Si l’énonciation se manifeste par les marques qu’elle laisse sur le texte, chacune d’entre elles n’est souvent que l’un des masques dont se pare une subjectivité, une instance du discours ici et maintenant produit. L’auteur – quel que soit l’aspect de son activité, de son interaction avec le texte envisagée – ne se définit que dans la co-présence d’une situation d’énonciation. « Celui qui écrit l’œuvre est mis à part, celui qui l’a écrite est congédié. » [Blanchot 55 p.10]
C’est le présent de l’écriture qui seul fait autorité, qui fait « l’autorité ». Dès que cesse ce présent, dès que le texte a fini de s’inscrire pour commencer à s’afficher dans un temps qui est maintenant celui de sa lecture, cesse également d’être opérante toute notion d’autorité, devenue parasitaire pour le déploiement du discours. Or l’hypertexte et le web rendent possible des situations de co-présence entièrement neuves.
- « L’auteur d’un message se voit dépris de son autorité sur celui-ci. Son texte s’engage dans une dynamique provoquée par l’ajout d’autres messages. Comme en peinture ou dans les collages surréalistes en quelque sorte, la mise en présence d’éléments (textes, couleurs, formes) engendre une tension due uniquement à cette mise en présence. Il y a dans les conférences électroniques, comme à l’oral, une co-construction du sens dans l’interaction. Si cette co-construction a également lieu à l’écrit, entre un auteur et un lecteur, le lecteur n’a en général pas la possibilité de poursuivre l’élaboration du texte et d’instaurer un dialogue entre l’auteur et le lecteur (ce dernier passe alors du statut de lecteur à celui d’auteur également). » [Hert 95 p.50]
Cette possibilité est aujourd’hui avérée et en passe de devenir une modalité d’écriture à part entière. Ce qu’il reste à énoncer, ce sont les conditions de ce dialogue entre fonctions. Chacune des facettes précédemment évoquées, dans la mesure où elle se donne à voir dans un présent de l’énonciation, fonctionne comme le miroir de notre propre subjectivité. Il faut alors choisir l’orientation à donner au regard critique, pour qu’il ne s’égare pas dans le jeu de reflets réciproques que s’adressent ces fonctions entre elles et qu’il puisse à son tour nous renvoyer l’image provisoirement stabilisée d’un discours en construction, d’un « work in progress ». « Comme le remarquait Jay Bolter pour la littérature : « La tâche à laquelle nous sommes confrontés en tant qu’écrivains de ce nouveau medium est précisément de découvrir de nouvelles figures efficaces. » » [Clément 95]. Outre le fait qu’il se place délibérément en position d’écrivain et non d’auteur, les figures à découvrir que souligne Bolter sont probablement autant les artefacts rhétoriques et stylistiques propres à toute écriture, que les visages mouvants et masqués de la création littéraire.
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