La science comme bien commun.

En ce moment même se tient à Washington une conférence traitant des "Science Commons", autrement dit de l’accès libre et ouvert aux données de la science (que d’aucun baptisent open data), ou encore du "bien commun" qu’est la science. Je vous encourage vivement à prendre connaissance de la page "background" qui nous alerte sur le fait que trois des acquis fondamentaux pour le développement de la science sont aujourd’hui fortement menacés :

  1. le droit de la propriété intellectuelle indique que, jusqu’ici … un article peut être couvert par un copyright, mais pas les données sur lesquelles il repose.
  2. des articles entrant dans le champ du copyright, s’ils sont produits dans le cadre d’un financement ou d’un programme du gouvernement fédéral tombent, jusqu’ici … aussitôt dans le domaine public
  3. la tradition universitaire Mertonnienne (sociologie des sciences) décourage, jusqu’ici … l’exploitation propriétaire des données elles-même, condition sine qua non d’une réplication possible (et donc d’une évaluation) des résultats produits.

Jusqu’ici … la même page cite ensuite en exemple des dérives à venir, le fait que dans le domaine de la génétique, nous sommes tout prêts de la mise en place d’un principe de propriété intellectuelle sur des données telles que l’ordre des nucléotide permettant de séquencer le génome.
Toujours sur la même page on pourra lire la dérive à laquelle se prêtent les universités prises dans une double contrainte :

  • "Universities then become partners in privatizing and
    exploiting the fruits of research. While this is a good idea when it
    encourages the conversion of science into useful products brought to
    market, it is much more questionable when the proprietary pressures
    occur "upstream" at the most fundamental level of data and research. At
    the same time, universities depend more and more on their intellectual
    property portfolios.
    "

Autre morceau choisi (concernant cette fois le "dilemme du prisonnier "des universités) :

  • "Many of the tendencies here involve both a collective action problem
    and a race to the bottom. Universities as a whole might be better off
    if more data were freely available. However, for an individual
    university to pursue such a policy alone is hard, and sometimes
    foolish: one is reluctant to give away that for which everyone else
    attempts to charge a high price.
    "

Sur ce débat, ce sont pour l’instant des sciences "dures" qui sont en première ligne : génomique, médecine, physique des hautes énergies, etc. Mais les sciences humaines et sociales doivent anticiper ce mouvement et s’emparer de ce débat essentiel parce que, plus que les autres peut-être, elles possèdent le corpus et les outils d’analyse qui permettront de pointer les risques réels à (très) court terme de telles dérives. C’est peut être aussi cela la science 2.0 : ni une lubie, ni une mode, ni une bulle méthodologique spéculative, mais l’occasion de se donner les moyens d’articuler des logiques de production et d’accès aux connaissances dans l’environnement informationnel, marchand et institutionnel qui est aujourd’hui le nôtre.
"Jusqu’ici, tout va bien."

3 commentaires pour “La science comme bien commun.

  1. Merci. Merci Olivier pour ce post qui me permet de poser une des dernières pierres à mon mémoire (il en manque pas mal en dessous mais c’est rassurant d’avoir une bonne idée pour la fin 🙂 C’est pilepoil ce qu’il me fallait!

  2. En ce qui concerne la France il est important de distinguer (ce que ne fait pas aussi clairement le copyright américain) les différents droits d’auteur, c’est-à-dire les droits moraux (de divulgation, de repentir et de paternité) et les droits patrimoniaux qui permettent l’exploitation exclusive d’une œuvre et les gains pécuniaires associés.
    Concernant une œuvre créée par un salarié dans le cadre de son travail, les droits patrimoniaux sont cédés à son employeur (art. L.113-9 du Code de la propriété intellectuelle). Le salarié peut néanmoins prétendre à une rémunération supplémentaire suivant les conventions collectives (les chercheurs travaillant dans des institutions publiques sont d’ailleurs particulièrement privilégiés sur ce point : 50% d’intéressement puis 25% au-delà d’un certain plafond).
    Enfin pour ce qui concerne la protection des logiciels par le droit d’auteur, elle inclut « le matériel de conception préparatoire » (art. L.112-2 du CPI).
    Olivier a écrit :
    2. Des articles entrant dans le champ du copyright, s’ils sont produits dans le cadre d’un financement ou d’un programme du gouvernement fédéral tombent, jusqu’ici … aussitôt dans le domaine public.
    J’attire l’attention sur le fait que ce point, s’il est applicable aux USA (et uniquement pour les institutions fédérales – ce qui implique les États par exemple n’est pas concerné) n’est absolument pas en vigueur en France. Les services publics restent propriétaires des productions de leurs salariés et si l’État finance un programme de recherche dans une institution publique ou privée, c’est cette institution qui, sauf clause spécifique, reste détentrice des droits de propriété.
    La pratique française est peut-être regrettable ou au contraire à préserver : j’avoue que la question me semble complexe. On pourrait souhaiter une diffusion large et immédiate. Mais un droit a priori de propriété permet en contre-partie aux institutions d’avoir une stratégie de diffusion et de valorisation.

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