Google Contributor : le Terminator de la contribution.

Se demander ce qu'est le web. A quoi tient le web. Qu'est-ce qui tient le web ? Une économie ? Certes. De l'attention ? Assurément. Une économie de l'attention ? Mais oui. Le gratuit, les produits. "Si c'est gratuit, c'est que vous êtes …". Et toute cette sorte de chose.

A bout de souffle le web.

D'un côté la masse des nos nouvelles écologies cognitives, Wikipédia, Internet Archive, Mozilla et quelques autres. Des fondations. Des fondations qui cherchent toujours finance, qui cherchent toujours des dons. Des fondations qui sont "les" fondations, ce sur quoi non seulement le web mais les opportunités qu'il ouvre sont bâties. Et dans ces fondations, souvent "les autres".

De l'autre côté "les autres", les GAFA, les Google, les Facebook, les Amazon, les Apple, les jardins fermés. Davantage économies qu'écologies cognitives. Qui souvent financent donc les fondations premières mais qui aussi et surtout engrangent, engrangent et engrangent encore. "Si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit". Economie de l'attention à laquelle nous ne prêtons presque plus attention. Marges publicitaires colossales. Oligopole à franges dont chaque frange à capacité à tailler des croupières au web, aux fondations premières. Les autres qui eux aussi bâtissent, essentiellement des murs.

Et au centre nous sommes. Et nous sommes le centre. Et nous contribuons, et parfois nous donnons, aux fondations. Et toujours nous donnons, aux autres des données. Nous donnons de l'argent, nous donnons de l'attention, nous donnons des données, nous donnons des textes, nous donnons des images, nous donnons des sons. Nous participons. Nous contribuons. Nous bâtissons aussi. En route pour la joie. Nous sommes le ciment sous les plaines. Plaines de l'attention, plaines de la publicité, plaines de la connaissance, plaines de l'information. Relief publicitaire à l'horizon, seulement clairsemé de quelques sommets montagneux de données.

Echo nomie.

"Economie" vous dites ? Des "gestions", des "manières d'administrer", qui se font écho. Les seules économies étymologiquement conformes sont celles qui s'appliquent à des "maisons", les seules" maisons" du web sont ses jardins fermés, les reste est un endroit sans lieu. Un "espace" plutôt qu'une "place". Alors oui, économie des GAFA. Et pour le reste un écho, lancinant. Qui répète.

Qui répète à l'arrière la théorie marxiste du document, qui répète le digital labor, qui répète le capitalisme linguistique, qui répète l'internaute en travailleur exploité, qui répète le crowdfunding, 3 milliards de prolétaires, l'hétérodoxa interneto-économique. A bout de souffle. S'en cherchant un nouveau.

Alors on danse.

Des affrontements : être payé pour le travail gratuit que nous accomplissons aussi docilement que régulièrement, ou refuser de payer le prix de nos données. Refuser, accepter, le seuil du tolérable, le coût profits et pertes. Insoluble. Trop longtemps que ça fonctionne comme ça. Trop clivant de choisir l'un ou l'autre. Trop pregnant pour en sortir. Trop flippant d'en sortir. Savoir que tout cela a un coût. La sidérurgie, l'industrie lourde du Cloud. Le pétrole, l'or noir de nos données. Inépuisables raisonnements pour d'épuisables richesses. Alors on danse.

Les modèles qui ont fait leur preuve, tous les modèles qui ont fait leur preuve ont aussi fait la preuve qu'ils n'étaient que modèles. Et qu'un modèle sans son peintre n'est pas grand chose. Ce sont les tableaux et les peintres qui passent à la postérité. On oublie les modèles. Pour un tableau dont on se souvient, combien sont oubliés ? Vous vous souvenez du tableau du crowdfunding ? De son modèle ?

Il y a l'histoire du crowdfunding. La foule qui finance, la pompe à phynance, et Ubu ROI, Ubu qui se retourne sur notre investissement. A grands coups de pieds au cul de l'ID du projet. Kickstarter. Et son cimetière. L'attention encore. Celle que l'on porte. Celle qui s'exporte. Et celle qui se détourne. Qui n'atteindra jamais sa cible, "comme cette vague qui n'atteindra jamais la dune", et derrière la dune, où jamais l'attention ne se porte, le coup de pied de fin, celui de la mule, celui de l'âne, celui de l'inattention, presque par inattention. Kickended.

Il y a la confusion aussi. Entre le gratuit et le libre. L'économie du libre n'est pas une économie de la gratuité mais du don. Qui donne ? Ceux qui dînent. Qui donne dîne. Et toujours les mêmes invités au grand banquet. Les autres dorment. Qui dort dîne, ou plutôt trinque. "Le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent." Nous on trinque. Troisième catégorie.

Alors on paie.

Alors on paie. Car après tout. Après tout pourquoi pas. Après tout ça vaut le coup. Après tout c'est plus tenable. "Si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit". Et si je paie ? Je produis quoi ? Alors on réfléchit. On constate. En spectateur du dîner d'absoncs on les regarde se repaître alors qu'on n'a même plus le choix des endroits où s'envoyer paître, à grands coups de navigation. On se prépare. C'était écrit. Un jour, oui, un jour, un jour :

"Le modèle publicitaire aura terminé d'actionner ses derniers leviers de rentabilité. Ayant pendant longtemps assuré la seule et unique perméabilité entre les différents silos techniques et attentionnels de l'oligopole à franges se partageant les accès de l'ensemble de la population connectée, il lui faudra nous imposer autre chose pour maintenir la gratuité de ces accès, gratuité garantissant elle-même la captation d'un volume suffisant de données. La monétisation portera donc désormais sur la possibilité de l'opt-out. Nous paierons pour que notre photo ne soit pas utilisée dans les publicités, pour que notre profil ne soit pas visible par certaines personnes. Pour que certaines données (photos, vidéos, etc.) soient effacées de manière programmée. Pour que nos comptes soient fermés après notre mort, pour que nous proches puissent récupérer nos données. Pour se soutraire au champ attentionnel, au spectre de l'indexabilité, au radar de l'intentionnalité. Tous ces choix qui nous sont aujourd'hui ôtés[10] sont les indices que demain ils nous seront proposés à l'achat."

