Shazamer le monde.

Jeff Bezos vient donc de lancer le smartphone Amazon. Dans l'une des slides de sa conférence, il parle d'un "shazam of everything", en référence à l'application vedette permettant de retrouver le titre et l'interprète d'un morceau de musique que l'on écoute.

Shazam of everything.

Shazam1

Shazam

Amazon n'a pas seulement inventé "le smartphone qui donne envie d'acheter" : avec le bouton "Firefly" apparemment capable de scanner et de reconnaître à peu près n'importe quoi (à partir d'un code-barre, d'une pochette d'album, d'un produit quelconque, mais aussi de textes, sons, d'images et de photos) et de vous renvoyer pour l'acheter vers le supermarché Amazon, Jeff Bezos se la joue "double impact" en associant la tendance lourde d'un web-applicatif pousse-bouton d'une part, et en intégrant d'autre part, l'objectif "zéro clic" qui reste le Graal des régies publicitaires en quête de taux de transformation.

Shaz-Amazon

Ne plus avoir besoin de cliquer. Avoir seulement besoin d'appuyer sur un bouton pour acheter, pour commander, pour "partager".

"Shazamer" le monde c'est être capable de renverser à son seul profit les logiques de prescription si longues à bâtir dans les médiations classiques.

"Shazamer" le monde c'est nous mettre en main le smartphone de l'impulsion, le smartphone du pulsionnel. C'est avoir parfaitement compris, intégré et réalisé les logiques de triangulation de la matrice du malconfort et qui reposent sur d'apparentes capacitations que les médiations contraintes qui leur sont associées transforment nécessairement en autant d'incontournables aliénations.

"Shazamer" le monde c'est parvenir à travestir la trivialité de l'acte d'achat derrière un effet "techno-magique" qui n'est qu'un rideau de fumée attentionnel permettant aux prestidigitateurs en chef de mieux nous faire les poches pendant que nous avons à la fois le regard tourné et les mains prises, vers et dans notre smartphone. Pris au piège du pulsionnel par la focale attentionnelle.

321px-Shazam_Vol_1_21(Jeff Bezos et les légions d'Amazon capturant l'internaute Shazam – Source)

SOAP.

La dernière punchline trendy sur les grandes tendances de l'évolution du web tenait en un mot qui à l'instar du Shazam précédent pourrait aussi être tenu pour une onomatopée aussi magique qu'incantatoire : SoLoMo. Social Local Mobile. Et après ? 

Après viendra peut-être le SOAP. Search Objects and Apps.

Parce que du côté des pages web, des documents, des profils, on a fait le tour. Ils ont fait le tour. Ils savent les indexer, les monétiser, les restituer en temps réel, les recalculer à la volée pour bâtir des logiques de prescription fiables.

Parce que le smartphone est désormais au centre névralgique de l'ensemble des accès et des modes de consultation. Parce qu'un smartphone n'a d'intérêt que par les applications qui le peuplent. Parce que lesdites applications sont amenées à brasser, à leur tour, de plus en plus de données résidentes, cruciales, essentielles à nos modes de vie connectés autant qu'à la survie de l'écosystème marchand du numérique qui conditionne et autorise cette connexion.

Parce que smartphones et applications sont la nouvelle mine à ciel ouvert du Big Data. D'immenses gisements encore mal explorés tant par nous-mêmes que par les GAFA. Et quand je dis "immenses", je dis "immenses" : 25 milliards d'applications téléchargées rien que sur Google Play, et bientôt plus d'un milliard d'applications disponibles dans le monde. Alors commencent à apparaître les premiers moteurs de recherche entièrement dédiés aux applications. Non pas pour nous proposer des applications, non pas pour en trouver, cela les ingénieries de la recommandation savent déjà le faire. Mais pour chercher à l'intérieur des applications, à l'intérieur des contenus desdites applications, à l'intérieur des données des contenus de nos applications.

Parce que le web des objets est déjà là. Et qu'après avoir indexé les documents et les profils, un nouveau changement d'axe de rotation du web se profile avec l'indexation inéluctable des objets et des applications.

Mille milliards mais de quoi ?

1er Janvier 2000. C'était la préhistoire. Après avoir démarré en 1998 avec 26 millions de pages indexées, Google annonçait en indexer désormais 1 milliard. En 2005, il annonçait en être à 8 milliards. En 2008, il en était à … mille milliards.  

4 octobre 2012. C'était hier. 1 milliard de profils collectés.

C'est déjà demain. 1 milliard d'applications et leurs millions de téra-octets de données et de métadonnées. Entre 32 milliards et 80 milliards d'objets connectés à l'horizon 2020, représentant 44 000 milliards de giga-octets de données.

