L’inist brouille l’écoute (#inistgate épisode 3)

Commencent aujourd'hui à Nancy, les rencontres organisées par l'Inist sous le nom de "Carrefour de l'IST", sur le thème : "Acquisitions et accès aux ressources électroniques : quel futur ?" (sic), rencontres que vous pouvez suivre en ligne à cette adresse. Ou pas (re-sic).

CarrIST

On a bien eu le webcast des discours d'introduction, passionnants comme vous pouvez vous en douter, mais étrangement, juste au démarrage de la première table-ronde de la matinée, "couic". Longue tradition de transparence, de débat ouvert, patati, patata 🙂 Par contre, le buffet est intégralement retransmis. Pardon d'insister mais mobiliser les moyens techniques et la qualité de service (excellente) de l'IN2P3 pour retransmettre uniquement les discours de remerciement et pas les table-ronde – ou uniquement certaines d'entre elles, étrangement les plus techniques et les moins … polémiques – est … <trouvez le qualificatif que vous voulez, moi j'y arrive même plus et pourtant je suis sacrément imaginatif comme garçon>

Or donc, rapide résumé des derniers épisodes.

Depuis les derniers épisodes de l'affaire (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7), le CNRS et l'Inist communiquent assez mollement, jouant, comme c'était prévisible et annoncé (stratégie Monsanto), sur le pourrissement de la situation et la technicisation du débat (cf plus bas dans ce billet).

Mis à part donc les messages envoyés sur les listes de diffusion professionnelles (ADBS, Couperin) et commençant par "Le CNRS est actuellement sous le feu d'attaques injustifiées sur le web, patati patata, nous vous demandons de diffuser le communiqué suivant patati patata", et mis à part le fameux communiqué toujours lisible ici, rien. Rien jusqu'à cette récente interview à l'AEF, en date du 30 Octobre, dépêche n°173912, dont je me permets de reproduire ci-après de larges extraits. Laquelle interview a eu le double mérite d'achever de me mettre dans une rage noire que je pensais éteinte, et de me confirmer (ainsi qu'à de nombreux autres) que devant tant d'âneries et de cynisme, l'action en justice était le seul recours (elle sera engagée dès que nous connaîtrons le résultat de l'actuel pourvoi en cassation de l'Inist-CNRS).

Précision : J'ai sollicité de mon côté l'AEF pour un droit de réponse et j'ai été interviewé à mon tour mais j'ignore quand paraîtra cette interview (si elle paraît).

<Update> Ces gens sont vraiment pathétiques. Au moment de publier ce billet je m'aperçois qu'ils ont retiré toutes mes publications de la base Refdoc alors même que je n'ai, à dessein, pas formulé de demande de retrait, pour pouvoir disposer d'éléments matériels lors d'un éventuel procès. Grrr. </Update>

Fallait oser. Il a osé.

A la question, centrale, "Que compte faire le CNRS pour prévenir d'éventuels procès similaires ?", Serge Bauin, directeur de l'IST au CNRS, répond que :

"Il existe plusieurs pistes, par exemple d'incorporer
dans la chaîne Refdoc le principe d'enjoindre l'acheteur de vérifier par
lui-même sur les autres portails documentaires et les archives ouvertes
s'il n'a pas accès gratuitement à la ressource demandée.
"

Oui, oui, vous avez bien lu. Non, non, vous ne rêvez pas. Comment dire … J'avoue qu'effectivement passé les bornes y'a plus de limites et
réciproquement. Non content de vendre des articles illégalement, a
contrario des souhaits des auteurs ou des directeurs de revues (+ de 600 ont déjà signé) et à des
prix aussi effarants que parfaitement prohibitifs, nonn content d'avoir été condamné par deux fois en justice pour ces pratiques, non content d'avoir ête publiquement désavoué par la Ministre de l'enseignement supérieur, ne se contentant pas
d'avouer (dans une question précédente) qu'il ne maîtrise absolument pas le détail de la couverture
documentaire de la base de donnée Refdoc (si, si, cf plus bas), le directeur de l'IST du CNRS
nous explique tranquillou que pour s'éviter des noises il songe à
"enjoindre" (rappel, enjoindre signifie "ordonner expressément"), il songe
donc à "ordonner expressément" à l'utilisateur de vérifier par lui-même s'il n'est pas
victime d'une escroquerie et d'un abus de confiance. Fallait oser. Il a
osé. 

Et le reste à l'avenant.

J'insère mes réponses dans les très larges extraits de cette interview à l'AEF.

*AEF : Comment les droits d'auteurs sont-ils gérés ?

