Le protocole DNT est-il le DRM de l’usager ?

Très rapide réflexion, à la volée, suite à la lecture de cet article qui indique qu'après Microsoft et d'autres, Google vient d'offrir aux usagers la possibilité d'activer le protocole DNT (Do Not Track). En gros, que les données personnelles (sites que je visite, mots-clés que je tape, publicités sur lesquelles je clique, etc.) ne soient pas collectées en cours de navigation.

En lisant ledit article, je prenais également connaissance, via le coup de gueule sur Twitter de l'ami François Bon, de la polémique de la journée autour du procès fait au site TeamAlexandriz avec en écho les tribunes d'Hubert Guillaud ("Les éditeurs attaquent"), de Philippe Aigrain ("Les enseignements des affaires Teamalexandriz") et de Lionel Maurel ("Pour un droit au partage des livres numériques").

Pendant ce temps, Virginie Clayssen Live-Tweetait les Assises du livre numérique (#aln) organisées par le SNE, dans lesquelles on a beaucoup parlé de DRM (Digital Rights Management) et de MTP (la même chose en français, c'est à dire Mesures Techniques de Protection).

Si je vous raconte tout ça …

C'est parce qu'il serait possible de considérer que le protocole DNT est une forme de DRM mis en place non pas encore "par" les usagers mais "pour" les usagers (au sens de "en défense des"). De la même manière que les DRM
classiques sont là pour défendre d'abord les droits des éditeurs (et
hélas bien trop souvent au détriment de celui des usagers).

Et
que dans l'un comme dans l'autre cas, ces solutions sont – pour des
raisons différentes – très loin d'être satisfaisantes. Le cas du livre
numérique pourrait très vite s'avérer exemplaire dans l'illustration de
ces deux logiques antagonistes (DRM et DNT). Deux logiques qui ont en
commun de considérer qu'à la circulation d'un bien culturel immatériel
doivent être nécessairement et "en interne" attachées des routines et
des protocoles de gestion de droits supposés afférents et
consubstanciels à la circulation dudit bien (droit de prêter, droit de
donner, droit de … lire !), et que lesdits droits unilatéralement
décidés par un seul acteur (= les éditeurs et les plateformes pour le
livre numérique) engagent désormais nécessairement la possibilité d'un
droit à ne pas activer des procédures de traçage (Do Not Track),
procédures sur lesquelles s'est pourtant construite toute la
"philosophie" des DRM (souvenez-vous, parmi tant d'autres, des histoires
d'Amazon retirant des exemplaires pourtant dûment achetés d'Orwell de
milliers de bibliothèques Kindle).

Gentil DNT et méchants DRM ?

Ni l'un ni l'autre en fait. Pour
le dire plus rapidement et pour prendre un exemple, le livre numérique
particulièrement, et l'ensemble des biens culturels numérisés dans une
gamme d'usages plus vastes, vont se trouver très bientôt au centre d'un
insoluble noeud gordien qui (hypothèse optimiste) scellera la fin des
procédures actuelles de contrôle de la circulation non pas des oeuvres
mais des usages associés, au profit (hypothèse haute toujours) de
nouveaux modes de financement de la création déjà largement théorisés
(chez et par Philippe Aigrain notamment), qui devront eux-mêmes s'appuyer sur des motifs ("patterns") d'usages dont les Creative Commons constituent à ce jour l'exemple le plus abouti.

Mais encore ?

Lire
un livre numérique sera bientôt une pratique oxymorique : elle
mobilisera dans un même temps des mesures techniques de protection – les
DRM – subies par l'usager et vécues comme autant de restrictions objectives
d'usages pourtant tout aussi objectivement légitimes (prêter, donner, etc), tout en offrant la
possibilité à "l'usager contraint" de réclamer (pour une lecture "dans
le cloud" par exemple), l'activation de protocoles interdisant le
traçage – Do Not Track – protocoles qui, s'ils ne rendent pour l'instant pas
techniquement inopérants l'essentiel des DRM en vogue sur le marché, annoncent pourtant à terme l'effondrement
programmé de la philosophie de tracking qui les sous-tend.

DRM + DNT = RTD. Rights Tracking is Dead.

Soit pour renchérir sur une pourtant déjà épuisante acronymie : les DRM et
le DNT sont des ADN. Des Adénomes (tumeurs malignes) de la Diffusion Numérique. Nous avons besoin de réinventer cet ADN, d'affirmer que, dans l'espace marchand des biens culturels, c'est précisément l'acte d'achat et non la simple possibilité offerte d'une consultation sous condition qui nous confère immédiatement et sans limitation ou contrainte de temps ni de durée (hors celles propres de l'obsolescence – programmée ou non – du support), que c'est l'acte d'achat qui nous confère une légitimité qui vaut comme une Accréditation à la Diffusion Numérique. A.D.N.

8 commentaires pour “Le protocole DNT est-il le DRM de l’usager ?

  1. Tu me sembles bien optimiste Olivier. Le Do Not Track est un bien petit progrès, qui ne va pas nous protéger de grand chose : il supprime uniquement les publicités basées sur nos historiques de navigation… Il n’interdit pas le traçage en masse qui se fait par devers nous (notamment par exemple notre fréquentation d’un site). Nous n’avons pas le droit sur l’internet de ne PAS être tracés : http://www.internetactu.net/2012/04/26/les-limites-du-ciblage-publicitaire-personnalise/

  2. Oui. Optimiste 🙂
    En fait je suis surtout convaincu que la montée en puissance des protocoles et outils anti-tracking est inexorable. D’où, si l’on ajoute les phénomènes de lecture et d’écoute “dans le cloud”, la question de savoir si le traçage au coeur des DRM pourra longtemps continuer d’être opérationnel.
    Mais en l’état je t’accorde que le DNT est un tout petit pas dans le bon sens.

  3. En gros vous associez le DNT aux DRM ? J’ai vraiment du mal à vous suivre. J’ai l’impression que vous créez un lien là où il y en a pas.

  4. non. Je vous concède que l’article n’est pas très clair, mais je ne dis pas ça. Je dis que sans possibilité de tracking, les DRM, en tout cas ceux associés à la lecture “online” ou “dans le cloud” sont inopérants. Et je dis que dans le même temps, des protocoles comme le protocole DNT (do not track) vont se développer. Et que donc ce développement risque d’entraver l’avenir des DRM.
    En espérant que cela soit plus clair 🙂

  5. Je ne sais pas si les protocoles DNT comme les dispositifs de récupérations de données personnelles vont se développer. J’ai l’impression que c’est une concession à la marge pour l’instant, extrêmement timide et qui intéresse assez peu de monde, hormis quelques activistes, hélas.

  6. DNT est un pas dans le bon sens, surtout s’il est appliqué de manière non restrictive (arrêt du tracking, et pas simplement du ciblage publicitaire). Mais à la différence des DRM, il ne concerne que les services (analytics, social, pub, etc) avec lesquels l’usager n’a pas de relation directe : http://donottrack.us/

  7. DNT ne servira pas à grand chose à part créer un semblant d'”autorégulation” qui permettra peut-être aux vilains méchants de repousser quelque temps les velléités de régulation des instances de protection de la vie privée. Pour se protéger l’utilisateur doit pratiquer la web-guerrilla, avec adblock+ et ghostery par exemple.

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