Facebook fermera en 2024.

Facebook a été lancé en 2004. Il fermera ou sera revendu à la découpe en 2024. Dans 8 ans. Vous croyez que je plaisante ? A moitié seulement.

Yahoo! a été lancé en 1995. Et là du coup c'est officiel, il est en train d'être démantelé. 20 ans après sa création.

Yahoo! Like.

Pendant ces 20 années, Yahoo! a tout connu : seuls les quarantenaires s'en souviennent, mais en 1995 l'arrivée de Yahoo! fut une réelle révolution avec son annuaire de sites. Oui, un annuaire. Des gens classaient à la main des sites jugés intéressants dans une arborescence hiérarchique. Indispensable. A l'époque. Yahoo! tiendra remarquablement bien face à la concurrence des premiers moteurs de recherche qui balbutiaient encore en terme de pertinence. Quand Google débarque et change complètement la donne en 1998, Yahoo! a déjà entamé sa mue pour devenir un "portail" plus qu'un annuaire : news, mail, messagerie instantanée, Yahoo! innove en prédateur, rachetant nombre de start-up et de technologies qui lui font à l'époque défaut. En 2004, alors que Google est déjà plus que confortablement installé dans les usages et que Yahoo! a cessé d'être un annuaire pour devenir un "moteur", le portail Yahoo! reste le site web le plus consulté dans le monde.

Au cours de son histoire, et à l'image d'autres géants d'aujourd'hui, Yahoo! va racheter un ensemble de services, avec dans le lot forcément quelques tocards mais également des plateformes considérées comme autant de fleurons stratégiques, à la fois du point de vue de la firme mais aussi du côté de l'engouement des utilisateurs dans les usages : même si ces rachats interviennent assez tard, c'est notamment le cas de la plateforme TumblR ou de l'emblématique FlickR.

Bref il y aurait un livre entier à écrire sur l'histoire de Yahoo! car cette histoire, son histoire, est riche d'enseignements sur l'évolution du web et des usages. Car l'histoire de Yahoo! c'est l'histoire du primo-internet, celui d'avant l'âge des plateformes, d'avant la massification, l'âge de l'explosion des services, et plein d'autres choses encore. Mais ce n'est pas l'objet de ce billet. L'objet de ce billet c'est de vous expliquer pourquoi Facebook pourrait fermer en 2024, et c'est maintenant que j'y viens 🙂

Même si les deux semblent a priori assez éloignés, il existe nombre de similitudes entre l'histoire de Yahoo! et celle de Facebook, lesquelles permettent d'envisager une même temporalité dans leur cycle de vie, c'est à dire un démantèlement possible 20 ans après leur création.

La recherche hésitante.

Comme Yahoo! avec son annuaire, Facebook a inauguré à une échelle d'abord confidentielle puis inédite, quelque chose (disons pour faire simple, le réseau social), un quelque chose qui entretient une logique d'affrontement constante avec autre chose : le monde du Search (les moteurs de recherche). Comme Yahoo!, Facebook a longtemps été incapable d'aller jusqu'au bout de sa mue pour résoudre cet affrontement : Yahoo! avait commencé par développer sa propre techno de recherche sur la base de briques rachetées à différentes entreprises du Search (Inktomi), avant de lâcher l'affaire pour faire tourner son portail en sous-traitant le moteur de recherche à … Google, puis Microsoft, avant de changer encore, etc.

Facebook de la même manière est depuis 10 ans incapable de fournir une véritable expérience (et donc concurrence) sur la "recherche", le "search". Même son "social graph" n'est jamais véritablement déployé pour l'ensemble des utilisateurs. Les raisons de cette incapacité à se positionner clairement sur le Search sont autant liées à des facteurs économiques qu'à des facteurs d'usage et de positionnement global ou de "promesse du service". J'en avais déjà parlé dans ce billet si ça vous intéresse. Court extrait en forme de gourmandise :

"Dans cette course en avant qui singe les recettes déjà existantes et tente de les caler sur la logique (et les strates) attentionnelle(s) propre(s) au réseau social, c'est une logique physique qui s'impose. Celle du trou contre celle du mur. La zone de saisie des moteurs de recherche (sublimée jusqu'à l'épure chez Google) est un marqueur d'entraînement. Une boîte de Pandore. Une promesse qui repose sur l'absence. Une fente freudienne porteuse de tous les fantasmes. Une fois activée, une fois la requête déposée, la matière noire attentionnelle peut être librement façonnée au bon vouloir du moteur et de ses annonceurs. La zone de saisie de Facebook est superfétatoire. La zone d'activité de Facebook est son mur. Un mur qui fonctionne comme un marqueur de "suivisme", un blocage contemplatif. Le trou éveille une curiosité. Le mur implique un balayage des inscriptions déjà déposées. Dans sa course à la monétisation Facebook a raté une étape : celle du désir, celle de la requête, celle du désir de requête."

