La politique est-elle soluble dans l’algorithmie ?

Un moteur de recherche a-t-il une opinion politique ? Voilà qui ferait un joli sujet de partiel pour mes étudiants (actuellement en vacances). L’une des premières clefs pour répondre à cette question est de regarder quels candidats/partis ledit moteur soutien majoritairement. Et de regarder également l’historique de ses cotisations de soutien. D’où il ressort rapidement que Google est de gauche. Enfin, de gauche américaine, c’est à dire démocrate. La preuve ?

  • En 2002 :
    • il n’était pas dans le top 20 des plus grosses entreprises informatiques finançant les partis politiques.
  • pour les élections de 2004, Google entre en 14ème position avec une donation répartie comme suit :
    • 251 679 $ dont 99% aux démocrates et … 1% aux républicains
    • Microsoft de son côté est classé 1er avec 3 319 715 $ de financement dont 62% aux démocrates et 38% aux républicains
  • pour les élections de 2006 il remonte à la 8ème place :
    • 288 487 $ de financement dont 91% aux démocrates et 9% aux républicains
    • (Microsoft, toujours premier avec 2 020 117 $ dont 56% aux démocrates et 43% aux républicains.)

Tous ces chiffres, et bien d’autres sont disponibles sur le site Opensecrets.org. Il y aurait énormément à dire sur l’analyse de ces quelques chiffres, avec une vue globale et une autre, détaillée, entreprise par entreprise. Mais ce n’est pas l’objet de ce billet. Signalons donc simplement (et rapidement) que Google est dans le top 10 des plus grosses sociétés informatiques avec une action de lobbying financier. Et que la couleur de ce lobbying politico-financier est clairement en faveur des démocrates (moindre mal ;-).
Par ces simples remarques, on atteint déjà ici un point central de la problématique de ces outils d’accès (et prétenduement "d’organisation") à l’information, lesquels outils – et les sociétés qui sont derrière – interfèrent dangeureusement avec la sphère de la vie publique et de la politique. Pour s’en convaincre, souvenez-vous par exemple des ravages anciens du GoogleBombing et corrélez cela à la couleur politique de ses anciennes "cibles" américaines … Mais ce n’est encore que du domaine de l’anecdote.

Et je repose donc ma question initiale : "Un moteur de recherche a-t-il une opinion politique ?". Etant désormais acquis qu’un moteur de recherche a une couleur politique, j’en pose une seconde : "Un moteur de recherche peut-il donner son avis sur des problèmes politiques comme ceux de l’immigration,  de la censure (Good bye Daniel …), de la sécurité nationale, etc. ?" Et bien je n’en sais rien, mais pour Google la réponse est clairement "oui", puisque c’est tout simplement la ligne éditoriale de son nouveau blog, "Google Public Policy Blog", lancé en Avril 2007. (Un lancement que Sergi me signalait hier en commentaire, et sur lequel Techcrunch revient aujourd’hui longuement.) Ooooh, rassurez-vous, pour l’instant rien de tonitruant ni de politiquement trop engagé. 13 billets publiés en 3 mois, dont l’essentiel sont là pour garder trace vidéo du passage de quelques "’politiques" par le GooglePlex. Mais tout de même, certains billets sortent déjà du lot comme celui dans lequel Google s’énerve contre la politique des visas de l’administration Bush, une politique revue à la baisse, qui ne permet plus à Google d’embaucher comme il le veut tous ces géniaux cerveaux non-américains qui frappent à sa porte. Bref, Google veut de l’immigration choisie, il en veut (beaucoup) plus, et il le dit.
Alors j’en voie dans le fond qui s’énervent et me reprochent encore ma paranoïa galopante et mon anti-américanisme primaire (à moins que ce ne soit ma paranoïa primaire et mon anti-américanisme galopant) :

  • "Béoui Google a une opinion politique, et alors ? Lagardère et Dassault aussi. Bé oui Google finance des partis politiques. Lagardère et Dassault aussi. Bé oui Google donne son avis sur la politique migratoire des Etats-Unis. Etc etc.

