Les 8 milliards de Nicolas pour la recherche (le feu aux poudres – épisode 4)

Un type formidable …
Nicolas Sarkozy. Ce type est formidable. Si si. Vraiment formidable. Et je vais vous le prouver. Partout dans le monde c'est la crise. Et pas simplement "la crise", mais bien "LA" crise, "THE" crise. Une bonne vieille grosse crise du système capitaliste. Alors forcément, l'état met la main à la poche (profonde la poche) pour en sortir des centaines de millions d'euros pour revitaliser les banques, banques qui elles, ont les deux mains sur la gorge (profonde … la gorge). Les banques, ces fameuses et indispensables banques, rouages essentiels sans lesquels vous l'aurez compris, en plus d'être la crise ce serait le bordel. Et ça c'est hors de question. "La crise oui, la chienlit non."
Et bin figurez-vous que c'est là que Nicolas Sarkozy est vraiment fort (ou vraiment riche …). Parce qu'en plus de trouver des centaines de milliards d'euros pour les banques, et ben figurez-vous qu'il va en trouver presque autant pour l'enseignement supérieur et la recherche. C'est plus un président, c'est même plus un hyper-président, c'est carrément la corne d'abondance. Alors voyons un peu tout cela dans le détail.
Le détail c'est la vidéo officielle diffusée officiellement sur le site Corned'abondance.fr à l'occasion du discours de lancement du comité chargé d'élaborer une "stratégie nationale de la recherche et de l'innovation". Tout un programme.
"Un discours ! Un discours !"
De ce discours on apprend …

  • Première info : qu'il (nicolas) avait déjà augmenté le budget des universités "comme jamais". "La dépense moyenne par an et par étudiant a aurait augmentée de 1000 euros depuis 2007". (ah bon ???? ben heu … pas dans mon université en tout cas …). Rappel : la France compte 1 326 000 étudiants en 2008 (source). Résultat : 1 326 000 000. 1 milliard 327 millions d'euros pour les étudiants.
  • Deuxième info : comme c'est pas suffisant (et qu'en plus c'est faux mais ça bon ben il a pas eu le temps de le dire …), comme c'est pas suffisant donc, et ben le gars y va encore nous l'augmenter – le budget des universités – "de 37% sur la période 2009-2011". Là déjà c'est fort. C'est fort de l'annoncer mais ce serait encore plus fort de le faire v-r-a-i-m-e-n-t …
  • Troisième info : "Plusieurs centaines de millions d'euros" seront affectés au grand jeu concours des universités (les fameux 10 projets d'excellence sélectionnés par son excellence le ministère)
  • Quatrième info : 750 millions d'euros (en plus du "plan campus de 5 milliards d'euros" …) d'investissement supplémentaire dégagés au titre du "plan de relance" en 2009, pour financer et rénover des "équipements universitaires". Sans rire il a vraiment dit ça. Si si. J'vous jure. Je reformule pour être sur que tout le monde suit : comme c'est la crise et que plus personne n'a de thunes, on va en prendre un peu (des thunes …) dans le vrai-faux argent du plan de relance. Je reformule encore ? Et ben c'est un double-saut périlleux virtuel de la pensée : on prend de l'argent qu'on n'a pas, dans le plan de relance qui est financé par de l'argent que l'on aura peut-être, le jour où les banques se seront relancées avec l'argent qu'elles n'ont plus. C'est clair non ? 
  • Cinquième info : il (= magic nicolas) va aussi mettre 250 millions d'euros (sur les trois prochains exercices budgétaires = sur 3 ans) pour la revalorisation des salaires des enseignants-chercheurs.
  • Sixième info : ces 250 millions d'euros viendront "en sus des 800 millions d'euros" que les mêmes enseignants-chercheurs percevront, "au titre des mesures de revalorisation générale de la fonction publique."

Bon. Et maintenant les comptes :
               1 326 000 000 (argent pour les étudiants)
            + plusieurs centaines de millions d'euros (pour les 10 projets retenus)
            + 750 000 000 (investissement)
            + 5 000 000 000 (plan campus)
            + 250 000 000 (revalorisation)
            + 800 000 000 (revalorisation fonction publique)
            —————————————————————–
            = 8 126 000 000.

