Les universitaires devraient blogguer

C’est le titre du dernier billet d’Henry Jenkins. Il fait écho à un article du même Jenkins dans le Chronicle of Higher Education, cette fois intitulé "Public Intellectuals in the new-media landscape." Le billet de Jenkins est un plaidoyer invitant les universitaires à se saisir pleinement de l’opportunité que représentent les blogs en tant qu’espace de parole publique "académique". Voilà déjà longtemps que Jenkins défend le modèle d’une université permettant "le déploiement rapide d’expertises dispersées et la reconfiguration des champs" (pour plus de détails, voir ce billet). Il revient cette fois sur les initiatives prises dans "son" département (Comparative Media Studies) du MIT :

Bref, une vision communiste ouverte et transparente de l’université. Il revient ensuite en détail sur les intérêts que présente cette approche et le fait de tenir des blogs :

  • pour les actuels étudiants en thèse, c’est un excellent exercice d’écriture, l’occasion d’avoir du feedback au-delà du simple avis de leur directeur de thèse ou de leurs collègues de labo, l’occasion également de bâtir leur réputation "especially in cutting-edge fields that lack established authorities." Il revient également sur l’intérêt que j’avais moi-même (avec d’autres) souligné à plusieurs reprises, c’est à dire, au-delà de l’intérêt des publications académiques (articles scientifiques), l’occasion de "trouver le moyen de traduire ses idées dans un discours citoyen qui puisse être entendu et compris au-delà des barrières disciplinaires et auprès d’une audience plus diverse."
  • pour les futurs étudiants, Jenkins indique qu’un nombre croissant des actuels étudiants du MIT sont d’anciens lecteurs des différents blogs existants. Du coup, ils entrent en thèse avec une meilleure compréhension des problématiques traitées, et une vision beaucoup plus "fine" de la recherche, de ses résultats et de ses protocoles. Autant de temps gagné pour l’intégration dans un programme de recherche et l’avancée dudit programme.
  • pour les anciens étudiants, ce suivi des blogs est le meilleur moyen de mettre en place de manière pragmatique et efficiente la notion d’apprentissage tout au long de la vie. C’est également l’occasion d’un feedback intéressant en provenance des blogs d’anciens qui occupent désormais différents postes dans l’industrie
  • pour les enseignants, Jenkins rappelle l’extraordinaire opportunité que les blogs représentent pour construire et développer un collège qui n’est plus totalement invisible, mais bel et bien impliqué, mobilisé, actif, sur différents sujets de recherche, via des logiques de travail coopératif (il prend l’exemple d’un travail à plusieurs mains réunissant une trentaine d’universitaires via un document partagé dans GoogleDocs), ou via une simple interaction rendue possible par les commentaires des billets de blogs. Là encore, cela permet de bâtir une réputation qui peut être utilisée à des fins de plan de carrière ou plus prosaïquement attester d’une reconnaissance qui fait toujours plaisir.
  • pour les médias : tenir un blog est une manière d’être proactif et non plus simplement réactif, c’est à dire attendant d’être interviewé par un journaliste pour avoir l’occasion de parler de ses thématiques de recherche d’une manière "grand public".
  • pour le grand public : "Notre société est entrée dans une phase de profond et durable bouleversement du paysage médiatique, un bouleversement qui impacte tous les aspects de nos vies. (…) En tant qu’honnêtes fournisseurs d’information ("honest brokers of information"), les universitaires sont idéalement placés pour pouvoir relier et relayer ces conversations spécialisées (to bridge these more specialized conversations)."