Un jour on paiera pour supprimer la publicité. Pour ne plus la voir. Pas juste "adblock" mais "pay-block". Un jour cet argent sera reversé aux ayants-droits attentionnels. Un jour il y aura des ayants-droits attentionnels. Ceux qui méritent notre attention. Les fondations. La boucle. Le cycle. L'éternel recommencement.

Le jour d'après.

Nous y sommes. En tout cas il y est. Google y est. Google vient de lancer une intiative d'apparence aussi discrète qu'improbable. Google vient d'annoncer "Contributor". Fat, sot, faquin, et butor. Tribu de cons ? Tribut de butor ? A la fois. Contributor comme réponse à l'économie de la contribution. Participer c'est bien, contribuer c'est mieux. Stiegler l'avait écrit, Google l'a produit. Le terminator de la contribution.

Arnold-schwarzenegger-terminator-3-sunglasses

(Projet contributif de lunettes intelligentes financées par Google Contributor. Blague visuelle auto-référentielle à double boucle #inside)

Google Contributor donc. Le principe est simple. Super simple. Comme l'est le constat. 

"Today’s Internet is mostly funded by advertising. But what if there were a way to directly support the people who create the sites you visit each day ?"

"Aujourd'hui internet est principalement financé par la publicité. Et s'il y avait un moyen de soutenir directement les gens qui créent les sites que vous visitez chaque jour ?"

C'est, nous dit encore Google :

"un moyen de soutenir directement ceux qui créent les sites qu’on visite chaque jour".

Et en plus c'est pas cher. "Si c'est pas cher, c'est que vous êtes …" En solde ? La grande braderie de l'attention ? En tout cas il paraît que ce n'est pas cher, "0,80 à 2,40 euros par mois". L'enjeu aussi est simple. Simplement immense :

"une partie sera reversée par Google aux sites visités le plus fréquemment (s’ils ont choisi de participer à l’expérience Contributor). Avantage pour le lecteur : les pubs Google sur le site en question seront supprimées et remplacées par un message de remerciement à l’internaute." (Ecrans.fr)

On paie pour dire merci. Merci à toi Ô mon frère, merci à toi peuple khmer, merci à toi l'Algérien, merci à toi le Tunisien, merci à toi Bangladesh, merci à toi peuple grec, merci à toi petit Indien, merci à toi punk iranien, merci à toi … Ô Google ???!!

"Une partie sera reversée par Google". Une "PARTIE" ??? Laquelle ? Combien ? Le genre de "partie" dont la somme serait plus importante que le "tout" ? Mais Google veut tout. Donc la question est accessoire. La liberté du peintre sur son modèle.

D'un côté la masse de nos nouvelles écologies cognitives. De l'autre, les autres, les GAFA. Et au centre nous sommes. Se souvenir des belles choses, et des déclarations de Google, par la voix de David Eun, à l'époque (circa 2011) son "responsable partenariat" :

"Les internautes vous paient avec le temps qu'ils passent sur vos contenus, ils vous paient avec leur attention. C'est cette attention, que les annonceurs veulent".

Nous payons Google avec le temps passé sur ces/ses contenus. Nous payons Google en utlisant la 1ère régie publicitaire de la planète (Adwords), l'algorithme qui l'a rendu riche. Mais Google en veut encore. Et encore. Alors on danse. Et lui, il tente. Cette fois il veut notre argent. Pour le reverser à d'autres. Payer Google pour remercier les autres. Et quoi ? Les autres doivent déjà remercier Google de les laisser être présents dans son index ?

Mais quoi ? Y'a-t-il quelqu'un parmi vous, ici, qui n'ait encore trouvé le moyen de remercier Google ?

Question de point de vue. Et de mesure aussi. De contres-mesures également. Google invente et nous propose une version de "sa" licence globale. Il y a ceux qui paient pour y être (liens publicitaires de la régie adwords), il y a ceux qui paient pour voir (qui paient avec leur attention pour voir ceux qui ont payé pour y être). Et si on ajoutait un nouveau tiers-payant ? Ceux qui paieraient pour payer les autres. Et qui en échange … En échange de quoi d'ailleurs ? Funding the web. Financer le web. Financer le web de Google. Financer Google. Une nouvelle fois.

Financer le web est d'ailleurs un non-sens. On ne finance pas l'économie. On finance des services, des infrastructures, des droits, des sociétés. Mais pas l'économie. Et on ne connaît que deux moyens à cette finance : l'impôt et la bourse. Google tenait jusqu'ici les cordons de la bourse. Il se propose désormais de lever son impôt. C'est terminé. Contribuez. Contributor. Terminator. A vous de produire. Ou à vous de choisir. Ou à vous d'inventer. "Si c'est gratuit …" Et "Si vous produisez, c'est que vous êtes payés." Et si vous choisissez … C'est vrai ça … Et si vous choisissiez ?

 

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