8 milliards et 126 millions d'euros (et encore je vous ai fait cadeau des "plusieurs centaines de millions d'euros vu que je savais pas combien en mettre … mais on doit pas être loin des 9 milliards …)".
8 milliards rien que pour nous. Rien que pour les universités. Champagne. Il est comme ça Nicolas : donnez-lui une crise mondiale et un quart-d'heure, et hophophop, il vous trouve 8 milliards d'euros pour l'université. Bizarrement, les pauvres tâcherons incultes qui dirigent les universités ne trouvent pas les mêmes chiffres … mais qu'importe. Ils passent également moins bien à la télé. 
Voilà pour la moitié du discours. L'autre moitié se décompose entre :

  • un discours nauséeux et poujadiste sur "ces universités et ces chercheurs qui évaluent aux-même leur performance", ces chercheurs français "statutaires" qui sont "plus nombreux que leurs homologues britanniques" mais "qui publient moitié moins". Feignasses. Et pour ce qui est des prix nobel, médaille Fields et autres champs d'excellence, ce sont "les arbres qui cachent la forêt."
  • une apologie de la recherche privée ("la recherche privée doit se développer de manière massive.")

A suivre … Le feu au poudre – épisode 5 : bientôt le 2 Février 2008 sur vos écrans dans vos universités.

<Update du surlendemain> Voir la réaction toute en sobriété du collectif Sauvons la Recherche :

  • "Nicolas Sarkozy, comme à son habitude, fonde son projet
    sur un diagnostic totalement mensonger qu’il habille des atours de
    l’évidence. La France nous dit-il, serait à la traîne en matière de
    recherche et d’enseignement supérieur et ce, en dépit des sommes
    formidables qui lui seraient consacrées. La raison de cet échec
    tiendrait à la vétusté de ses institutions et au conservatisme de ses
    personnels installés dans le confort de la fonction publique. Faut-il
    rappeler une fois encore que la France occupe une place tout à fait
    honorable dans la recherche internationale, notamment au regard des
    faibles moyens qui lui sont consacrés ? (sur ce point voir Le budget de de l’enseignement supérieur et de la recherche raconté à Sarkozy
    chapitre 9). Faut-il rappeler que l’université a vu en une génération
    ses effectifs doubler, sans que les moyens ne suivent, ce qui n’a pu se
    faire sans une certaine capacité d’adaptation de ses structures et de
    ses personnels ? (…) A un moment où les universités sont en ébullition du
    fait de la mise en place des réformes liées à la loi LRU (réforme des
    statuts des enseignants-chercheurs, mastérisation) le Président de la
    République se propose donc d’ouvrir un autre front en annonçant la
    disparition programmée d’un système de recherche qui a offert au pays
    une bonne partie de ses succès industriels, d’un système d’enseignement
    supérieur qui a contribué à une forme d’égalité républicaine. Face à
    cette nouvelle provocation d’un Président qui annonce avec un plaisir
    presque gourmand son intention d’en découdre, il ne faut pas en
    douter : nous saurons répondre présents et nous montrer à la hauteur de
    ses espérances dans nos réponses à sa volonté de mise en coupe de notre
    système d’enseignement supérieur et de recherche.
    "

<Update de je sais pas combien de jours plus tard>

LA réponse de Sauvons la Recherche. Point par point.

</Update>

(Source : Merci à une collègue pour le lien vers l'article de Sylvestre Huet // Temps de rédaction de ce billet : 2h00)

7 commentaires pour “Les 8 milliards de Nicolas pour la recherche (le feu aux poudres – épisode 4)

  1. Ma modeste contibution en réponse à la prose présidentielle :
    « C’est consternant mais ce sera la première fois qu’une telle évaluation sera conduite dans nos universités. (…) S’il n’y a pas d’évaluation, il n’y a pas de performance. »
    Donc d’après lui : pas d’évaluation => pas de performance.
    Or, toujours d’après lui, on n’est pas évalué
    Donc … les chercheurs sont des quiches. Ça commence fort !
    « La recherche sans évaluation, cela pose un problème. »
    Et le reviewing par les pairs, c’est du poulet rôti ?
    Et les dossiers à monter pour avoir des financements c’est du pâté en croûte ?
    Et les dossiers pour les primes et promotions c’est du pipeau ?