Je sais pas vous mais moi je trouve qu’il a tout bon cet Henry Jenkins du MIT 🙂

(Temps de rédaction de ce billet : 1h30)

19 commentaires pour “Les universitaires devraient blogguer

  1. Tout bon ? C’est sans doute une excellente théorie qui oublie certains principes :
    – pour bloguer efficacement il faut du temps, du matériel et un peu d’expérience (ou de formation).
    – bloguer des contenus pédagogiques ou scientifiques pose nécessairement plusieurs types de problématiques : celle du référencement, de l’appartenance à une institution ou à un établissement universitaire, celle du plagiat, celle de la validité des contenus (ou bien encore de l’identité numérique).
    En fait avant de se lancer dans la passionnante aventure du blog certains auraient bien besoin de passer par d’autres étapes tout aussi indispensables :
    1- se servir du mail universitaire qui est mis à leur disposition pour contacter leur enseignants ou pour répondre à leurs étudiants
    2- se servir des outils mis à leur disposition par l’institution pour l’apprentissage des cours en ligne (moodle…)
    3- être sensibilisés à la question de leur identité en ligne : combien d’enseignants ne remplissent pas leur fiche profil sur les pages internet de leur université et de leur laboratoire ?
    Bref, les universités manquent sans aucun doute d’évangélisateurs en numérique. Car le potentiel est énorme (en cela je rejoins Henry Jenkins) mais pour le moment le gâchis est énorme et le travaille de défrichage titanesque. 😉

  2. Manuel> houlà … quel pessimisme … on dirait moi 😉
    Je crois qu’il y a quand même des choses qui bougent, et que la blogosphère scientifique francophone dispose de quelques intéressantes locomotives (Jean Véronis, André Gunthert …)
    Sur le reste :
    “- pour bloguer efficacement il faut du temps, du matériel et un peu d’expérience (ou de formation). ” Matériel : NON. Expérience : vient en marchant. Formation : OUI.
    – sur les problématiques (référencement, appartenance institutionnelle …) certes, mais si on les pose comme pré-requis, on va pas avancer très vite … J’attends encore que le service comm de l’université de Nantes me propose d’héberger mon blog (pas sur d’ailleurs que je serai d’accord), ou de prendre en charge mes frais dh’ébergement en échange – par exemple – de l’affichage du bandeau officiel de l’université sur ma page d’accueil …
    – sur Moodle : c’est clairement (même pour les gens de bonne volonté) une usine à gaz. Lourd, beaucoup trop compliqué et trop riche en fonctionnalités. Back to basics.
    Sur le manque d’évangélisateurs : OK, OK et OK. Là encore j’attends la nomination sur l’unviersité de nantes d’un évangélisateur NTIC 🙂

  3. Salut Olivier,
    Merci pour ce signalement que je me suis empressé de faire suivre en interne.
    J’ajouterai juste que les universitaires en sciences de l’info devraient montrer l’exemple. J’imagine que tu es d’accord ;-).

  4. JMS> farpaitement 🙂 J’ajoute que ce qui serait intéressant, ce serait d’avoir une vue un peu globale de la perception que les universitaires “non-bloggueurs” ont des universitaires “blogueurs”, en commençant peut-être par les sciences de l’info (histoire d’analyser par exemple les facteurs bloquant). Ca pourrait faire un sujet de mémoire sympa non ?

  5. Salut Olivier,
    bien entendu je ne parlais pas uniquement de l’université de Nantes, le fait est que je n’y travaille plus. Le constat que je dresse est aisement généralisable.
    Les quelques belles locomotives dont disposent l’enseignement supérieur français ne doivent pas nous faire oublier que la majorité roule encore en pirogue.
    On devrait confier à un doctorant l’analyse des étapes logiques qui mènent à la création d’un blog dans le cadre universitaire. ça serait drôlement intéressant.
    Quant à l’association université/blogueur, je crois que je travaille sur qqch qui pourra t’intéresser 😉
    A+