Pas seulement le nouvel horizon de l'imaginaire numéraire du numérique mais également la seule marge de progression de l'ensemble de l'économie numérique. Le seul horizon de l'ensemble de l'écosystème numérique tel que distribué autour des grandes plateformes et des grands silos d'aujourd'hui. En mode paradoxe de Zénon d'Elée. Savoir si les Achille de la calculabilité peuvent rattraper la tortue des données dans un monde où chaque donnée publiée ou indexée ou collectée donne elle même naissance à d'autres données qui à leur tour … dans un monde où chaque document, chaque individu et demain chaque objet connecté produisent des données qui à leur tour … Savoir si cette course à un sens. Se demander pour qui. Savoir pour quoi.

Alors l'avenir sera SOAP.

L'avenir est écrit. L'histoire repasse les plats. A l'instar des moteurs et des réseaux sociaux, désormais premiers prescripteurs mais aussi premiers véhicules de nouvelles stéréotypies et donc de nouvelles discriminations, demain les "objets" entreront à leur tour dans la valse à trois temps de l'indexation / prescription / discrimination. Nous connaissions jusqu'à lors la "programmation orientée objet", il nous faudra nous habituer à la "discrimination orientée objets".

Parce que la discrimination au sens premier, c'est à dire "la faculté de discerner, de distinguer" est la condition sine qua non de n'importe quelle construction algorithmique. Parce qu'indexer pour donner accès c'est d'abord choisir ce que l'on va retenir, et que cela implique de choisir ce que l'on va exclure. Et de trouver les bonnes raisons de la faire.

3PAO

3PAO. Pertinence des Pages des Profils des Applications et des Objets.

Trouver une réponse à la question de la "pertinence" des pages web fut possible à l'aide du PageRank et de l'ensemble de ses algorithmies dérivées.

Trouver une réponse à la "pertinence" des profils fut plus complexe mais est en voie d'achèvement au prix fort de la disparition de l'anonymat et des logiques marchandes prenant cette fois directement ledit profil pour cible et non plus seulement ses publications éparses.

De la même manière il faudra demain se poser la question de la "pertinence" des objets. Et y porter réponse.

Avant cela, se mettront en place de nouvelles logiques d'indexation, de nouvelles calculabilités du monde. Il existe aujourd'hui des liens entre les algorithmes de pertinence des pages et ceux de pertinence des profils, via par exemple "l'authorRank" ou certains paramètres de l'Edgerank de Facebook.

Facebook-edgerank

(Logiques de visibilité de l'Edgerank, avec le rôle central du "creator" et de métriques autoritatives. Source)

Pages et profils, "publications" et profils entrent aujourd'hui dans les mêmes logiques de calculabilité, d'autorité et de prédictivité. Ils sont en train de s'hybrider profondément avant de fusionner définitivement dans un horizon proche. C'est d'abord cela l'histoire de l'homme qui est un document comme les autres.

De la même manière il existera demain des liens entre ces nouveaux hybrides et les algorithmes de pertinence "orientés applications" et "orientés objets". Et après-demain les objets fusionneront à leur tour avec les profils et les pages. La globalité du monde sera alors calculable. Il n'y aura plus rien à indexer. Tout le sera déjà. Plus rien à prescrire. Tout sera pré-vendu. Plus rien à calculer. Tous les résultats seront déjà disponibles. Vous croyez que je divague ? Pourtant aujourd'hui déjà il n'y a plus que des réponses.

This is Smart. Smartphone.

Le smartphone se positionne naturellement comme la pierre angulaire de l'ensemble de cet édifice de mise en calculabilité du monde : parce que c'est par lui que nous accédons aux pages, parce que c'est lui qui est l'extension la plus naturelle et la plus organique de notre profil, parce qu'il est le réceptable d'une foule d'applications dédiées à l'ensemble de nos vies connectées, parce qu'enfin il est un objet connecté ou plus exactement un méta-objet qui peut permettre d'en contrôler d'autres. Bien plus qu'une simple télécommande de nos vies connectées, il en est, pour filer la métaphore télévisuelle, également le programme, l'affichage, l'annonceur, la régie publicitaire et la centrale d'achat.

Le web s'annonçait il y a 25 ans de cela comme la promesse excitante d'un nouveau space opera. L'essentiel des zones fréquentées actuellement sont davantage proches d'un mauvais soap-opera.

Tous les grands (Google, Apple, Amazon) ont aujourd'hui leur smartphone dont ils contrôlent soit le hardware, soit l'OS, soit les 2. Tous ont également leur magasin d'applications. Et tous les Hommes auront demain leur smartphone. Tout est dans tout. Et réciproquement. Vous n'allez pas me croire mais j'ai fait un rêve cette nuit. Une espèce de genre de guerre nucléaire atomique avec des robots envahisseurs. Bref tout était détruit, l'humanité disparaissait presqu'entièrement. Il ne restait plus sur terre qu'un seul smartphone qui avait miraculeusement échappé au désastre. Ce smartphone contenait l'ensemble des documents, des données, des profils de la planète avant sa destruction, ainsi que la capacité d'accéder à l'ensemble des objets et infrastructures matérielles et de les commander à distance. Et un algorithme. Alors tout recommençait, mais différemment.

 

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