*Serge Bauin : La loi a organisé et mandaté le CFC (Centre français d'exploitation du droit de copie) pour régler la question. Il prélève des droits de copie et se charge de donner l'argent aux ayants droit. Il est à noter que ne sont présentes dans Refdoc que des publications qui sont chez des éditeurs, ce qui n'exclut pas que la cession de droits d'un auteur à un éditeur l'autorise à publier sur son site personnel ou dans une archive institutionnelle. Nous n'allons pas faire payer des objets gratuits, mais les ressources vendues peuvent ressembler à s'y méprendre à celles qui sont publiées gratuitement, avec en plus des encarts, des illustrations, un format de publication, etc. Ainsi, un chercheur peut parfois se voir autorisé à publier une version finalisée d'un texte mais qui n'est pas la version publiée par l'éditeur.

Faux et archi-faux. En tout cas pour l'immense majorité des cas que nous avons suivi ou qui nous ont été rapportés. Enormément d'articles vendus par Refdoc (les miens par exemple !) sont identiques, à la virgule près, à la version déposée en archives ouvertes (et donc gratuite). Cet argument est une argutie que j'ai déjà eu l'occasion de démonter dans les épisodes précédents.


AEF : Pourquoi se pourvoir en cassation après deux jugements défavorables ? Quels sont les points juridiques contestés ?


Nicolas Castoldi (je juriste du CNRS) : Avant toute chose, il faut rappeler que la bonne foi de l'Inist a été reconnue par les décisions de première instance et d'appel : l'Inist n'a fait qu'appliquer la convention qui le lie au CFC, lequel a pour mission de permettre la reprographie dans le respect du droit d'auteur.

C'est juste hallucinant. L'Inist et le CFC ont été condamnés à 2 reprises. Il se sont pouvus en cassation. Mais Mr Castoldi nous explique que la bonne foi de l'Inist a été reconnue. La bonne foi de l'Inist est décidément impénétrable …

AEF : Le problème auquel l'Inist est actuellement confronté révèle-t-il un dysfonctionnement profond ?

Serge Bauin : La vocation de l'Inist, et des professionnels de l'IST d'une manière générale, est de faire en sorte que les chercheurs aient le moyen le plus commode d'accès à l'information dont ils ont besoin. En faisant cela, il peut y avoir des choses qui ne sont pas parfaitement gérées, non pour des raisons mercantiles mais parce qu'il est techniquement difficile d'avoir l'oeil sur tout (sic). Dire que potentiellement l'Inist se retrouve à vendre des choses gratuites est un peu théorique, des cas comme celui qui nous occupe ici sont impossibles à quantifier mais très certainement extrêmement marginaux.

Si même Serge Bauin (directeur de l'IST au CNRS) n'est capable d'avoir aucune visibilité sur l'outil qu'il préside, c'est assez navrant et assez grave. On parle d'argent public. 

Le problème est que nous ne pouvons pas, dans une base de la taille de Refdoc, établir exactement quelles sont les sessions de droits pour chacun des articles. 

C'est ici le coeur du problème. Le problème est donc que l'Inist ne fait pas correctement son travail. Le problème est que la base Refdoc est une pétaudière bâtie en dépit du bon sens et des standards bibliographiques actuels. Le problème est que du coup l'Inist se contente de vendre pour vendre, sans effectuer ce qui est précisément la raison d'être de l'IST, de l'Information Scientifique et Technique, c'est à dire vérifier, assurer et garantir la circulation des documents scientifiques dans le respects des droits cédés à l'éditeur original et en accord avec les démarches d'ouverture au public engagées par les auteurs et – accessoirement – par le CNRS lui-même.

AEF : Combien enregistrez-vous de commandes sur Refdoc ?

Serge Bauin : Nous sommes autour de 200 000 commandes par an, pour près de 700 000 il y a dix ans, et cela ne cesse de baisser puisque les universités et les organismes de recherche ont accès aux publications des éditeurs comme Elsevier via des abonnements négociés centralement. Les 200 000 commandes correspondent donc à ce qui n'est pas accessible par ce biais, ou bien à ce qui est hors de prix, aux numéros anciens de revues auxquels les chercheurs n'ont pas accès, etc. La commande s'est totalement effondrée côté public, mais il reste les chercheurs du privé qui forment maintenant la majorité des commandes.

On est bien sûr tenté de croire sur parole Serge Bauin. Mais on aimerait aussi que les comptes exacts et précis de Refdoc, financés sur fonds publics, soient totalement accessibles et transparents. D'où la prochaine saisie de la CADA.

Nonobstant, comme le rappelle Hervé le Crosnier ici : "l'INIST était une société privée jusqu'à ce qu'en décembre dernier
celle-ci soit dissoute et ré-intègre le CNRS. Mais à cette époque, et
donc contradictoirement, il y avait une "base de données
bibliographique" qui était disponible. Charge à celui qui y avait
effectué une recherche de trouver l'article, soit pas ses propres moyens
(Google) soit au travers de sa bibliothèque…
qui si elle n'avait pas le document s'en référait au prêt
inter-bibliothèques, et souvent en dernière instance à l'INIST
lui-même. Or
articles@inist (ancienne base de donnée bibliographique de l'Inist) n'existe plus et a été remplacée par un "catalogue de
produits en vente" (refDoc). C'est je crois un changement majeur sur le rôle de l'INIST dans la
recherche : passer d'une position d'appui et de centre de référence à une
position de vendeur.
" Les auteurs (ils sont nombreux) qui souhaitent étendre les communs de la recherche scientifique doivent combattre sur ce front important et décisif pour l'avenir de l'ensemble de la diffusion de l'IST : remettre les
missions de service public en cohérence avec les producteurs de communs
et non en faire des copieurs du modèle privé.