Certes … mais …

  • Le lobbying politique chez Google est tout sauf anecdotique
  • Google a des rêves de démesure qui sont … à sa démesure. Et qui rendent non pas simplement "possibles" mais "probables" les pires scénarios Orwelliens, au premier rang desquels celui de la prise de contrôle d’une
    centralisation du vote, par le biais des machines électroniques à voter
    .
  • Lagardère et Dassault possèdent certes des pans entiers de journaux, de groupes de presse,  d’acteurs télévisuels avec plein de temps de cerveau disponible à vendre (Good bye – bis – Daniel …) mais Lagardère et Dassault ne font que tenter de maîtriser à leur meilleur profit une "chaîne de production" de l’information, là où Google maîtrise tout un "écosystème" de valeurs, de produits et de services.
  • Pour le dire autrement – et plus simplement – Dassault et Lagardère seront toujours (enfin j’espère …) freinés par les "sociétés des rédacteurs" (du Monde, de Libé ou d’autres …). Google News ne possède pas de "société des rédacteurs".
  • Lagardère et Dassault tentent de mettre sous leur coupe des professionnels à fort pouvoir d’autonomie et de résistance (et de plus en plus souvent, hélas, ils y arrivent … Good bye – ter – Daniel …), Google a sous sa coupe des amateurs captifs qui sont le "produit" de l’écosystème qu’il (Google) génère.

Pour toutes ces raisons là et pour bien d’autres encore, TechCrunch a raison de titrer : "Google the Vote: How Google is Changing the American Political Landscape". Et nous avons probablement tort de ne pas être davantage paranos.
Google est sous nos yeux en train de bâtir son empire sur trois codes : il a le code algorithmique. Il aura bientôt le code génétique. Prenons bien garde de ne pas lui abandonner le code civil.

Update du lendemain : sur le même sujet, le billet de Francis Pisani

5 commentaires pour “La politique est-elle soluble dans l’algorithmie ?

  1. “Etant désormais acquis qu’un moteur de recherche a une couleur politique”. Ca ne me semble pas du tout acquis. Les dirigeants d’une société ne sont pas la même chose que la société elle-même, qui n’est pas la même chose que le produit qu’elle commercialise; ou: Brin & Page ne sont pas Google Inc, qui n’est pas le moteur Google.
    Un moteur de recherche a-t-il une opinion politique ? Je ne sais pas; formulé comme ça, ça fait penser aux années 1950, quand la 2CV était de droite, et la 4L de gauche.
    Par contre, un chercheur peut-il s’écarter d’une démarche de recherche pour faire de la politique? Certainement. Pas que ce soit condamnable, d’ailleurs, tant que c’est identifié comme tel.

  2. Nicolas> J’avoue que je trouve ton commentaire un peu “naïf” en indiquant que les dirigeants “ne sont pas” l’entreprise qui elle-même “n’est pas” le produit. A mon avis, ce genre de raisonnement est fallacieux à plus d’un titre (mais ce serait un peu long à détailler en commentaire …) ALors disons simplement les dirigeants et les majorités actionnariales “font” la politique du produit. Il n’est qu’à regarder ce qui se passe depuis quelques temps en France dans le domaine des médias (radio, télévision, presse) pour s’en convaincre. Je vais juste prendre un exemple : Alain Minc à la tête du directoire du Monde : cela n’en fait certes pas un journal “de droite” dénué de toute objectivité et vendu à l’idéologie néo-libérale, mais tu aurais mauvaise grâce soutenir mordicus que “l’angle” et le traitement de certains sujets sont totalement “coupés” et “indépendants” de la direction du Journal. Sinon d’ailleurs, à quoi servirait une direction 😉 ? En d’autres termes, je crois que ton raisonnement peut s’appliquer à un grand nombre d’entreprises et de groupes, mais que le même raisonnement cesse de s’appliquer dès que l’on entre dans la “médiasphère”.
    COncernant ton dernier paragraphe, je ne voie pas où tu veux en venir, sauf à indiquer que je m’écarte d’une démarche de recherche et d’observation, ce qui ne me semble pas être la cas (avec toute la souplesse que peut conférer à cette démarche le type d’écriture -non-scientifique- d’un blog)

