C’est l’histoire d’un blog.

C’est l’histoire d’un blog de chercheur comme le monde en compte aujourd’hui quelques milliers. Espace d’écriture hybride, entre atelier scientifique et échos du quotidien, entre paillasse et machine à café. Rien ne change. Parfois simples signalements de ressources glanées sur le net, parfois analyses plus fouillées, ces notes, billets et notules n’ont rien d’original. Ils sont le travail que chacun d’entre nous effectue au quotidien. Le fil d’Ariane d’une éternelle triangulation entre notre laboratoire, nos enseignements et le monde comme il va. Tout change. Ils sont lus. Ils existent dans l’espace public du débat, scientifique ou non. Lus par d’autres collègues, par nos étudiants, par de simples curieux, par des spécialistes ou des professionnels, de notre discipline ou venant d’autres champs. Ils créent un espace de débat et d’interaction nouveau. Un espace que les revues, dans leur forme actuelle, ne peuvent intégrer. Une temporalité, une réactivité que les colloques et conférences, par leur périodicité et leurs géographies distantes, ne peuvent instaurer. Des accélérateurs. Ces débats, ces espaces et ces nouvelles temporalités sont aujourd’hui absolument nécessaires. Ce temps court des blogs scientifiques ne met aucunement en péril le temps long de l’activité scientifique. Il l’inaugure et le complète. Il en est l’indispensable adjuvant. C’est un temps qui fait trace, qui donne corps. Du temps gagné également grâce à l’organisation et la structuration que permettent les plateformes de publication. Le rubriquage thématique et la périodicité automatique de l’archivage temporel permettent de rassembler rapidement les diverses notules en vue de la préparation d’un nouveau cours, d’une nouvelle conférence, d’un nouvel article. Notules enrichies bien au-delà de l’espace-temps habituel des seuls collègues de la discipline, ou du laboratoire de rattachement. Nouveaux agencements dynamiques du discours scientifique en train de se construire. Chaînon manquant. Les blogs de chercheurs n’ont plus aujourd’hui à faire la preuve de leur intérêt scientifique et sociétal. Vulgarisateurs et pédagogues ils n’ont d’autre ambition que d’exposer la science en train de se faire. Documentés et sourcés, ils offrent au lecteur une parole toujours située, ce qui ne l’empêche pas d’être différemment orientée. Dans l’isegoria foisonnante de nos démocraties numériques, la place de cette parole authentifiée a vocation d’essentiel. En prise avec la société civile et les débats qui l’agitent, ils sont l’instrument permettant d’abolir l’emprise de certaines contre-vérités et approximations, de certaines désinformations manifestes. Science 2.0. La formule est un gimmick marketing qui ne doit pas faire oublier le changement profond et pérenne des pratiques ainsi dénommées. « Séminaire permanent » reposant sur une « culture de l’expérience » comme l’écrit André Gunthert sur son blog (http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2008/09/15/807-why-blog), l’activité de blogging scientifique n’est rien d’autre qu’une activité de recherche et d’écriture qui autorise, qui entretient et qui induit nécessairement autant qu’intrinsèquement toute une série d’apprentissages et de collaborations périphériques, périphéries chaque jour plus centrales dans les rapports qu’entretiennent science et société, chaque jour plus déterminantes dans la conduite de nos métiers. Les communautés inter ou trans-disciplinaires laissent place à des communautés d’intérêt et de pratiques au moins autant fécondes. Observation participante. Les blogs de chercheurs sont, réflexivement et par nature, d’extraordinaires objets d’étude pour les SIC en ce qu’ils cristallisent des problématiques allant du lissage des différents espaces de publication aux nouvelles granularités de la diffusion des idées, de l’économie de la citation aux stratégies d’énonciation, de l’analyse des activités expertes à la place de la parole scientifique dans la société civile, du rôle des technologies numériques aux processus de médiation les accompagnant. Demain. Demain, il faut le souhaiter, c’est l’ensemble des enseignants-chercheurs qui tiendront un blog. Ce qui fut longtemps l’exception deviendra la règle. On aura mesuré les gains possibles en terme d’intégration des nouveaux doctorants, de visibilité de nos laboratoires et de nos travaux, de fertilisation croisée entre différents champs scientifiques, et l’on se sera donné les moyens de généraliser ces gains à l’ensemble de la communauté scientifique. Alors de nouveaux glissements se feront sentir dans la tectonique de l’énonciation scientifique. Alors de nouveaux artefacts émergeront. Aujourd’hui. La force des blogs scientifiques est d’être à l’unisson des bouleversements qui affectent l’ensemble de nos pratiques informationnelles connectées, tout en préservant ou en ré-instaurant la distance nécessaire à leur analyse. Hier. Pointés du doigt il y a encore deux ou trois ans de cela (sur l’air de « allons voyons mon cher collègue, cela n’est pas sérieux »), aujourd’hui souvent plébiscités par les médias ou placés sous les feux de la rampe de l’un de ces nombreux classements dont est friande la société civile (sur l’air du « palmarès mensuel des meilleurs blogs de chercheurs »), demain les blogs seront simplement devenus un élément nécessaire et constant de l’écosystème de la publication scientifique et du fonctionnement académique. Une banalisation souhaitable et par ailleurs déjà observable. Puisse le travail mené depuis déjà 4 ans sur Affordance.info y contribuer.

Olivier Ertzscheid. Maître de conférences à l’université de Nantes. A l’origine – avec d’autres collègues – du lancement du premier blog francophone collaboratif dans le domaine de l’information scientifique et technique. Auteur du blog scientifique  « Affordance.info » (http://www.affordance.info).

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Texte de commande, à paraître d'ici quelques mois … je vous laisse deviner où 😉

6 commentaires pour “C’est l’histoire d’un blog.

  1. enseignant-chercheur en sociologie, je trouve votre position très intéressante mais je ne suis pas encore prêt à sauter le pas. Pour l’instant, c’est mon journal de recherche qui fait office de blog, mais lisible par moi seul bien évidemment.
    Je crois que la question centrale, c’est celle de la publication et des lecteurs : oser faire lire quelque chose qui n’est pas fini, qui hésite encore, qui se cherche, tel est à mon avis l’enjeu central… Les sciences humaines et sociales en France n’en sont pas encore tout à fait à ce modèle ; mais ça vient peut-être, en effet…

  2. “oser faire lire quelque chose qui n’est pas fini,…”
    Oui, il faut oser !!!
    C’est un “work in progress” (et la recherche n’est JAMAIS finie). Et c’est aussi, justement le fait même de n’être pas fini qui est intéressant.
    Comme, par exemple, dans un autre domaine, il est intéressant de voir les carnets d’esquisse de Beethoven, pour un musicien compositeur, pour voir comment il a travaillé et affiné ses idées mélodiques, rythmiques, etc., avant d’arriver au “produit fini”.
    Bon, peut-être que la comparaison entre création artistique et recherche scientifique n’est pas pertinent. (encore que…).
    Pour la couleur jaune, hélas, je suis aussi d’accord… Pourquoi pas du même bleu que le fond de la page ou celui des titres d’articles ?

  3. Ca à l’air intéressant, mais l’absence de paragraphes m’a repoussé.
    Bonne journée
    (et oui, il y a des petites choses qui comptent beaucoup 😉

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