Les questions que pose l’hypertexte, encore empreintes de discours techniques le plus souvent parasites, continuent pourtant de faire écho à celles-ci :
- l’avènement d’une connaissance nomade est-il compatible avec l’évolution d’une forme destinée à la recueillir sous des modalités essentiellement sédentaires ?
- Que devient, pour autant qu’il existe ou qu’il ait existé (tout au moins culturellement), le discours fondateur quand il est confronté à la multiplication et à la réticulation croissante de sa propre glose ou de son propre commentaire ?
- Le Livre peut-il continuer d’être le réceptacle d’une parole révélée ou faut-il lui préférer l’inscription dans les livres de paroles profanes mais restant autorisées parce qu’elles sont l’œuvre d’une minorité d’auteurs ?
- Et à l’heure où chacun dispose de cet accès à l’autorité, cette notion reste-t-elle pérenne ou tend-elle à se dissoudre dans la masse des individualités qui la revendiquent ? « Anonyme par excès d’auteur » …
Si ces questions continuent de se poser, c’est parce qu’elles ne sont pas la marque de l’hypertexte, mais, bien avant lui, celle de l’hyperlivre.
« Dès l’époque de Rembrandt, la question se posait de savoir si la Bible pouvait être publiée en petit format. La sacralisation du texte, disait-on, ne pouvait résister à l’indignité du petit format (libellus). Elle a en fait résisté au passage du rouleau au codex, elle a résisté à l’abandon de l’in-folio et, sans doute, elle résistera au passage au texte électronique.» [Chartier 97 p.88].
La question n’est pas tant de savoir s’il y aura ou non « résistance » dans la mesure où il n’est aucun texte qui n’interdise son passage vers une forme hypertextuelle. La question est en revanche celle de savoir si, du fait des processus mis en œuvre dans cette transition (et non du simple fait du changement de support), il y aura ou non une déperdition de sens et de quel ordre sera cette potentielle déperdition (esthétique, culturelle, cognitive, stylistique, temporelle, etc.). Mais pour juger de cela il faut sortir de l’analyse de la « forme-produite-à-l’issue-de-la-transformation » pour entrer dans celle de l’œuvre comme « work in progress » dont la forme est un épiphénomène déterminant, mais qui n’entretient avec elle aucun rapport de causalité : il est en effet probable que si l’ordinateur avait existé du temps des évangiles, la Bible aurait vu le jour sous une forme hypertextuelle plutôt que linéaire.
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