  3. Bonjour Olivier,
    Ton billet me parait un peu naïf, décalé et anachronique.
    Naif, car toutes les grosses entreprises font de la politique, depuis toujours.
    Décalé, car il parait ignorer la culture américaine dans le domaine. La tradition américaine fait intervenir les grosses entreprises de façon beaucoup plus directe, transparente et massive qu’en France. Cela ne date pas d’hier : Ford, Rockfeller, etc. Les entreprises interviennent en politique, et parfois même font la politique, par ex dans les domaines de la culture et dans l’enseignement au travers des fondations. Je ne juge pas, cela a des avantages et des inconvénients, mais il faut faire attention à ne pas plaquer une réaction française sur une culture différente.
    Enfin anachronique, car, d’une part, je ne vois pas en quoi le poids des réseaux informatiques d’aujourd’hui serait moins crucial que le chemin de fer, la voiture, le pétrole, ou les télécoms d’hier ou d’avant-hier, largement aussi structurant pour les sociétés et forgeant aussi les consciences. D’autre part, c’est ignorer l’histoire des médias, et en particulier celle des journaux depuis le 19e siècle que de penser qu’il n’y a pas de liaison étroite entre cette industrie particulière et la grande.
    Donc Google fait de la politique, oui c’est intéressant à étudier, mais ce n’est pas un grand scoop !

  4. Jean-Michel> Bon, allons-y point par point 🙂
    – “naïf” : le fait que toutes les grosses entreprises fassent depuis toujours de la politique suffit-il à stopper toute réflexion sur les nouveaux entrants dans ce domaine et à poser la question de l’impact de cette entrée au regard de l’audience de ces mêmes nouveaux entrants, de leurs parts de marché, et de la “vision” du monde qu’ils mettent en avant ??
    – “Décalé” : admettons. Quoique … C’est d’ailleurs pour cela que je cite Lagardère et Dassault en exemple.
    – “anachronique” : il ne me semble pas avoir dit l’inverse de ce que tu expliques dans ton commentaire. Oui c’est “structurant”, oui c’est dans la continuité de “l’histoire des médias”, oui cette industrie particulière (le webmédia) est semblable à la “grande”. Or c’est précisément cette “chronique” de modèles de médias asymptotiques, et non un anachronisme qu’il ne me semble toujours pas avoir commis, qui me semble intéressante à étudier. Ni plus … mais surtout pas moins 🙂
    Dernier point, je n’ai jamais dit qu’il y avait un scoop caché dans ce billet 😉

  5. En disant que les dirigeants ne sont pas à eux seuls l’entreprise, je ne prétends pas que les dirigeants n’ont rien à voir avec l’entreprise. Ce serait une naïveté inverse de celle commise dans le post: j’attire juste l’attention sur le fait qu’on ne peut pas faire, purement et simplement, sans nuances, une équation Brin+Page = Google Inc. = Google. On ne peut donc pas dire “le moteur de recherche fait de la politique”, sauf à accepter des arguments purement rhétoriques qui relèvent de l’amalgame.
    Quant à mon dernier paragraphe, il vise en effet à signaler qu’à mon sens ce post s’écarte d’une “démarche de recherche” (scientifique); mais pas d’une “démarche d’observation” (politique ou citoyenne) – intéressant, d’ailleurs, de voir que la réponse “compacte” les 2 sous la formulation de “démarche de recherche et d’observation”.
    Enfin, je suis assez d’accord par ailleurs avec l’analyse de JMS, je dois dire. Et sur le dernier point en particulier je trouve la réponse peu convaincante: la crédibilité du propos n’est pas servie par la contradiction apparente entre un propos un peu outré (la “paranoïa” revendiquée) et la posture consistant à dire qu’il s’agit simplement d’une observation neutre, pas un scoop, juste l’observation d’un fait, etc…
    Bref, et pour nous résumer, il y a un peu trop de rhétorique dans ce post pour moi…

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