Le portail comme horizon.

De la même manière que Yahoo! s'est très rapidement orienté vers une logique de "portail" (de services), cette logique de portail apparaît de plus en plus stratégique et déterminante pour Facebook.

Portail

(Source de cette copie d'écran)

Si vous avez besoin de vous convaincre que Facebook est avant tout un portail vous pouvez vous reporter à ces deux excellents articles de Frédéric Cavazza : "Facebook est le 1er portail du XXIème siècle", et "Facebook est un portail, Twitter est un média" dans lequel on trouve un paragraphe fort justement intitulé "Facebook est le nouveau Yahoo!" :

"des centaines de millions d’utilisateurs s’y connectent plusieurs fois par jour, sans raison particulière, parce qu’ils sont certains d’y trouver quelque chose à faire ou à lire. Les internautes vont sur Google quand ils doivent faire une recherche, ils vont machinalement sur Facebook dès qu’ils ont 5 minutes à perdre, parce qu’ils sont certains de trouver de quoi occuper ces 5 minutes (voire 10 ou 15). L’analogie avec un portail se justifie par le fait que Facebook ne produit aucun des contenus qu’il diffuse, ce sont les autres qui produisent et qui se servent de Facebook pour diffuser ou pour augmenter la visibilité de leurs publications, comme Yahoo! ou MSN le font. La comparaison avec un portail va plus loin dans la mesure où Facebook propose également des chaines : Jeux (dans l’onglet « Jeux »), photos (avec Instagram ou Scrapbook), vidéos (avec Slingshot ou le tout nouveau Riff), messages (avec WhatsApp ou Messenger), forums de discussion (avec Groups et Rooms)… Bref, Facebook fournit une liste complète de services pour couvrir l’ensemble des besoins des internautes (…) Là où Facebook a une approche moderne, par rapport à Yahoo, c’est qu’ils ont morcelé ces différents services en une série d’applications mobiles. Le but de la manoeuvre étant de dominer à la fois sur les ordinateurs ET les smartphones."

Pour compenser une perte d'intérêt dans les usages.

Yahoo! avait "choisi" de devenir un portail pour compenser sa perte de vitesse sur le marché du Search autant que pour agréger une brassée de services tiers lui permettant d'occuper le terrain sur l'ensemble des usages émergents à l'époque. Si Facebook choisit délibérément de devenir un portail c'est à la fois pour des raisons (qui lui semblent) stratégiques, mais également et peut-être surtout pour compenser une perte d'intérêt dans les usages, un désaveu, une déception au regard de son positionnement historique, une perte de sens de sa promesse initiale : Facebook est devenu "de plus en plus impersonnel", "on y partage de moins en moins sa vie privée". Et ça commence à poser sérieusement problème …

"Selon des données obtenues par le site The Information, « un peu plus de 60 % des utilisateurs ne partagent désormais aucune information personnelle sur Facebook, tandis que les 39 % restants postent moins de 5 statuts d’ordre privés par semaine ». Toujours selon ces donnés, le nombre de « contenus originaux partagés » (à savoir, des photos ou textes privés) a chuté de 21 % entre 2014 et 2015, le tout contribuant à une baisse de 5,5 % du total des partages. (…)

Selon The Information, encore, l’entreprise a mis en place dans ses bureaux londoniens, une cellule dédiée à trouver le moyen d’inciter les utilisateurs de Facebook à partager du contenu privé. L’une des premières initiatives mise en place par cette équipe, étant les publications « On this day ». Celles-là mêmes qui vous proposent de partager à nouveau une photo, un statut ou une information personnelle, publiés le même jour, plusieurs années auparavant. Le réseau social a également décidé de rappeler à ses utilisateurs les occasions spéciales comme la fête des mères ou encore la saint-Valentin, afin de les inciter à écrire plus de choses privées." (Source)

L'image qui parle.

Côté images, Yahoo! avait racheté FlickR, Facebook s'est offert Instagram. Là encore deux fleurons, deux sites parfaitement emblématiques de la mutation du rapport à l'image qui s'est joué en à peine 10 ans au regard de nos pratiques et de nos usages connectés.

