficacité sur d’autres terrains) dans le cadre de ces contrats pour éviter qu’à terme les bibliothèques ne disposent plus que d’une copie « stérile » de leur propre fonds (11).

Nul ne peut aujourd’hui indiquer ce que sera l’avenir du catalogue. Pour la seule raison que cet avenir sera nécessairement pluriel. Mais quelques certitudes sont d’ores et déjà posées.
Cet avenir sera celui d’une hybridation nécessaire entre les immenses entrepôts dont dispose le net et la maturation d’une compétence documentaire nécessaire, mais nécessairement plus ouverte et moins contrainte.
Cet avenir devra rencontrer davantage les besoins et les usages actuels : à ce titre nous avons beaucoup à apprendre de l’exemplarité de la recherche et des services d’Amazon.
Cet avenir devra accepter que des compétences et des regards professionnels soient parfois mis au même plan que de simples « avis » d’utilisateurs de passage, et ce pour capitaliser sur la toute puissance des systèmes de recommandation, lesquels sont déjà des adjuvants primordiaux dans toute recherche d’information ou de livre (phénomène de sérendipité (12) ). Ces mêmes systèmes paraissent en outre la seule réponse un tant soit peu probante à une crise profonde de la prescription. Dit autrement, le catalogue doit être le creuset d’expertises métier – celles des bibliothécaires – et d’autres plus expérientielles, culturelles, subjectivées – celles des utilisateurs.
Cet avenir n’est rien sans accompagnement : accompagnement non pas seulement technologique mais principalement humain. A ce titre bibliothèques et bibliothécaires ont à charge de mettre en oeuvre les politiques et l’offre de formation nécessaires à cet accompagnement pour tous. La médiation documentaire qui traverse l’édifice catalographique se doit de penser des stratégies et des services pour un monde « ouvert » ; elle doit intégrer la babélisation des expertises ; elle doit accepter l’émergence de nouvelles autorités cognitives ; elle doit cesser de penser comme une dichotomie la prescription et la consultation : les derniers avatars catalographiques attestent de l’intérêt que produit la cohabitation de ces deux modalités.
Cet avenir dépassera une simple interopérabilité technologique pour offrir à chacun une interopérabilité socio-environnementale grâce aux techniques de géolocalisation : le catalogue, mon catalogue, le catalogue de mes amis, les catalogues près de chez moi. Autant de déclinaisons du même, mais au travers de « facettes » qui ne sont plus « réservées » aux propriétés de l’unité documentaire décrite.

Deux paradigmes, deux modèles de l’universalité nous sont aujourd’hui proposés sous une forme relativement aboutie. Tout d’abord le pan-catalogue marchand, servi par les grandes firmes de la recherche sur Internet, Google en tête, et qui fait de l’accès, du quantitatif, le seul principe d’organisation viable – et prétendûment fiable –, rétablissant de facto pour les unités moins, peu ou pas accédées, une nouvelle forme d’enfer.
L’autre modèle, communautaire, collaboratif, est celui mis en œuvre par LibraryThing.com, qui a l’intelligence de se nourrir du meilleur des deux mondes : celui de l’amateurisme, de l’approximation, du subjectif (via une indexation dite « sociale » au moyen de « tags (13) »), et celui du rationnel, de l’objectif, du professionnel (14) .
Il est de toute première urgence que la communauté des professionnels du livre et de sa médiation se penchent sur ces modèles et s’expriment à claire voix à ce sujet. Il est en la matière d’assourdissants silences. Penser la réfection du catalogue et la gestion afférente – parmi d’autres – des identifiants numériques, nous permettra sans doute d’arriver mieux préparés à la prochaine grande utopie documentaire qui se fait jour et dont l’objectif n’est rien moins que la gestion de la collection humaine des individualités numériques. A ce catalogue là aussi, nous devons commencer à réfléchir.

(1) "The Future of Cataloging," by Dr. Deanna B. Marcum, Associate Librarian of Congress, January 16, 2004, address to the Ebsco Leadership Seminar, Boston, Mass. En ligne: http://guild2910.org/marcum.htm
(2) NGC4lib : Next Generation Catalogs for Libraries.  http://dewey.library.nd.edu/mailing-lists/ngc4lib/
(3) http://guild2910.org/future.htm
(4) http://planetcataloging.org/  : ce site « agrège » différentes sources (billets de blogs, articles scientifiques) ayant tous le catalogue et le catalogage comme thème central.
(5) http://catalogablog.blogspot.com/
(6) http://www.worldcat.org 
(7) http://www.librarything.com : ce site permet à chacun de venir cataloguer librement les ouvrages de sa bibliothèque personnelle.
(8) Google, Google Scholar, OCA, LiveBook Search, Citeseer, ScienceDIrect, IEEE explore, ACM DL, CSB, PuMeb, IngentaConnect, Netbib, ISI Web of knowledge, ArXiv et l’ensemble des archives ouvertes, etc.
(9) La liste actualisée est disponible ici : http://books.google.com/googlebooks/partners.html
(10) Des négociations seraient en cours avec la BM de Lyon, Google étant la seule société ayant répondu à un appel d’offre lancé par la BM.
(11) à propos du risque d’un eugénisme documentaire, voir ce billet : http://www.affordance.info/mon_weblog/2006/08/contrat_califor.html
(12) la sérendipité désigne la découverte par chance ou par sagacité d’informations que l’on ne cherchait pas au départ.
(13)  les « tags » sont des mots-clés librement choisis.
(14)  On y retrouve en effet parmi d’autres, la possibilité d’accéder au format MARC des notices, ainsi qu’une indexation Dewey, ainsi que la classification de la bibliothèque du Congrès.

Olivier Ertzscheid
Maître de Conférences en science de l’information.
Université de Nantes. IUT de La Roche sur Yon.
Blog : http://www.affordance.info
Texte rédigé pour la revue Arabesques, n°48, Octobre – Novembre – Décembre 2007.

2 commentaires pour “Les « nouveaux » catalogues ou le catalogue en (r)évolutions

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