  6. Salut Olivier,
    Je me permet de rajouter que l’outil qu’est le blog apporte a aussi son interêt pour le personnel administratif et technique (les grands oubliés du monde universitaire)
    Pour les administratifs, il s’agit d’un excellent moyen de montrer l’envers du décor et mettre en avant les difficultés que rencontres les “petites mains”. Pour les administratifs il s’agit aussi d’un outil de communication comme peut déjà l’être les pages d’informations disponibles sur les sites institutionnels, mais moins encadré, plus léger que le site web de l’institution.
    Pour les personnels techniques, je pense tout particulièrement aux personnels informatiques. En effet l’université est un excellent pôle de test et d’expérimentation. Les universités ne sont pas particulièrement riches et nous (puisque j’en fais partie) devons chercher la meilleure solution aux différents besoins pour faire avec les moyens du bord. Le plus souvent cela se traduit en developpant ou adaptant des logiciels libres ou en mettant en place des solutions plus ou moins ingénieuses et originales répondant à des besoins que toutes les universités rencontrent. Le blog intervient ici dans le partage de ces compétences. Il est bien connu que le monde de la recherche aime se réunir lors de conférences mais il est plus rare pour le personnel informatique de participer à ce genre de rencontres. Sa communication est souvent essentiellement web: documentations, forums… et blog.
    Avant de terminer, je voudrais rejoindre Manuel concernant la maitrise des autres outils mis à disposition avant de pouvoir s’étaler sur un blog. Les gens qui ne maitrisent pas ces outils sont souvent ceux qui sont refractaire à ces nouveaux moyens de communications. Le blog n’est au final qu’une brique de plus, et peut-être la pire: Elle n’est plus soumise aux règles encadrant les publications traditionnelles: Au placard la rigueur scientifique des thèses, au revoir la bibliographie des papiers qui ne sont de toute facon même pas publics. Personne ne reprochera ce manque à l’auteur du blog. J’ai failli oublier le plus important: le blog est public et il n’y a plus aucun moyen de controler l’information qui y est diffusée. J’en reviens d’ailleurs à Moodle. C’est justement ce qui fait le plus peur dans les plateforme d’enseignement web: la mise à disposition électronique de l’enseignement. De nombreux enseignants refusent que “leur” cours soit diffusable.
    Après tout, l’intêret du blog n’est qu’une question de mentalité:
    – Celle des auteurs potentiel: “ah, enfin un moyen d’avoir un site web facilement utilisable pour parler de ce que je fais” “ah non, hors de question que je parle de ma recherche hors des publications! on va me voler” ou “j’ai pas le temps”
    – Celle du public “Sympa de suivre ses profs en “off” et de voir comment le chercheur travaille” “on voit déjà le prof en cours, ca suffit”.
    Et cela n’est pas vraiment dépendant du domaine, que cela soit universitaire ou autre.
    PS: Au sujet des NTIC à l’Université de Nantes, on est pas à plaindre, bien au contraire!

  7. Arnaud> Merci de rappeler effectivement la place des personnels administratifs et techniques. Cependant, je suis à leur sujet beaucoup plus pessimiste : la raison est qu’ils sont inscrits dans une hiérarchie avec de réels enjeux de pouvoir et de contraintes, ce qui n’est pas le cas des enseignants-chercheurs, qui, quoi qu’ils puissent dire ou écrire (dans la limite du raisonnable …) ne s’exposent à aucune sanction administrative ou disciplinaire. Je crains que cette barrière hiérarchique ne soit hélas un frein très durable à l’entrée de ces personnels dans la blogosphère. Ou alors, cette entrée se fera en interne, dans une logique par exemple d’Intranet, mais la liberté de parole et d’exposition sera nécessairement moindre.
    Tout cela pour dire que j’adorerais pouvoir suivre les réflexions de ces personnels sans lesquels nos universités de seraient que des coquilles vides et inopérantes. J’attends donc avec impatience l’adresse de votre blog 😉
    Je suis en revanche en parfait désaccord avec votre opinion sur les blogs (manque de rigueur et absence de moyen de contrôle). Si vous me permettez de vous taquiner, je voie derrière cette dernière remarque (absenced e moyens de contrôle) un vieux réflexe culturel de l’informaticien à l’université : tout ce qui n’est pas sous son contrôle est suspect … Je croie tout au contraire que c’est en “ouvrant” les systèmes informatiques que l’on fait réellement progresser l’ensemble d’un établissement. Bien sur cela passe par une prise de risque (informatique), mais cela permet de gagner un temps précieux (et de toute façon, tous les systèmes trop fermés finissent toujours par être détournés ou contournés : à titre d’exemple, j’ai bataillé pendant deux ans pour pouvoir mettre en place une plate-forme de blogs qui puisse être accessible de l’intérieur du réseau de l’université mais aussi de l’extérieur : j’y ai finalement renoncé et j’ai mis en place sous wordpress notamment ce dont j’avais besoin pour mon métier d’enseignant-chercheur). Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguité dans mes propos, ce ne sont pas les services informatiques que je critique mais plutôt la paranoïa bureaucratique qui les oblige à appliquer des normes inapplicables.
    Pour le reste de votre commentaire, d’accord avec vous : c’est avant tout une question de mentalités. Mais les mentalités s’éduquent 🙂