Et comme Yahoo! s'était offert Tumblr autant pour rajeunir son audience que pour profiter de l'engouement autour de ce qui était alors présenté comme le nouveau parangon d'une publication allégée, fluide, simple et rapide, presque "conversationnelle", Facebook va aller au bout de cette logique conversationnelle en s'offrant WhatsApp (d'ailleurs fondée par 2 anciens ingénieurs de chez … Yahoo!).

Toujours pas convaincus ?

Alors posez-vous la question autrement. En 2005, alors que Yahoo! venait de fêter ses 10 ans, qui aurait parié que 10 ans plus tard il serait ainsi démantelé ? Personne. Car en 2005 Yahoo! était encore le site web, la plateforme, le portail le plus consulté chaque jour dans le monde.

Aujourd'hui alors que Facebook a à peine 12 ans, personne n'est prêt à miser un kopeck sur une fermeture dans 10 ans.

TModel_launch_GeelongYahoo! hier, et Facebook aujourd'hui.

Ces plateformes sont nées avec l'industrie d'internet comme la Ford T est née avec l'industrie de l'automobile. Elles ont jeté les bases économiques et sociales de ces nouveaux usages, de ces nouvelles perceptions de l'espace et du temps, elles ont fait naître et dessiné le marché qui va avec, ont été les premières à l'exploiter d'une manière systématique. Mais l'avenir de l'automobile n'est pas la Ford T. Et il est certain pour Yahoo! et probable pour Facebook que l'avenir du web et de l'internet ne passe pas par eux. Du moins, pour ce dernier, pas sous sa forme actuelle.

Et Google me direz-vous ?

En suivant mon raisonnement il devrait donc fermer lui aussi après un cycle d'environ 20 ans, c'est à dire en gros en 2018, dans moins de 2 ans. Sauf que Google entretient avec l'écosystème internet une relation de nécessité lorsque Yahoo! et Facebook n'en sont que des ornements certes plaisants mais pour l'essentiel superfétatoires. Pour filer la métaphore automobile, Yahoo! et Facebook sont les Ford T d'une industrie naissante alors que Google "incarne" l'ensemble des logiques de circulation propres à cet écosystème. Des logiques certes de plus en plus complexes, de plus en plus fermées, mais qui demeureront indispensables. Et s'il n'y a plus de Ford T sur nos routes, il n'y a jamais eu autant de circulation.  Ou comme je l'avais déjà expliqué, Yahoo!, Facebook et les autres sont des plateformes qui ont pour ambition de ne se nourrir que d'internalités alors que Google se nourrit d'externalités. Yahoo! et Facebook ont pour ambition de nous ramener au sein de leur plateforme alors que Google (même s'il compte hélas de plus en plus d'internalités) a pour première fonction et vocation de nous emmener "ailleurs".

Donc oui, Facebook fermera (peut-être) en 2024. Naturellement je n'en sais rien. Mais il y a quelque chose de profondément rassurant à se le répéter. Se répéter que les cimetières numériques sont plein de plateformes indispensables ou jugées indépassables. A fortiori quand ces plateformes n'ont plus grand chose à voir avec la promesse originelle du web. Mais il faut que je vous laisse. J'ai ma nouvelle Ford T qui m'attend …

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2 commentaires pour “Facebook fermera en 2024.

  1. Bonjour
    Merci pour le partage de cette réflexion qui souligne nombre de points de réflexion intéréssant.
    Il me semble cependant qu’un point signifivatif n’est pas évoqué ; la prison dorée constitué par Facebbok et qui contrairement à Yahoo pourrai changer la donne.
    En effet je ne compte plus autour de moi les personnes qu’il est inutile de contacter par courriel car ils sont passés uniquelent à facebook (il en est de même, et de plus en plus, pour l’organisation d’évènements notamment dans le milieu étudiant, où il faut se faire un compte facebook pour être informer ne serais-ce que des changements d’horaire de cour).
    Donc contrairement à une adresse @yahoo joignable par tout un chacun, il en est de façon très différente du monopôle de Facebook qui fait sentir là son poids de prison avec ceux qui sont dedant et ceux qui sont / (ont choisie d’être) dehors (contrairement à un portail, aussi jolie soit il)
    Il risque dont, à mon sens d’avoir quelque année de rab de part ce monopole fermé. Car comme pour google sur la recherche, bien qu’il y est des alternative, beaucoup de personnes y vienne par le poids des nécessités (en l’occurrence de la correspondance)

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