AEF : Reste que le chercheur Rémi Mathis donne l'exemple d'un de ses articles vendu 124,38 euros. Comment expliquer ce prix ?
Serge Bauin : Je ne sais pas d'où sortent ses chiffres. Le service Refdoc fonctionne par catégories de documents (article de périodique, extrait d'ouvrage, rapport, thèse…) qui sont à chaque fois livrés au même prix (www.refdoc.fr/templates/Pagesfilles/default/2012-Tarif_recherche_fr.pdf). Le tarif le plus élevé est de 66 euros pour une thèse, sans la remise de 60 % accordée aux chercheurs des institutions publiques. Les droits de copie sont de 1,80 euro HT, sauf pour certaines sources étrangères avec des éditeurs qui peuvent demander de 2 à 100 euros HT.

Faux. Ces chiffres sortent bien de la base Refdoc comme chacun pourra le constater avec une simple requête. Au coût du document on peut ajouter (heureusement en option !!) le coût d'une livraison rapide par transporteur (entre 40 et 50 euros) et celui d'une reproduction couleur (là encore plusieurs dizaines d'euros)
AEF : Que compte faire le CNRS pour prévenir d'éventuels procès similaires ?

Serge Bauin : Il existe plusieurs pistes, par exemple d'incorporer dans la chaîne Refdoc le principe d'enjoindre l'acheteur de vérifier par lui-même sur les autres portails documentaires et les archives ouvertes s'il n'a pas accès gratuitement à la ressource demandée. Une autre piste à explorer serait de tenter d'automatiser le lien entre Refdoc et l'archive HAL. Mais les objets documentaires en question sont rarement identiques, même s'ils peuvent se ressembler, et HAL concerne la France, pas le monde. Or des chercheurs français déposent parfois leurs travaux dans « ArXiv » aux États-Unis, ou dans une archive ouverte d'un autre pays.  
Bullshit, bullshit, bullshit !! Toutes les archives ouvertes et institutionnelles sont, à la différence notable d'avec le service Refdoc, alimentées et gérées par des processus documentaires cohérents et interopérables. Les publications, dans leurs différentes versions (préprint, postprint, etc) sont pourvues de numéros d'identification unique (DOI et consorts) qui permettent d'en assurer la traçabilité et précisément, d'éviter de proposer en mode payant des ressources disponibles en accès gratuit.

AEF : Les projets Istex (Initiative d'excellence de l'information scientifique et technique) ou BSN (Bibliothèque scientifique numérique) vont-ils changer les choses ?
Serge Bauin : La mise en oeuvre d'Istex diminuera encore le chiffre d'affaires de Refdoc, puisque cela va améliorer le service d'accès à l'IST : les objets qui seront achetés dans le cadre d'Istex seront accessibles sur tous les portails de France. Cela se traduira donc par moins d'utilisateurs pour l'Inist. Concernant la BSN, il s'agit encore d'un chantier mais qui peut déboucher sur un projet de rapprochement du prêt entre bibliothèques (Supeb) et le service Refdoc. Un groupe de travail planche sur le sujet. Mais si nous voulons un vrai guichet unique, complet et universel, cela demande des investissements informatiques lourds, alors que nous sommes dans une situation de très forte érosion des prêts.

Donc le risque que je pointais ici, à savoir que Refdoc et son modèle moisi puisse véroler la totalité du prêt entre bibliothèques dans le supérieur est bien réel. Même si l'on peut espérer que cette affaire #inistgate permettra d'éviter le pire, l'ensemble des acteurs décisionnaires étant désormais "au courant".


2 commentaires pour “L’inist brouille l’écoute (#inistgate épisode 3)

  1. Petite précision utile. Le comité de programme (dont je fais partie au titre de l’Université de Lorraine) a décidé assez tôt dans l’année (donc avant le 1er octobre…) de ne pas retransmettre la table-ronde sur les politiques d’acquisition, les évolutions budgétaires (en berne), les stratégies de négociation et les mécanismes de répartition des coûts. Il s’agissait de discuter librement de ces thématiques dont les éditeurs n’ont pas forcément à avoir connaissance.

  2. Merci de votre réponse. L’argument d’un débat à l’abri du regard des éditeurs me semble assez étrange. J’espère que les débats d’aujourd’hui sur l’Open Access pourront être vus par un maximum de monde, y compris par des éditeurs 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut