15 ans d’amour (du) libre (accès).

Saint-Valentin 2002. Non n'ayez crainte, ce blog va rester centré sur des questions scientifiques et je ne vais pas y entreprendre la narration de ma vie amoureuse. Mais il y a 15 ans, le 14 février 2002, jour de la Saint-Valentin donc, était publiée le texte fondateur de "l'initiative de Budapest pour l'accès ouvert".

Ce texte signait l'amorce d'un mouvement qui, en 15 ans, a permis de poursuivre le rêve fondateur de l'humanité, un rêve qui est également la condition d'existence d'une société libre et démocratique, c'est à dire la mise en accès libre et ouvert de l'ensemble des connaissances produites par et pour l'humanité. Nous sommes encore bien loin du compte et les lobbys et les freins à ce mouvement sont encore nombreux et puissants, mais les avancées permises par cette déclaration furent considérables. Alors réjouissons-nous.

Et parce que l'on a trop souvent coutume – y compris sur ce blog – de célébrer le moindre anniversaire des géants de silicone qui règnent sur le monde, en oubliant de fêter aussi dignement celui de ce mouvement si vital, si essentiel, si fragile également, le mouvement pour l'accès ouvert aux connaissances, et bien célébrons. 

Pour cet anniversaire donc, Jean-Claude Guédon a publié un long texte en anglais (disponible ici en pdf). J'ai, avec son accord, pris la liberté d'en traduire rapidement l'introduction, pour pouvoir disposer d'une version francophone du témoignage de l'un des plus illustres chevaliers Jedi dudit mouvement. Voici donc cette traduction.

Si d'aventure certains se sentent d'attaquer la traduction intégrale du texte de Jean-Claude Guédon, sachez qu'il ne s'y opposera pas et qu'il vous en remercie par avance 😉

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Texte de Jean-Claude Guédon, "Open Access : Toward The Internet of the Mind", initialement paru sur le site BOAI. Traduction libre (mais relue par JC Guédon himself) : Olivier Ertzscheid.
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"Le 14 février 2002, un court texte de moins d'un millier de mots fit tranquillement son apparition sur le web. Titré "Budapest Open Access Initiative" (BOAI) il rendait publiquement compte des discussions qui s'étaient tenues le 1er et le 2 décembre 2001, à Budapest, entre 16 participants et à l'invitation de l'Open Society Foundation (à l'époque connue sous le nom de l'Open Society Institute).

Participants_at_Budapest_meeting _December_1 _2001

Les pionniers 🙂

De fait, la rencontre de Budapest fut le lieu d'analyses et de critiques passionnées (et souvent divergentes) sur différents aspects dysfonctionnels de la communication scientifique : la lenteur du processus éditorial, le tarif très élevé des revues, et l'échec de ne pas parvenir à tirer avantage d'un Internet où tout était présenté comme un nouvel obstacle pour le déploiement d'un système de communication optimal pour la recherche scientifique. A la fin de la journée cependant, alors qu'aucun accord n'avait émergé, l'idée vint de rédiger une tribune, une sorte de manifeste : on sentait que les efforts qui seraient nécessaires pour rendre ce résultat possible permettraient de "cimenter" le petit groupe qui avait été convié en Hongrie, et que cela l'aiderait à poursuivre son travail, en dépit de ses désaccords initiaux. 

Grâce au miracle de la communication sur internet, cette idée fonctionna. Et une convergence d'idée put s'exprimer dans le document qui apparut je jour de la Saint-Valentin 2002. En fait, la conversation virtuelle entre les participants, avait amené la force, l'énergie et l'enthousiasme qui permirent de transformer rapidement une expression – "accès ouvert" – en un mouvement. Il faut ajouter que l'émergence de ce manifeste BOAI fut pilotée de main de maître par Peter Suber, qui injecta également son style inimitable au document. Ce texte commence par la magnifique et retentissante déclaration qui confère une forme de nécessité historique à l'Accès Ouvert :

Une vieille tradition et une nouvelle technologie ont convergé pour rendre possible un bien commun totalement inédit". 