    « Quant aux dépenses de recherche et développement, elles ont commencé à remonter à 2,16 % du PIB en 2008 après avoir chuté jusqu’à 2,12 % en 2007. »
    Alors que le PIB a moins augmenté que prévu, les dépenses de R&D ont augmenté de _seulement_ 0.04 point.
    Pas de souci pour atteindre son objectif de 3% du PIB en 2012 !
    « Le Crédit Impôt Recherche (…) système fiscal en faveur de la recherche le plus attractif au monde, au monde. »
    Quand l’idée vient de lui (augmenter le CIR) et qu’on est les seuls au monde à le faire, c’est formidable.
    Quand l’idée le dérange et qu’on est les seuls au monde à le faire, ça veut dire qu’il faut se remettre en question… (par exemple « Nulle part dans les grands pays, sauf chez nous, on n’observe que des organismes de recherche sont à la fois opérateurs et agences de moyens à la fois, acteurs et évaluateurs de leur propre action. » ou encore « Il n’y a pas un seul exemple à travers le monde, de grandes universités qui ne soient autonomes. »)
    Pour rappel « S’il n’y a pas d’évaluation, il n’y a pas de performance » , le CIR n’est pas évalué…
    « Certes nos meilleurs chercheurs obtiennent des récompenses prestigieuses : un prix Nobel et un prix Turing l’année dernière, deux prix Nobel cette année. Nous avons des domaines d’excellence reconnus et enviés dans le monde entier, mathématiques, physique et aux sciences de l’ingénieur. Mais ces admirables chercheurs et ces points forts – j’ose le dire – ne sont-ils pas l’arbre qui cache la forêt ? Ne servent-ils pas parfois d’alibi aux conservateurs de tous poils »
    Donc en gros à part 4-5 gars qui valent le coût, les autres sont des tocards.
    On a quand même un certain nombre de domaines d’excellence et ce malgré le fait “qu’il n’y a pas d’évaluation”, qu’on soit dans un système “infantilisant, paralysant pour la créativité et l’innovation” et malgré les agences, instituts, organismes qui “diluent les moyens, les responsabilités, tirent chacun à hue et à dia, et gaspillent temps et argent”.
    Bref, je suis perdu, alors on est bons ou on est des tocards ?
    « Nous restons largement derrière l’Allemagne et la Grande Bretagne pour ce qui est de la part des publications scientifiques françaises dans le monde, – je ne parle pas bien sûr des États-Unis, du Japon et maintenant de la Chine, qui prend son envol. »
    L’Allemagne, les É-U et le Japon dépensent plus en R&D que nous… pas la GB c’est vrai.
    Le nombre supérieur de publications peut être dû à la façon de les compter. Par exemple ISI qui s’intéresse principalement aux publications anglophones. Or en droit ou sciences humaines, les recherches concernent plutôt la France et sont donc plutôt publiées en français et donc non décomptées par ISI.
    « Un chercheur français publie de 30 à 50% en moins qu’un chercheur britannique dans certains secteurs. »
    Ma main à couper que, si c’est vrai, c’est dans les domaines que je viens de citer.
    Au passage c’est toujours facile de sortir le point où on est moins bon et de le mettre en exergue après avoir plus ou moins ignoré les “domaines d’excellence”.
    « La valorisation et les transferts de technologie de la recherche vers les entreprises donnent en France (…) des résultats médiocres »
    Ah ? Le Crédit impôt recherche ne fonctionne pas ?
    « C’est en France que la part du privé dans le financement de la recherche est, de loin, la plus faible de tous les pays comparables et tenez-vous bien cela s’aggrave car ces dernières années cela à tendance à diminuer. »
    Pendant que le CIR a augmenté… de là à dire que ça ne marche vraiment pas…
    « Nous avons poussé les incitations fiscales au maximum avec le crédit impôt recherche à 30%. C’était nécessaire, mais il faut aller plus loin pour susciter une recherche privée de qualité »
    Ah … conclusion bizarre. Les dépenses de recherche diminuent, alors qu’on a augmenté le CIR mais faut continuer à l’augmenter. D’après lui “Il n’y a aucun domaine où on vous dit on a trop de moyens”, si si : le CIR.
    « C’est dans les pays où les financements privés de la recherche sont les plus importants que les prix Nobel sont les plus nombreux et la recherche fondamentale la plus féconde »
    En temps de crise, il serait intéressant de savoir ce que deviennent ces financements…
    Et si on prend l’université de Berkeley, plus de 50% de son budget vient de l’état de Californie ou de l’état fédéral, ça représente plus de 800 millions de $ (on est loin d’avoir un financement public aussi élevé pour une université !).
    « le prix Nobel Albert Fert, symbole du mariage même de la recherche fondamentale du plus haut niveau et de l’innovation la plus performante. »
    Le même Albert Fert qui avait déclaré qu’avec une politique de financements sur projets (comme c’est le cas de plus en plus), il aurait pu s’asseoir sur ses recherches sur la magnéto-résistance géante (il l’avait évidemment mieux dit !).
    « Le risque n’est pas dans le mouvement dès lors que les réformes sont cohérentes et s’articulent autour d’une stratégie. Le risque est dans l’immobilisme. »
    Quand la stratégie c’est la privatisation des services publics à tout prix (hôpital, universités, Poste, enseignement bientôt ?), c’est bien un risque.
    « D’ailleurs c’est amusant, ceux qui me disent “cela va trop vite, il faut arrêter” ne contestent pas qu’il y ait des problèmes. »
    Ce n’est pas « cela va trop vite, il faut arrêter » mais « c’est n’importe quoi, il faut arrêter » ou éventuellement « et si on réfléchissait, avant ? ».
    Ce n’est pas parce qu’il y a un problème que toute solution est bonne à prendre…
    « Publication des résultats, fuite de nos meilleurs chercheurs, fuite des cerveaux. »
    C’est pas en supprimant des postes à l’université, au CNRS et des postes de post-docs qu’on va arrêter la fuite…
    « Et personne ne peut dire que l’on fait cette réforme pour faire des économies puisque nous mettons de l’argent en plus »
    L’argent en plus c’est du vent (compétences transférées de l’État aux universités, par exemple).
    Et si la suppression des postes (évoquée au dessus) c’est pas pour faire des économies faut m’expliquer à quoi ça sert alors.