  8. “Quant à l’association université/blogueur, je crois que je travaille sur qqch qui pourra t’intéresser ;-)”
    Manuel, tu en as trop dit ou pas assez !! 😉

  9. Olivier>Je me suis peut-être mal exprimé, mais je suis aussi pour la libre expression sur les blogs universitaire. Je décrivais en fait la mentalité de certains chercheur vis-à-vis de cette liberté.
    Pour mon blog, j’en ai déjà un, non affilié à l’université mais relatif à ce que je fais (http://blog.devnull.fr). Je manque juste de temps pour déployer la plateforme (dotclear2, surement) et il faudra ensuite que j’arrive à “vendre” l’idée au dessus de moi. C’est alors que je deguainerais ce post 😉

  10. Enseignement/Recherche (10/04/08)

    – A Look at Online Orientations
    (source: Inside Higher Ed, 08/04/08)
    – SCOAP3: A New Model for Scholarly Communication
    (source: ARL, 08/04/08)
    The Association of Research Libraries (ARL) has published an online preprint essay by Ivy Anderson, Dir…

  11. Un forum blogueurs scientifiques à Paris ? C’est une date à noter dans les agendas 🙂
    Concernant les blogs sciences, le portail que je webmasterise a publié dernièrement le compte-rendu d’une table ronde sur le sujet, qui a été présentée lors du colloque “Culture, Langue et Science” à Paris en novembre dernier. Un peu de lecture à cette adresse :
    http://www.spectrosciences.com/spip.php?article90

  12. Je n’appartiens pas au monde de l’université et je suis surpris par le dogmatisme de certaines personnes qui interviennent ici pour déclarer doctement qu’avant de bloguer, il faut déjà savoir utiliser le mail universitaire et autres outils dont peu de personnes se saisissent spontanément. Ce type de raisonnement ne me semble pas judicieux car le blog a été créé après tous ces outils et il apporte des services différents et plus performants tant pour le rédacteur que pour le lecteur. Mais le vrai problème vient de la difficulté pour se séparer du support papier. Les logiciels de traitement de texte sont clairement orientés vers la production de document qui seront imprimés in fine. L’informatique offre pourtant une richesse que le papier n’atteindra jamais car elle permet de trouver rapidement les informations, d’utiliser des liens hypertextes (les notes de bas de page ont-elles encore un sens si on peut créer un lien qui pointe vers le document en référence?), d’insérer des contenus multimédias…
    Je pense que si l’université française n’a toujours pas compris l’importance de l’informatique, des blogs et des nouvelles façons de traiter l’information, d’autres universités l’ont déjà fait et elles occuperont sans aucun doute une position dominante dans un monde de plus en plus mondialisé 🙂 Si je peux vous donner un conseil, c’est bien celui de ne pas trop perdre de temps dans des discussions d’arrière garde parce que pendant ce temps là, d’autres avancent. Il est temps de changer de système.

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