La bourse et la putain : Wall Street Attention Whores.

<blague introductive> Quel est le point commun entre le groupe Pink Floyd, la bourse et Facebook ? Tous 3 ont leur mur. </blague introductive>

L'entrée en bourse de Facebook tourna donc au fiasco. Je vous vous faire la grâce de vous épargner un énième billet sur le sujet. Juste livrer quelques remarques. Depuis quelques temps avant son entrée en bourse, Facebook testait (et teste encore) un certain nombre de nouvelles possibilités de monétisation, visant à étoffer sa stratégie (sinon son portefeuille d'action).

Premier cercle.

La première source de revenus du réseau social est celle de la segmentation et de la vente à des régies publicitaires ou à des annonceurs, les fruits de ladite segmentation des presque 900 millions de profils qui peuplent ce jardin fermé.Telle est sa machine à ca$h. Mais ladite machine à ca$h est, c'est désormais avéré, très largement insuffisante. En témoignent les récentes tonitruantes déclarations de General Motors (3ème plus gros annonceur des Etats-Unis) qui juge la publicité sur Facebook "inefficace".

(notons également à la marge, les "Facebook credits" monnaie virtuelle)

Facebook tente donc d'élargir, par cercles concentriques attentionnels, le champ des terrains possibles de monétisation.

Deuxième cercle.

C'est celui du magasin d'application, sur le modèle de l'App Store d'Apple, avec prélèvement idoine de droits de douane. Ce faisant il s'inscrit dans la continuité de ce qui semble être le modèle économique dominant d'un web toujours plus applicatif et fermé. 

Facebook_app_center

Troisième cercle.

Faire venir la publicité directement au coeur de l'espace de socialisation, au coeur du "wall", et non plus la laisser reléguée au rôle et à la place de Sideman (dans la barre latérale, elle-même rognée par le récent "télex" ou "ticker"). Et pour ce faire, proposer de promouvoir des contenus "publicitaires" pour l'instant limités (cf copie d'écran ci-dessous) à des articles de presse et autres dépêches d'agence à tonalité people, mais très probablement demain, si la phase de test est validée, élargis à tous types de contenus promotionnels. Là encore, Facebook n'est qu'un pâle suiveur de stratégies de monétisation ayant déjà fait leurs preuves. Les "trending articles" proposés ne sont rien d'autre qu'une version light des "liens sponsorisés" proposés par les moteurs. Avec un inconvénient de taille : ils ne peuvent pas prétendre être contextuels à une requête puisque Facebook est un site "sans requête". On ne tape pas de mots-clés sur Facebook. Tout au plus y cherche-t-on des profils. Mais avec également un avantage (potentiel) : celui de pouvoir faire "remonter" ces trending topics sur la base des recommandations de ses "friends", même si, là encore, lesdites recommandations peuvent difficilement s'appliquer à des sites marchands stricto sensu.

Trending-articles

A noter cependant que l'ingénierie de l'éditorialisation marquée par le déploiement massif d'application de lecture ("social readers") est, sinon en berne, du moins beaucoup moins alléchante que promise.

Quatrième cercle.

Autre monétisation possible, ne plus limiter ces "trending articles" à des annonceurs presse et média, mais proposer aux presque 900 millions de membres de … payer pour faire remonter leur statut de manière "promotionnelle". Fonctionnalité en test récemment dévoilée par un site néo-zélandais, reprise sur Le Monde et sur Clubic (ou encore ici) :

Facebook-promotion-payante-des-posts

Au risque, comme le souligne l'article, de transformer les velléitaires en autant de "putains de l'attention" (attention whores).

Search Hole et Social Wall.

Dans cette course en avant qui singe les recettes déjà existantes et tente de les caler sur la logique (et les strates) attentionnelle(s) propre(s) au réseau social, c'est une logique physique qui s'impose. Celle du trou contre celle du mur. La zone de saisie des moteurs de recherche (sublimée jusqu'à l'épure chez Google) est un marqueur d'entraînement. Une boîte de Pandore. Une promesse qui repose sur l'absence. Une fente freudienne porteuse de tous les fantasmes. Une fois activée, une fois la requête déposée, la matière noire attentionnelle peut être librement façonnée au bon vouloir du moteur et de ses annonceurs. La zone de saisie de Facebook est superfétatoire. La zone d'activité de Facebook est son mur. Un mur qui fonctionne comme un marqueur de "suivisme", un blocage contemplatif. Le trou éveille une curiosité. Le mur implique un balayage des inscriptions déjà déposées. Dans sa course à la monétisation Facebook a raté une étape : celle du désir, celle de la requête, celle du désir de requête. Sans requêtes, la pompe à phynance publicitaire ressemble à un pétard mouillé. Car c'est précisément parce que nous avons conscience d'avoir ouvert une boîte de Pandore que nous acceptons, au moins cognitivement sinon moralement, d'être soumis au matraquage publicitaire des pages de résultats de l'ensemble des moteurs de recherche actuels. Sans ce stimulus premier, sans cette amorce du désir, la morale reprend le dessus avec un résultats sans appel : le refus explicite de valider le modèle économique qu'on nous propose. Et la rue la plus fréquentée de la planète peine à franchir l'autre mur d'une autre rue. Wall Street.

<Jacques Lacan sors de ce corps> Les moteurs de recherche reposent sur un "dire en défaut" qui appelle presque naturellement le "dire en excès" des pages de résultats. L'interface de Facebook repose, elle, sur un "dire en excès" qui déclenche, par réaction autant que par stratégie et par saturation, un "dire en défaut", une simple consultation là où les autres inaugurent toujours une navigation </Jacques Lacan sors de ce corps>

Enclosures partout, requêtes nulle part.

Facebook, au travers des différents cercles décrits, bâtit au sein même de son déjà fermé jardin, une série d'enclosures informationnelles et attentionnelles (ne manquez pas sur le sujet l'excellentissime billet de Silvève Mercier, réellement lumineux) qui finissent par être parfaitement contre productives. Ses "Facebook credits" ? Enclosure monétaire. Son magasin d'application ? Enclosure douanière. Ses "Trending articles" ? Enclosure attentionnelle. Les "Social readers" ? Double enclosure attentionnelle (on ne peut lire les articles que dans Facebook et que grâce à l'application dédiée). Les "status promotionnels" ? Enclosure egotiste.

Les écosystèmes informationnels promus par les moteurs de recherche fonctionnement également sur un régime d'enclosures. Du moins ont-ils eu jusqu'ici l'intelligence de nous laisser croire à notre consentement éclairé. Du moins ont-ils jusqu'ici fait une pédagogie (propagande serait d'ailleurs plus juste) de l'équivalence de deux médiasphères : celle de la publicité et celle de l'information ("ads are content"). Du moins reposent-ils sur une amorce de désir matérialisée par nos requêtes, même si celles-ci sont à leur tour souvent conditionnées par les publicités précédantes.

Trop proxémique pour être proxénète.

Dans cette permanente valse du pulsionnel (pulsion scopique chez Facebook, requêtes im-pulsives chez les moteurs), qui fait en permanence osciller la balance du texte entre le plateau des accès et celui de l'attention, les moteurs nous laissent l'illusoire liberté de la putain quand Facebook nous ramène à notre statut de simple client, tantôt contemplatif, tantôt contempteur. Du client ou de la putain, il faudra bien ici aussi décider un jour lequel des deux verbaliser. Verbaliser : "mettre en place une pensée à travers les mots". Une activité motrice, dont les murs ne sont que l'éphémère support.

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