Kindle Surprise

Donc voilà. Le Kindle (e-reader liseuse) d’Amazon sera lancé officiellement lundi prochain. Ce qui, à la différence du titre de ce billet, n’est pas vraiment une surprise. Le blog Engadget fut le premier à le chroniquer le 11 Septembre 2006. Un an plus tard, le marché du livre et ses circuits de distribution ont connu de sérieux bouleversements, et les usages de lecture numérique ont mûri en même temps que les technologies les accompagnant. Comme mes collèges bloggueurs ont déjà fait le boulot – et autant vous le dire tout de suite, ils sont loin d’être enthousiastes – je vais tout simplement me contenter de piller leurs billets pour vous indiquer que le Kindle :

  • sera cher : 400 $. Cette barrière à l’entrée constitue à mon sens un sérieux frein au déploiement réellement grand public de ce que Jeff Bezos n’hésite pas à désigner comme le "livre 2.0". En l’état, on en est encore au lecteur électronique à deux zéros à la fin du chèque.
  • que le Kindle permettra d’accéder d’entrée à un catalogue entre 88 000 et 90 000 ouvrages. Sur la nature desdits ouvrages (livres "utilitaires" – cuisine, bricolage – livres "fonctionnels" – manuels scolaires et universitaires – livres "tout court" …) je n’ai en revanche rien trouvé.
  • qu’il en coûtera 9,99 $ pour télécharger un livre. Ce qui fait dire à certains qu’Amazon vient de fixer le prix maximum (unique ?) du livre électronique, comme Apple l’avait fait en son temps pour les morceaux de musique avec l’IPod.
  • qu’il utilisera une technologie d’accès pour l’instant payante (mais annoncée comme bientôt gratuite) via Whispernet, un réseau à haut débit lié à Sprint, permettant de se connecter et de télécharger directement les livres sur le site d’Amazon, sans passer nécessairement par des spots Wifi et assurant au Kindle une couverture plus large (cf plus bas)
  • que le Kindle ne permettra pas seulement d’acheter des livres, mais aussi de télécharger et de lire directement la presse (NYTimes, Le Monde, WSJournal) ainsi que différents blogs, moyennant finance. Une réintermédiation à la hussarde qui risque de déclencher quelques couinements.
  • que le Kindle est très bien positionné en terme de "service". Qu’en revanche, côté design et ergonomie, il semble dépassé avant même sa sortie, même si l’essentiel technologique est là (e-ink <Update> finalement il y aurait bien innovation de ce côté là </Update>, autonomie, capacité de stockage)
  • que le Kindle est plein de DRM et qu’il est centré sur le format Mobipocket (firme rachetée par Amazon) et qu’il ne reconnaît même pas le .pdf
  • que dixit Jeff Bezos "Les livres sont archivés sur le serveur d’Amazon; si vous les perdez vous pouvez les télécharger gratuitement." Tiens, ne serait-on pas en train de nous refaire le coup de la "location" déguisée en "acte d’achat"
  • que dixit le même : "Au lieu de faire des achats depuis votre PC, vous
    le faites depuis l’appareil. Le contenu est délivré très simplement.
    Nous avons décidé d’utiliser EVDO au lieu de Wi-Fi qui nécessite des
    Hotspots. Nous avons créé Amazon WhisperNet qui permettra d’utiliser le
    réseau EVDO sans aucun engagement ni paiement.
    Le jour où notre disque dur aura disparu se rapproche … comme disait l’autre.
  • que le Kindle est lié à une place de marché (LE coeur d’activité d’Amazon) et que les utilisateurs du Kindle pourront gentiment envoyer leurs documents Word et le vendre directement sur ladite place de marché. Donc, ce que le Kindle révolutionne d’abord, c’est le secteur de l’édition au moins autant que celui de la diffusion (si tant est que ces deux secteurs là puissent se penser dans l’ignorance l’un de l’autre)

Donc ?

Donc comme le souligne Francis Pisani, les lignes (numériques) vont bouger et cette Kindle surprise va obliger les concurrents à se positionner très rapidement sur ce secteur, et au jeu de la concurrence, Apple et son IPod sont bien placés. Du coup, les coûts pour le consommateur devraient être revus à la baisse, mais surtout, s-u-r-t-o-u-t, loin d’être l’affrontement de deux liseuses, de deux gadgets technologiques, cela s’annonce comme l’affrontement de deux places de marché. Amazon a défini la stratégie de la sienne (devenez votre propre éditeur) avec pour le reste encore une zone de flou sur les titres qui seront disponibles au catalogue. Il faudra voir quelle sera la réponse d’Apple.

Et puis un pressentiment … ce genre de places de marché préemptées par des géants comme Amazon pourraient tirer le meilleur parti d’une économie de la recommandation dans laquelle les certains réseaux sociaux pourraient peut-être (enfin) trouver une juste place de prescripteur.

Et puis enfin, on ne saurait mesurer toute l’ampleur de la Kindle surprise sans prendre connaissance des billets de François Bon qui n’a pas envie du livre numérique, et de Jean-Michel Salaun chez qui le livre fait de la résistance, parce que … tout est une question de temps.
Mon avis ? Ce système de place de marché (la vraie Kindle surprise donc), en unifiant les temporalités jadis si
nécessairement distinctes de la lecture, de l’écriture, de la diffusion, de l’accès,
de l’achat et de la simple consultation, "incarne" au sens propre ce
qu’est (peut-être) le vrai livre numérique. Un livre qui n’en est pas un. De fait,
la problématique tant vantée du "livre numérique" est renvoyée à sa
triste condition de simple support. En revanche la centralisation,
l’unification des flux de production et de réception d’écrits
numériques par le biais d’un dispositif technique (le Kindle ou un
autre), voilà peut-être la bonne définition du "livre 2.0".
Le livre est une temporalité et une totalité, l’envers et
l’endroit indissociables d’un dispositif et d’un contenu. Le Kindle est une clé de lecture instantannée. Une clé de lecture"s" au sens propre. Et une clé de lecture au sens figuré, c’est à dire qu’il permet de mieux entrer dans les logiques de nos lendemains numériques. Dans le
Kindle, comme dans un trousseau de clés, tout est dissociable, segmentable. Et c’est précisément cela qui intéresse Amazon.

<Update de 5 minutes plus tard> Et ben voilà. J’étais super content de mon joli titre. Et paf. En relevant mon agrégateur voilà-t-y pas que Virginie Clayssen l’avait trouvé avant moi, et avec une splendide illustration en plus. </Update>

(Sources : Principalement Francis Pisani, Francis Pisani encore, LaFeuille, Techcrunch-fr et Techcrunch.com, Nicolas Morin, FredCavazza, Hervé Bienvault ainsi que les autres sources sous les liens)

Un commentaire pour “Kindle Surprise

  1. Un truc à éclaircir rapidement : Whispernet, c’est juste permis ou bien carrément obligé, pour acheter un livre ?
    Quelque chose me dit que l’utilisation de ce réseau est en réalité une façon de sécuriser les livres, en interdisant le transit des fichiers sur le PC.
    De là à dire que le pavé numérique sert à saisir son numéro de carte bleue.
    Enfin perso, je ne vois pas de rapport évident entre la ‘chose’ et les pratiques de lecture des ressources numériques, telles qu’elles existent aujourd’hui.
    C’est un énième avatar de l’effet diligence du livre.

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