Marier l'ancien – l'ethos scientifique – et le moderne – les ordinateurs et internet – suscita une synthèse puissante et historique qui donna une solennité à la déclaration de Budapest pour l'accès ouvert. En effet, une fois posée cette initiative de Budapest, l'accès ouvert n'était pas l'expression précipitée et vaniteuse d'un petit groupe de scientifiques et d'universitaires marginaux insatisfaits de leur système de communication ; au lieu de cela il affirmait de nouveau la position centrale de la communication comme fondement de toute entreprise scientifique. La communication, comme le veut la citation célèbre de William D. Harvey, "est l'essence de la science", et grâce à Internet, la communication scientifique allait pouvoir de nouveau être envisagée comme le système distribué de l'intelligence humaine. Ce projet profondément humain – en fait, celui même de la révolution scientifique – permit de relancer l'envie qu'avait l'humanité de comprendre des niveaux toujours plus complexes de la réalité du monde.  

Les valeurs cardinales de la science que le grand sociologue Robert K. Merton avait identifiées étaient celles d'un âge ancien, l'ethos qui avait émergé avec la révolution scientifique. Mais, grâce aux possibilités nouvelles offertes par les technologies de l'imprimé, une forme distribuée de l'intelligence humaine commença à s'étendre durant le 17ème siècle. Désormais, avec l'essor des réseaux mondiaux d'ordinateurs, la prochaine étape du développement de cette intelligence humaine distribuée est en vue. L'accès ouvert est simplement un moyen de rendre compte de la fertilisation croisée entre les fondements de la culture scientifique et les nouvelles technologies, pour créer le meilleur système de communication dont la science a besoin. 

Avec une série d'étapes qui, en 2002, paraissaient assez simples, la puissance de ces cerveaux en réseau pourrait se déchaîner, et cela pourrait se faire rapidement, de manière tellement évidente et en accord avec l'image du "Skywriting" de Stevan Harnad qui avait émergé à la fin des années 80.

Pourtant, quinze ans après la déclaration de Budapest pour l'accès ouvert, l'histoire nous enseigne une nouvelle fois qu'il nous faut être persistants et patients. Il s'est passé tant de choses depuis, pour la plupart positives, mais il y a un besoin urgent de faire le point sur ce qui a été accompli pour pouvoir disposer d'une vue claire sur les paliers qui furent franchis : alors que l'accès ouvert est désormais installé et pérenne, il se présente également sous une diversité de formes qui ne correspondent pas toutes au projet initial d'une intelligence humaine distribuée. Pire, des formes dégradées d'accès ouvert ont émergé, parfois sous l'impulsion d'acteurs puissants, parfois comme le résultat de compromis proposés par des personnes de bonne volonté.

Dans le même temps, la très grande diversité d'acteurs sociaux désormais impliqués dans l'accès ouvert a rendu ce champ beaucoup plus complexe à analyser qu'il ne l'était il y a 15 ans de cela. 

Pendant ce temps, la culture numérique progresse rapidement, et ses effets sont profonds, et pas uniquement technologiques. Par exemple, l'idée forte du document comme outil pour structurer sa pensée, sa mémoire et pour disposer de prédictions vérifiables, cette idée est en train de traverser de profondes transformations qui ne seront pas complètement comprises avant des décennies. Il a fallu des siècles pour comprendre tous les enjeux de la civilisation de l'imprimé. L'accès ouvert est un sous produit de la culture numérique, et il ne peut être compris sans s'y référer. 

En l'absence d'ordinateurs et de réseaux, l'accès au savoir était limité à ce que les libraires et les bibliothèques pouvaient offrir. En tant que lecteur subventionné, un scientifique était limité à ce qui était disponible dans sa bibliothèque locale, et c'était là la forme la plus achevée d'accès aux connaissances que le monde de l'imprimé pouvait lui offrir. Alors que le même genre de limitations sont maintenues sur des documents numériques transmis à travers le réseau, nombreux sont celles et ceux qui récusent la rationalité de ces choix. Si ceux-ci sont peut-être légitimes pour des romans ou des livres de cuisine dont les auteurs reçoivent un paiement pour leur contribution, ces barrières artificielles n'ont aucun sens pour la production de connaissances. L'accès ouvert, lui, fait sens. Et c'est précisément ce que la déclaration de Budapest exprimait en 2002."  

Jean-Claude Guédon. Février 2017.

L'intégralité du texte en anglais est disponible

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