  2. Laurent> Oui …
    Kelux> Merci de cette analyse. Le “discours du chef” vaudrait effectivement la peine d’être décortiqué en détail en y apportant un contre-argumentaire détaillé. Merci d’avoir commencé à le faire.

  3. Merci pour cet article, et merci kelux pour cette analyse point par point du discours de Sarkozy que j’ai trouvé très éprouvant à écouter pour ma part. Je crois que Sauvons La Recherche prépare aussi une réponse point par point à ce discours, consultez régulièrement leur site.
    Pour ceux qui ne veulent pas se fader d’écouter Sarkozy, je voulais vous signaler un succédané, cet article d’Annie Kahn publié dans Le Monde, dans lequel on voit comment le travail journalistique peut devenir propagande complaisante: http://www.lemonde.fr/planete/article/2009/01/23/des-pistes-pour-valoriser-la-recherche-francaise_1145536_3244.html#ens_id=1145216

  4. Sabine>Merci pour le lien vers cet article du monde qui est effectivement d’une rare complaisance : aucune distance critique, reprise des arguments d’un seul camp, bref, “La voix de son maître.”

  5. Je ne suis pas chercheur mais je tiens à vous dire mon entier soutien. Voir un analphabète comme Sarkozy venir faire la leçon aux scientifiques (il avait procédé de la même manière il y a peu avec les psychiatres, voir son discours à l’hôpital d’Antony en décembre dernier) sans laisser à ceux-ci le moindre droit de réponse, cela m’accable… Avec à la clé les mensonges et l’argumentaire à deux sous habituels. Et la position de pouvoir qui semble donner tous les droits, à commencer par celui du monopole de la parole – parole qui seule relayée par des médias complaisants devient dans l’espace public vérité attestée. Qu’est devenu ce pays pour qu’il laisse ainsi des rustres, selon leur bon plaisir, maltraiter injustement son élite?

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